Prise en charge d’une otite moyenne - La Semaine Vétérinaire n° 1972 du 13/01/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1972 du 13/01/2023

Dermatologie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Laurent Masson


Conférenciers :

Vincent Bruet (N 01), dipl. ECVD, PhD, praticien à la clinique Benjamin-Franklin (Brech, Morbihan), à la clinique VetRef (Beaucouzé, Maine-et-Loire), au CHV Atlantia (Nantes, Loire-Atlantique), à la clinique Vétocéane (Vertou, Loire-Atlantique) ; Jérôme Couturier (L 04), dipl. ECVN, praticien au centre de vétérinaires spécialistes AzurVet (Saint-Laurent-du-Var, Alpes-Maritimes) ; Céline Darmon-Hadjaje (Liège 05), dipl. ECVD, praticienne au CHV Frégis (Arcueil, Val-de-Marne).

Article rédigé d’après la conférence « Je diagnostique et je gère une otite moyenne et ses répercussions », présentée aux journées annuelles du Groupe d’étude en dermatologie des animaux de compagnie, qui se sont déroulées du 12 au 14 mai à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).

L’otite moyenne correspond à une inflammation et/ou à une infection localisée dans la cavité délimitée par la bulle tympanique. Le volume de cette cavité est faible, environ 1,5 ml. Plusieurs nerfs crâniens (NC) passent à proximité : le NC VIII (vestibulocochléaire), le NC VII (facial), dans la caisse du tympan, et le troisième neurone de l’innervation oculaire sympathique, qui pénètre dans la bulle tympanique avec l’artère carotide interne avant de rejoindre le globe oculaire en suivant le NC V (trijumeau, branche ophtalmique). Les NC VII et VIII traversent ensemble le méat acoustique interne, puis se séparent, et le NC VII entre dans la bulle tympanique par sa partie dorsale avant de ressortir par le foramen stylomastoïdien. Ces éléments anatomiques expliquent l’observation possible de signes neurologiques lors d’otite moyenne.

Quand penser à une otite moyenne ?

La présence d’une otite moyenne doit être envisagée :

- dès lors que le tympan est percé. Néanmoins, il est intact dans 5 à 15 % des cas, et souvent non visible en raison des débris présents dans le canal ;

- dans un contexte d’otite externe chronique, suppurée ou hyperplasique (facteurs prédisposants) ;

- en présence de signes locaux : secouement de la tête, gêne, prurit ou douleur auriculaire, douleurs à la mastication ou à l’ouverture de la bouche, changement de tonalité de l’aboiement ;

- en présence de signes neurologiques : syndrome vestibulaire périphérique (classiquement avec hypotonie du côté atteint et hypertonie du côté controlatéral, nystagmus spontané horizontal ou rotatoire, avec une phase rapide du côté opposé à la lésion) pour les otites internes uniquement (syndrome vestibulaire plus rarement central lors d’atteinte méningée), paralysie faciale, syndrome de Claude Bernard-Horner, surdité partielle ou totale.

 Un contexte d’otite chronique, voire de comblement de la bulle tympanique, ne signifie pas nécessairement que l’otite moyenne est la cause du syndrome vestibulaire. Du matériel peut être observé dans les bulles tympaniques dans 41 % des cas d’otite externe, mais également chez 19 % de chiens sains. Les otites moyennes et internes ne sont responsables que d’un quart des cas de syndromes vestibulaires périphériques, selon deux études (Harrison1, Orlandi2), la première cause étant idiopathique (un à deux tiers des cas). Il en est de même pour les symptômes de paralysie faciale (ptôse de la babine et des paupières, ptyalisme, dysphagie orale, élargissement de la fente palpébrale et/ou truffe déviée du côté normal), dont la première origine n’est pas l’otite moyenne mais la neuropathie idiopathique (trois quarts des cas chez le chien). Le réflexe palpébral et le clignement à la menace sont diminués ou absents lors de paralysie faciale, qui est parfois associée à une kératoconjonctivite sèche neurogénique. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) permet de mieux visualiser les lésions du vestibule (qui a une forme de petit canard en coupes transversales), et donc les otites internes et les névrites faciales (NC VII) ou vestibulaires (NC VIII), que le scanner.

La présence d’un syndrome de Claude Bernard-Horner (énophtalmie, myosis, procidence de la membrane nictitante, hyperhémie conjonctivale et ptôse de la paupière supérieure) écarte la possibilité de neuropathie idiopathique (atteinte du NC VII et/ou du VIII uni- ou bilatérale exclusivement). Une réponse en moins de 20 minutes au test à la néosynéphrine à 1 % (dilution au 1/10 de la solution à 10 %) est en faveur d’une atteinte du troisième neurone, néanmoins l’interprétation de ce test est difficile en pratique.

Les causes d’otite moyenne chez le chien

L’otite moyenne secondaire infectieuse associée à la présence d’une otite externe primaire est la cause la plus fréquente d’otite moyenne chez le chien. Le taux d’otite moyenne lors d’otite externe chronique est de 30 à 80 %, en fonction des études. Elle est surtout observée chez les spaniels, mais aussi chez les retrievers et les brachycéphales. En cas de malformation du voile du palais, des otites moyennes ascendantes par la trompe d’Eustache sont observables. Les agents infectieux retrouvés sont majoritairement des bactéries (surtout Pseudomonas spp., Staphylococcus spp.), mais aussi des Malassezia dans 15 % des cas. Le diagnostic est apporté par l’imagerie médicale, une cytologie de l’oreille moyenne et une bactériologie (écouvillon, flush par myringotomie). Huit otites moyennes sur 10 sont gérées médicalement après 2 mois de traitement, en combinant une myringotomie, des soins topiques et un traitement systémique. L’âge de l’animal, la durée de l’otite au moment du diagnostic, la prise de corticoïdes ou la nature des germes présents n’affectent pas le taux de guérison. Chez les animaux qui ont eu un épisode d’otite chronique, il convient d’installer un traitement local préventif et d’identifier, si possible, la ou les causes sous-jacentes. En l’absence de guérison au bout de 2 mois de traitement ou si une lyse osseuse est mise en évidence à l’imagerie, une ablation du conduit auditif associée à une trépanation de la bulle tympanique (Tecalbo : total ear ablation and lateral bulla osteotomy) est nécessaire.

Les cholestéatomes, ou tympanokératomes sont des proliférations non tumorales, mais prétumorales (marqueur P53 présent), formées d’un épithélium squameux stratifié. Ces débris de kératine remplissent au fur et à mesure l’oreille moyenne et s’infiltrent dans les autres tissus, même osseux (ostéolyse, ostéoprolifération), avec un microbiome et un cercle inflammatoire qui participent au développement du cholestéatome. Ils touchent majoritairement les mâles âgés. Les signes cliniques sont identiques à ceux des autres otites. La vidéo-otoscopie objective une masse blanchâtre compacte qui se décolle comme de la peau morte. L’IRM est plus performante que le scanner, mais seul l’examen histopathologique apporte la certitude du diagnostic. Différentes hypothèses ont été avancées sur la pathogénie du cholestéatome mais elle reste incertaine. Le traitement de choix est une Tecalbo, mais il convient de prévenir les propriétaires du taux de récidive postopératoire, entre 20 et 50 %.

Les otites moyennes primaires sécrétantes (OMPS) sont rencontrées surtout chez le cavalier king Charles (40 % d’entre eux en sont atteints), âgé en moyenne de 5 ans. Elles sont dues soit à une production accrue ou modifiée de mucus dans l’oreille moyenne, soit à une diminution du drainage par la trompe d’Eustache (secondaire à l’inflammation, à un volume réduit du nasopharynx et à un voile du palais épais), voire à la combinaison des deux. Son étiopathogénie est inconnue, mais il n’y aurait pas d’infection bactérienne associée. Le tableau clinique varie de l’absence de signes cliniques à une perte d’audition, des signes neurologiques, de grattage du cou ou des oreilles, des secouements de la tête, des modifications de la voix, des bâillements excessifs, une douleur cervicale. Une pars flaccida tendue n’est pas un signe pathognomonique. Sans traitement, l’évolution est défavorable, avec une extension vers une atteinte bilatérale. Le diagnostic est clinique et repose sur l’imagerie. La tympanostomie est décevante et n’est pas recommandée.

L’otite moyenne fortuite sans aucun signe clinique peut être fréquemment retrouvée dans les races brachycéphales lors d’examens d’imagerie médicale de la tête. Comme déjà évoqué ci-dessus, il est probable que cette observation soit la conséquence d’un dysfonctionnement du tube auditif, plutôt qu’une véritable otite moyenne. En l’absence de signes cliniques associés, cette découverte ne doit pas entraîner de prise en charge spécifique.

Les causes d’otite moyenne chez le chat

Les otites moyennes chez le chat peuvent être :

- une extension d’une otite externe par un céruminolithe et une surinfection, par rupture tympanique et envahissement de la bulle tympanique. La vidange par vidéo-endoscopie est plus compliquée chez le chat en raison de la présence d’un septum au sein de la bulle tympanique ;

- des otites moyennes effusives liées à une dysfonction de la trompe d’Eustache ou à une rhinite chronique ;

- un cholestéatome (atteinte rare avec un seul cas décrit récemment dans la littérature) ;

- consécutives à des polypes inflammatoires. Le polype auriculaire inflammatoire est une masse bénigne qui prend naissance au niveau de la muqueuse de la chambre dorsolatérale de la bulle tympanique, du nasopharynx ou de la trompe d’Eustache. Les polypes peuvent ensuite envahir soit le conduit auriculaire en perforant le tympan, soit la trompe d’Eustache jusqu’à la face dorsale du nasopharynx. Ils peuvent être associés à une otite suppurée ou à des symptômes respiratoires lors d’atteinte du nasopharynx. Leur origine reste inconnue : une cause congénitale ou virale (calicivirus) est suspectée, tout comme une inflammation chronique, sans savoir si celle-ci est la cause ou la conséquence du développement des polypes. Le Maine coon est prédisposé. Les jeunes chats sont préférentiellement atteints, mais des polypes peuvent être observés à tout âge. Les polypes auriculaires inflammatoires sont le plus souvent unilatéraux, bien qu’une étude récente3 rapporte une atteinte bilatérale dans 24 % des cas, même si elle n’est décelée au scanner que dans deux tiers des cas. La découverte de ces masses asymptomatiques résulte d’un processus qui évolue à bas bruit au long cours. S’ils sont visibles à l’otoscopie, les polypes se présentent comme des nodules rose-rouges lisses faisant protrusion dans le conduit auriculaire au niveau du tympan. Mais un examen tomodensitométrique est recommandé pour déterminer l’extension du polype, confirmer le diagnostic et explorer une éventuelle atteinte bilatérale. Plusieurs traitements sont possibles, avec un risque de récidive variable : bullotomie ventrale (8 %), bullotomie latérale (14 à 35 %), traction-avulsion par bistournage à l’aide d’une pince droite sous vidéo-endoscopie (13,5 à 85 %), traction-avulsion associée à une corticothérapie à doses dégressives sur plusieurs mois (< 5 %). Concernant les effets secondaires (syndrome de Claude Bernard-Horner, symptômes vestibulaires, hémorragie et paralysie du nerf facial), il n’y a pas de différence significative entre les techniques d’exérèse. Lors de traction-avulsion, il convient de vérifier l’absence d’un autre polype dans la bulle et le nasopharynx et de prévenir le propriétaire qu’un saignement postopératoire est possible pendant 24 à 48 heures. Compte tenu de la surinfection bactérienne, un prélèvement bactérien peropératoire est réalisé et une antibiothérapie systémique ciblée est mise en place.

  • 1.  Harrison E, Grapes NJ, Volk HA, De Decker S. Clinical reasoning in canine vestibular syndrome: Which presenting factors are important?. Vet Rec. 2021;e61.
  • 2. Rocio Orlandi et coll., Clinical signs, MRI findings and outcome in dogs with peripheral vestibular disease: a retrospective study, BMC Vet Res, 2020; 25;16(1):159. 
  • 3. Hoppers S.E., May E.R., Frank L.A. Feline bilateral inflammatory aural polyps: a descriptive retrospective study. Vet Dermal. 2020;31(5):385-e102.