Chien renifleur, une piste à poursuivre dans la détection médicale - La Semaine Vétérinaire n° 1976 du 10/02/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1976 du 10/02/2023

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ANALYSE CANINE

Auteur(s) : PAR Tanit Halfon

À ce stade, la détection olfactive canine n’a pas été identifiée comme un axe prioritaire de recherche et développement par les instances publiques françaises. Malgré tout, Dominique Grandjean, professeur l’École nationale vétérinaire d'Alfort, et ses équipes continuent à se mobiliser pour faire avancer le sujet et convaincre le plus grand nombre de l’intérêt de cette approche.

Presque trois ans après le début de la pandémie, vous avez cosigné un article1, aux côtés d’autres scientifiques, qui défend la détection olfactive canine pour le dépistage du Covid-19 et détaille la méthodologie à adopter pour son déploiement sur le terrain. Quels en sont les principaux avantages par rapport aux outils analytiques ?

Tous les cosignataires de l’article, des scientifiques issus d’universités de 13 pays2, arrivent au même constat : les chiens entraînés sont en capacité de détecter la présence du virus Sars-CoV-2, soit indirectement sur des prélèvements (sueur, salive, urine), soit directement sur l’individu. De plus, les sensibilité et spécificité moyennes sont comparables à celles des tests RT-PCR sur prélèvements nasopharyngés. En plus d’être non invasive, cette méthode est peu chère, et permet d’avoir un résultat instantané, ce qui en fait un test adapté au dépistage de masse. Le revers de la médaille est qu’il faut des chiens bien formés. Pour ce faire, nous avons élaboré une méthodologie de formation, détaillée dans l’article. Nous allons également remettre un guide pratique du chien de détection du Covid-1 à l’Organisation mondiale de la santé ; un guide opérationnel de déploiement sera aussi rédigé. In fine, l’objectif est de pouvoir dépasser la pandémie de Covid-19, en posant les bases d’une méthodologie générale de formation des chiens à la détection médicale et de mise en œuvre opérationnelle pour disposer d’un outil en cas d’éventuelles autres maladies infectieuses.

En France, dans un avis rendu public en septembre dernier (voir encadré), le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) reconnaît l’intérêt de la méthode, mais ne recommande pas de l’utiliser dans une stratégie de dépistage, hors cas particuliers. Il est préconisé de continuer les recherches sur le sujet, notamment parce que les connaissances acquises pourraient amener à l’élaboration de biocapteurs sans « les contraintes liées à l’utilisation d’animaux ». Comprenez-vous cette conclusion ?

On se rend compte qu’il y a un paradigme à faire exploser auprès des médecins de notre administration qui n’arrivent pas du tout à imaginer un quelconque usage des chiens sur le terrain. De plus, il existe une grosse erreur d’appréciation des coûts, le rapport mettant en avant ceux de formation et d’entraînement des chiens. Or, c’est sans commune mesure avec le montant final : selon nos estimations, les coûts de cette méthode seraient 50 à 100 fois moins élevés que ceux associés avec les outils analytiques de dépistage. Dans un rapport rendu dès 2021 à la demande de la Direction générale de la santé, nous avions évalué le coût individuel d’un test canin, amortissement de la formation compris, à moins d’un euro… En effet, au lieu de tester à tout-va, l’analyse PCR sera uniquement effectuée sur les personnes pointées par le chien, ce qui réduit considérablement le nombre de tests et constitue une économie d’échelle importante pour notre système de protection sociale.

Aujourd’hui, la discussion est totalement fermée avec le ministère de la Santé et de la Prévention. Du côté de notre ministère de tutelle, il nous avait été demandé, il y a déjà plusieurs mois, d’imaginer un nouveau parcours de formation professionnelle qui pourrait aboutir à un bac pro pour des métiers qui utilisent le chien au service de la santé humaine, dont ferait partie le chien de détection médicale, ainsi qu’un centre de référence de recherche et développement. Nous avions identifié un lycée agricole qui pourrait porter la formation, l’École nationale vétérinaire d'Alfort pouvant être ce centre. Toute cette réflexion est à l’arrêt. Aujourd’hui, je ne m’adresse plus à l’État pour faire avancer la recherche sur le sujet, mais aux régions. Pourtant, le concept One Health a été identifié comme un enjeu d’avenir : le chien de détection médicale y a toute sa place, puisqu’il se met au service de la santé humaine. One Health ne se limite pas aux zoonoses.

L’avis du HCSP aura-t-il un impact sur la recherche française sur les capacités olfactives du chien ?

Je pense qu’il va aider car il ne remet pas en cause les aspects scientifiques. À notre niveau cependant, nous sommes toujours confrontés à un manque de moyens pour alimenter nos projets de recherche, malgré une vingtaine de publications en deux ans et demi. Il va falloir trouver des sources de financement. Aujourd’hui, seules notre volonté et la certitude que le chien de détection médicale est utile nous  motivent à avancer, ainsi que l’appui de bénévoles sur le terrain. Je n’abandonnerai pas. Un ouvrage va être publié en mars prochain sur tout ce qui s’est passé pendant ces années de pandémie : L'Aventure Nosaïs - Les chiens de la Covid-193 (aux éditions 01Health NDLR. Pour la suite, nous comptons poursuivre nos recherches sur le Covid long et sur la capacité des chiens à détecter différents variants. Nous travaillons déjà sur la détection des cancers à haut risque de la prostate et de la maladie de Parkinson. Un futur autre axe de recherche pourrait concerner la dengue, avec des chiens qui pourraient être entraînés en plus pour détecter les sites de prolifération des moustiques-tigres.

D’autres pays, notamment ceux signataires de la publication, ont-ils fait des choix différents ?   

En Allemagne, la recherche sur le chien de détection médicale a fait l’objet de financements étatiques. Même chose au Royaume-Uni et en Finlande. Aux Émirats arabes unis ont été mises en place des unités mobiles de dépistage avec des chiens (gestion des clusters). À l’université d’Adélaïde, en Australie, ils ont des chiens de détection médicale à l’entrée des hôpitaux. Aux États-Unis, l’approche a été différente puisqu’une entreprise privée s’est créée et a proposé ses services pour de grands événements.

En France, sur le terrain, nous nous sommes associés à l’association Handi’chiens pour former des chiens à la détection des malades du Covid en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) : plusieurs chiens ont été entraînés, et deux d’entre eux sont utilisés dans des Ehpad dans le Haut-Rhin. Cette méthode est beaucoup plus facilement acceptée par les pensionnaires qu’un prélèvement nasopharyngé. Sous condition de formation, on pourrait imaginer un usage pour la détection de tout type de maladies infectieuses dans ces établissements.

Quelles en sont les perspectives d’avenir ?

À mon sens, il y a trois grandes catégories de maladies qui pourraient bénéficier du chien de détection médicale : prolifératives graves, dégénératives et infectieuses. Pour ce dernier point, la dengue me paraît un volet particulièrement sensible pour l’avenir, et nous avons déjà mis en place des premiers contacts pour lancer des recherches.

Un axe de recherche intéressant pour le HCSP

La question posée par le Haut conseil de santé publique (HCSP)1 était de savoir si la détection olfactive canine (DOC) pouvait constituer un bon outil complémentaire de surveillance ?  S’il est acté, sur la base des données disponibles, l’intérêt réel de l’outil pour le dépistage de l’infection à Sars-CoV-2, le HCSP estime qu’il n’y a pas de situation où l’usage du DOC « répondrait à un besoin actuellement non couvert en matière de dépistage de l’infection », et « qu’il n’est pas possible d’envisager une utilisation du DOC dans une stratégie de dépistage de masse et/ou en routine » sauf cas particuliers, comme dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ou médico-sociaux. Le HCSP recommande de poursuivre les recherches, « ciblées notamment sur l’identification des composés organiques volatils », pour affiner le positionnement de cet outil à l’avenir, et, à terme, pouvoir arriver à des biocapteurs ou nez électroniques permettant « d’éviter les investissements pour la formation et l’accompagnement des équipes cynotechniques, ainsi que les contraintes représentées par l’utilisation d’animaux vivants, notamment au cours d’épidémies d’infections émergentes ».

1. bit.ly/40rX7eE

  • 2. Allemagne, Argentine, Australie, Belgique, Brésil, Chili, Émirats arabes unis, États-Unis, Finlande, France, Mexique, Royaume-Uni, Rwanda.
  • 3. Grandjean D, Gallet C, Julien C. L'Aventure Nosaïs - Les chiens de la Covid-19. Paris: 1Health; 2023. (À paraître en mars.) 
  • Pour aller plus loin : un article a été publié dans le Bulletin de l’Académie vétérinaire de France. Grandjean D, Gallet C, Julien C., et al. « La détection biomédicale canine : un potentiel inexploité dans la gestion immédiate des crises épi/pandémiques et bioterroristes… application à la Covid-19 dans le cadre du programme Nosaïs », 2022. bit.ly/3jqbYpk