« Le vivant n’est pas qu’humain » - La Semaine Vétérinaire n° 1975 du 03/02/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1975 du 03/02/2023

One Health

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Propos recueillis par Michaella Igoho-Moradel

La clinique juridique One Health/Une seule santé1 est la première clinique juridique francophone consacrée à cette approche. Elle a été inaugurée le 2 mars 2021. Entretien avec Aloïse Quesne2, maître de conférences en droit privé à l’université d’Évry Paris-Saclay et directrice de la clinique.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée au concept One Health ?

Cet intérêt est lié à mes recherches personnelles. J’ai fait une thèse intitulée Le contrat portant sur le corps humain et, pendant mes travaux, je me suis  penchée sur les  recherches cliniques et précliniques. Depuis 2012, j’ai également enseigné des cours en droit de l’expérimentation animale. J’ai été la première lauréate du prix de droit de La Fondation droit animal, éthique et sciences en 2014, qui a récompensé ces cours. Ces différentes activités m’ont permis de mêler mes recherches sur les droits des personnes, des animaux et, par la suite, le volet environnemental a été intégré assez rapidement. Notre clinique juridique One Health/Une seule santé englobe ces trois aspects.

Comment la clinique fonctionne-t-elle ?

La clinique juridique One Health/Une seule santé est rattachée au master II de droit de la santé et des biotechnologies de l’université Paris-Saclay. Les étudiants travaillent sur deux axes. Le premier leur donne l’occasion d’échanger avec des praticiens, des avocats, des associations lors de séminaires. Le second est consacré à une activité de recherche appliquée. Les partenaires de la clinique se saisissent de sujets qui les intéressent, comme la viande cultivée ou les atteintes à l’environnement, et peuvent nous demander de réaliser certains travaux. En fonction des thématiques d’actualité, les étudiants peuvent organiser un événement ou rédiger un article scientifique par exemple. Il faut également faire une veille juridique sur ces thématiques et rédiger des brèves, des synthèses, qui seront publiées sur notre site. Depuis un an, nous avons mis en place un partenariat avec le site internet Village de la justice, afin que ces différents travaux aient plus de visibilité.

Comment intégrez-vous les professionnels de la santé animale dans vos travaux ?

Plusieurs liens ont été établis avec des vétérinaires. Pour l’instant, nous n’avons pas eu l’occasion d’organiser d’événements, mais cela serait tout à fait intéressant de prévoir une table ronde avec différents acteurs qui puissent exprimer leur ressenti et les perspectives de mise en œuvre du concept One Health. Je suis notamment en contact avec l’ancien député Loïc Dombreval, qui est aussi vétérinaire, et qui a participé au colloque « La sensibilité animale : approches juridiques et enjeux transdisciplinaires », que j’ai organisé en 2020, dont les actes enrichis seront publiés dans les prochaines semaines aux éditions Mare & Martin. La marraine de la clinique juridique est Laëtitia Romeiro Dias, l’une des députés dépositaires de la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale, adoptée le 30 novembre 2021. La thématique de la santé animale est très régulièrement abordée dans nos travaux. Nous avons, par exemple, publié l’an dernier un article sur l’obsolescence législative de la catégorisation des chiens dits dangereux, ou encore sur l’insuffisante prise en compte du bien-être des animaux destinés à la consommation. Dans un livre blanc sur l’agriculture cellulaire3, que nous avons récemment publié, nos étudiants ont notamment expliqué comment l’agriculture cellulaire pourrait remédier à toutes les problématiques sanitaires qui touchent les animaux d’élevage.

Quel est l’apport du juriste à ce concept ?

Le concept One Health est beaucoup plus connu des biologistes, par exemple, que des juristes. Ils ont en général très peu de connaissances sur le sujet alors que le droit est important puisqu’il interdit, il permet, il encadre. Il est nécessaire que l’on puisse se saisir de cette question sous tous les angles. Ce concept est en lien direct avec la bioéthique car, d’un point de vue grammatical, c’est l’éthique appliquée au vivant. Sauf que depuis les lois de 1994 sur la bioéthique, les discussions se focalisent sur le vivant humain. Or, le vivant n’est pas qu’humain, il est animal, végétal, et je me bats pour qu’il y ait cette vision large de la bioéthique, qui est d’ailleurs la vision originelle telle que l’a créée le cancérologue américain Van Rensselaer Potter (1911-2001) . Autrement dit, une interaction entre tous les êtres vivants pour le bien-être et la santé de tous. Le juriste doit se saisir de cette question pour comprendre la santé au sens large et plus uniquement la santé anthropocentrée sans se soucier de son environnement.

Le législateur est-il au rendez-vous de tous ces enjeux ?

Pour l’instant, il ne l’est pas suffisamment. Le volet environnemental par exemple n’est pas pris en compte dans les lois de bioéthique. J’espère que, lors de la prochaine révision de la loi de bioéthique, le législateur inscrira ces questions environnementales et animales qui ne sont pas étrangères à l’humain. Je pense que l’être humain a encore le sentiment d’être seul au monde. Or, il fait partie du vivant.