Épizootie
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Tanit Halfon
La répétition des épizooties d’influenza aviaire hautement pathogène, dont la dernière a été catastrophique, a poussé vers l’adoption de l’outil vaccinal. Dans cette optique, les professionnels, dont les vétérinaires, se sont réunis au sein d’un groupe de travail pour réfléchir à sa mise en œuvre pratique. Le point avec François Landais (Liège 04), praticien à la clinique Abiopole-Arzacq (Pyrénées-Atlantiques), qui a pris part aux discussions.
Pourquoi avoir créé un groupe de travail sur la vaccination contre l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) ? Qui y participe ?
Les quatre crises successives ont montré l’intérêt, et l’urgence, d’envisager une stratégie vaccinale, en complément des autres mesures de lutte. Ce constat, partagé par les professionnels du secteur, a amené à la création d’un groupe de travail en septembre dernier, dans l’objectif de réfléchir à la faisabilité d’une vaccination sur le terrain. Il s’agit d’une initiative privée, et non d’une réponse à une demande de l’État. Sont réunis plusieurs structures vétérinaires, les entreprises de production et de sélection de toutes les filières avicoles1, l’Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole, la Société nationale des groupements techniques vétérinaires. Les laboratoires Ceva et Boehringer Ingelheim, qui disposent de vaccins en cours d’évaluation, complètent le groupe.
Nous ne prétendons pas avoir une expertise aussi pointue que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) : notre souhait était d’apporter des éléments de réflexion très pratiques, en identifiant notamment les points de blocage opérationnels, afin de ne pas être pris de court sur la logistique.
Quelles sont vos conclusions ?
Même si la vaccination n’est pas envisageable avant la saison prochaine, des décisions devront être prises rapidement. Tout d’abord, afin de disposer d’un stock suffisant de doses, il faut les commander six à huit mois en amont, et aucun des deux laboratoires ne lancera une production industrielle sans l’assurance d’une commande ferme de l’État. L’idéal serait de pouvoir obtenir les premières doses en juin 2023 afin de vacciner les animaux dès l’automne prochain ; elles devront pour cela être commandées en tout début d’année 2023. L’autre paramètre clé est la main-d’œuvre, qu’il faudra mobiliser pour réaliser la vaccination2, ainsi que la surveillance, afin de s’assurer que le virus ne circule pas à bas bruit. Sur ces deux points, le rôle des vétérinaires sera central, mais le nombre de missions qui leur sont confiées nécessitera d’envisager une part de délégation : il faudra recruter des vaccinateurs, former et auditer les opérateurs des couvoirs et du terrain, prévoir tout le matériel et définir les modalités concrètes de surveillance sous supervision vétérinaire.
En ce qui concerne la stratégie vaccinale, nous partons du postulat qu’il faudra cibler a minima les animaux les plus sensibles au virus, palmipèdes et dindes, au moins dans les zones à risque de diffusion . La vaccination pourrait avoir lieu pendant la période la plus à risque ou durant toute l’année. Suivant le scénario, les coûts estimés oscillent entre 35 et 330 millions d’euros par an, en incluant ceux des vaccins et du personnel. Le scénario le plus onéreux correspond à la situation où toutes les volailles du territoire seraient vaccinées – à l’exception de celles des maillons sélections et de certains gibiers – et où le virus aurait acquis un tropisme pour les Gallus. Ce budget est élevé, mais il reste inférieur au 1,2 milliard d’euros dépensés entre décembre et juin 2022 pour la dernière épizootie.
Que peut-on attendre de la vaccination ?
La vaccination est un outil complémentaire de lutte, qui s’ajoute aux autres mesures, biosécurité et dédensification et, à plus long terme, réorganisation des filières sur le territoire. Conjointement à ces dispositions, elle permettra de limiter l’intensité des épizooties et de réduire la contagiosité, ce qui fera baisser le nombre de foyers secondaires. Avec, pour conséquence, une moindre saturation des capacités d’abattage et d’équarrissage, et donc une meilleure gestion de la crise. On pourrait espérer atteindre un objectif d’éradication. Mais, au-delà des aspects techniques, la mise en œuvre de la vaccination nécessitera de parvenir à un consensus, au minimum européen, pour sécuriser les échanges commerciaux. La récente décision du Conseil européen3 va dans le bon sens, et on sait que d’autres pays ont lancé, comme la France, des expérimentations. À notre niveau, nous allons essayer de partager les résultats de notre groupe de travail avec d’autres professionnels européens.
Quels retours avez-vous eus sur votre travail ?
Les interprofessions, auxquelles ces réflexions étaient initialement destinées, nous ont donné leur accord pour partager nos travaux avec l’Anses et la Direction générale de l’alimentation, qui avaient par ailleurs eu vent de la constitution de ce groupe. Une première rencontre tripartite est prévue le 6 janvier 2023. L’idée est d’apporter un éclairage pratique et donc complémentaire à l’approche technique et stratégique des experts de l’Anses, dans un esprit de coconstruction d’une vaccination efficace et immédiatement opérationnelle, dès lors que l’autorisation d’utilisation des vaccins sera donnée. Cette concertation prendra par la suite la forme d’un comité de pilotage de la stratégie vaccinale, auquel les membres de notre groupe auront légitimement vocation à participer.
Tests et plan d’action
Comme expliqué dans une récente saisine1 de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), cinq vaccins contre l’influenza aviaire H5 sont déjà disponibles. Toutefois, un seul est autorisé dans l’Union européenne, avec des limites : l’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été attribuée en 2006, et la souche vaccinale n’a pas été actualisée depuis ; de plus, la poule est la seule espèce cible du résumé des caractéristiques du produit. Pour les quatre autres, il n’y en a qu’un qui contient une souche du clade 2.3.4.4 (Poulvac Flufend H5N3 RG, de Zoetis), et tous visent uniquement la poule. Or, ce sont les palmipèdes qui sont les plus réceptifs au virus, car ils ont une plus forte capacité d’excrétion. De fait, « les bénéfices d’une vaccination des seuls galliformes seraient limités » et elle serait, a priori, « uniquement envisageable dans des zones sans ou avec très peu d’élevages de palmipèdes », sauf si l’objectif est de protéger cliniquement les animaux de très haute valeur génétique, ont souligné les experts de l’Anses. Par ailleurs, « la mise en œuvre d’une campagne vaccinale nécessiterait de disposer de plusieurs types de vaccins afin d’obtenir une protection suffisante à travers des injections multiples sur les animaux », ont-ils précisé.
Deux vaccins testés
Dans ce contexte, les autorités sanitaires françaises ont engagé une expérimentation2 sur deux vaccins pour évaluer leur efficacité contre les souches virales circulantes chez le canard : il s’agit de celui sous-unitaire recombinant inactivé Volvac B.E.S.T AI+ND de Boehringer Ingelheim, et de celui à ARNm Respons AI H5 de Ceva. Le premier est commercialisé depuis 2014 dans plusieurs pays où le virus est enzootique, avec une AMM qui vise les Gallus. Il confère également une immunité contre la maladie de Newcastle. Le deuxième n’est pas encore au stade de commercialisation.
En parallèle, le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a annoncé le 22 décembre dernier le lancement d’un plan opérationnel d’action pour la vaccination, qui vise à poser les jalons de la future stratégie vaccinale française, dont le début est envisagé à l’automne 2023. Dans cette optique a été créé un comité de pilotage regroupant l’Anses, l’Agence nationale du médicament vétérinaire, l’École nationale vétérinaire de Toulouse (Haute-Garonne) et des interprofessions du secteur avicole, sous la direction de la Direction générale de l’alimentation. Les premières réunions sont prévues début janvier 2023.
À noter que le laboratoire Boehringer Ingelheim développe une autre solution vaccinale, à destination des galliformes : le vaccin vectorisé HVT IBD H5. Il ne serait pas disponible avant 2024.
1. bit.ly/3X8p0WW.
2. Source : groupe de travail sur la vaccination contre l’IAHP.