L’apiculture face aux changements climatiques - La Semaine Vétérinaire n° 1976 du 10/02/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1976 du 10/02/2023

Environnement

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Étienne Bruneau, ingénieur agronomie, administrateur du Centre apicole de recherche et d’information

L’évolution du climat constitue aujourd’hui un réel challenge que chaque apiculteur doit relever. L’impact sur les colonies d’abeilles, avec le risque d’affaiblissement associé, doit conduire à adapter les pratiques apicoles.

La confrontation de plus en plus fréquente à des événements climatiques exceptionnels nous permet de prendre progressivement conscience de ce que veulent dire ces 1,5 °C ou 2 °C d’augmentation des températures moyennes. Selon le Panel intergouvernemental sur le changement climatique (IPCC), la fréquence, l’intensité et la durée des épisodes de chaleur extrême devraient continuer à s’accentuer au cours du xxie siècle, tout comme la fréquence et l’intensité des précipitations extrêmes, et des sécheresses en particulier dans la région méditerranéenne et en Afrique australe. Non sans conséquences sur les abeilles et donc l’apiculture. Au niveau de la flore est constatée une modification de la période de floraison avec des avances de végétation de plus en plus  courantesaccroissant de ce fait les risques en cas de gel tardif sur la flore, comme la destruction des boutons floraux. En parallèle, on observe une réduction du nombre de fleurs et de la durée de la floraison. L’activité de photosynthèse se réduit également et, par répercussion, la production de sucre diminue. Il s’ensuit une baisse du volume de nectar produit par fleur de l’ordre de 60 %. La viscosité de plus en plus importante du nectar et du miellat, devenus trop secs, les rendent inaccessibles aux abeilles. Par ailleurs, on peut constater, entre autres, sur certaines plantes mellifères une diminution du poids du pollen par fleur de 50 %.

Un risque d’affaiblissement des colonies

Comme le cycle biologique de l’abeille est principalement lié à la température de l’air et aux apports en pollen, il sera également modifié – on peut même dire perturbé –, avec des arrêts de ponte en pleine saison apicole lors des longues périodes chaudes et sèches. La période d’arrêt de ponte hivernale se réduit à très peu de chose quand la température est trop élevée. La raréfaction du nectar, du pollen et du miellat génère un réel stress alimentaire pour les abeilles. La modification du spectre pollinique, l’épuisement du pollen en août et l’augmentation importante de l’utilisation de sirops de nourrissement parfois non adaptés ont également un impact direct sur l’immunité des abeilles.

Ce sont ainsi la prolificité des reines, la viabilité du couvain, la force des colonies, les capacités d’hivernage des colonies qui sont directement touchées avec pour conséquences l’affaiblissement et la perte plus importants de colonies.

De plus, le développement de certains agents pathogènes, comme les varroas, est favorisé par les arrêts de ponte réduits en hiver. Ici, on doit se demander s’il ne serait pas préférable de profiter des arrêts de ponte estivaux pour réaliser les traitements avec des médicaments ne laissant pas ou peu de résidus. Le risque d’apparition de Tropilaelaps clarae augmente fortement.

Adapter les pratiques apicoles

Dans ce contexte, l’isolation et la ventilation des ruches deviennent essentielles non seulement en début de saison mais aussi lors des périodes de chaleur, plus difficile à gérer par les abeilles que le froid. Les apiculteurs devront naturellement choisir des emplacements à risques limités (inondation, feu, accès à l’eau…) et seront probablement amenés à déplacer plus souvent leurs colonies pour limiter les conséquences des famines et assurer certaines récoltes.

La sélection devra tenir compte de la résilience des colonies aux événements extrêmes et d’une consommation limitée de sirops, sans pour autant négliger les autres paramètres. Le maintien d’une large base génétique deviendra une obligation pour augmenter les chances d’adaptabilité des abeilles locales.

Pour les apiculteurs, la rapidité d’analyse d’une situation et la capacité de réactions rapides et adaptées seront primordiales. Pour cela, tous les outils non intrusifs (capteurs de température, d’humidité, de vibrations, d’activité…), qui se développent actuellement sur le marché, constitueront une aide très utile.

Tout doit être fait pour maintenir et développer le système immunitaire des abeilles en évitant les visites trop agressives, en favorisant la présence de propolis dans la ruche, en conservant une alimentation le plus naturelle possible, en respectant le bien-être de la colonie et les règles de base de son développement.

Apis mellifera et sa capacité d’adaptation

Aujourd’hui, on sait qu’il existe de fortes interactions entre le génotype et l’environnement. Le potentiel d’Apis mellifera à s’adapter génétiquement à des conditions environnementales modifiées dépend du niveau de diversité génétique d’un ensemble de colonies dans un environnement donné, de l’ampleur de la migration et du flux de gènes entre les populations, ainsi que du taux d’innovation génétique de nos abeilles.

Contrairement à ce que l’on pensait, un nombre croissant d’études montrent que l’introduction, dans une certaine mesure, d’un patrimoine génétique extérieur au sein d’une population donnée peut favoriser les capacités adaptatives, sans modifier les caractères génétiques de base de cette population. Car l’architecture génétique joue un rôle fondamental dans l’origine et le maintien de l’adaptation locale avec le flux de gènes.

Par conséquent, au moins deux éléments doivent être pris en considération dans les élevages futurs : la conservation d’une bonne base de diversité des abeilles locales par le soutien des activités d’élevage à l’échelle du territoire et un apport de flux de gènes provenant de populations plus tolérantes aux nouvelles conditions environnementales. Cela devrait permettre de prévenir les pertes de colonies, d’optimiser une productivité durable et d’assurer une adaptation continue aux phénomènes climatiques extrêmes.