Relations vétérinaires-laboratoires
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Propos recueillis par Michaella Igoho-Moradel
Les règles encadrant les avantages consentis aux vétérinaires et aux étudiants vétérinaires par les laboratoires évoluent. Certains gestes traditionnels de courtoisie sont désormais encadrés et limités.
Le dispositif « anti-cadeaux » interdit notamment aux vétérinaires, aux étudiants vétérinaires ainsi qu’à leurs représentants de se procurer tout avantage, en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, de façon directe ou indirecte, provenant d’industriels du médicament vétérinaire. Il existe toutefois deux dérogations prévues sous conditions pour les activités de recherche et d’évaluation scientifique et l’hospitalité offerte, de manière directe ou indirecte, lors de manifestations de promotion ou à caractère exclusivement professionnel et scientifique. Ces exceptions permettent ainsi un prêt de matériel pour une évaluation scientifique prévue par une convention de recherche ou des manifestations professionnelles de type congrès, telle la prise en charge de quelques nuits d’hôtel ou d’un repas. Ces dérogations font obligatoirement l’objet d’une convention passée entre le vétérinaire et l’entreprise, communiquée ensuite à l’Ordre. Arnaud Deleu, directeur des affaires économiques et de la formation au sein du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV), fait le bilan 2022 de l’étude des conventions d’hospitalité et détaille les nouveautés apportées l’ordonnance n° 2022-414 du 23 mars 2022 qui modifie l’article L.5141-13-1 du Code de la santé publique en introduisant certains avantages autorisés.
Quels sont les objets de ces conventions déclarées à l’Ordre ?
L’essentiel des conventions porte sur l’hospitalité en lien avec des opérations de promotion ou des opérations techniques scientifiques, organisées par un laboratoire. D’autres conventions en lien avec l’hospitalité ont pour objet les congrès tenus avec des sociétés savantes (collation donnée au moment des pauses ou du déjeuner, repas organisé par le laboratoire en marge du congrès). D’autres types de convention portent sur des travaux de recherche et d’évaluation scientifiques. Il s’agit de cas où des vétérinaires participent à des essais cliniques pour des thèses ou des essais terrains post-AMM [autorisation de mise sur le marché].
L’Ordre a-t-il émis des recommandations pour certaines d’entre elles ?
Les demandes d’informations complémentaires de la part de l’Ordre concernent 5 % des conventions. Celles-ci portent souvent sur des imprécisions dans le programme ou encore une liste d’invités imprécise. Seules 3 % des conventions sont rejetées par l’Ordre. Ce sont des cas particuliers traités au cas par cas. Il peut d’agir d’un montant trop élevé de certains événements, parfois organisés à l’étranger. Dans ce cas, il n’y a pas une règle identique pour tous les vétérinaires, les barèmes pouvant être supérieurs à ceux appliqués en France. Et ceux-ci ne sont pas toujours connus des organisateurs.
Quelles sont les modifications apportées par l’ordonnance de mars 2022 ?
L’ordonnance n° 2022-414 du 23 mars 2022 a modifié l’Art. L.5141-13-1 du Code de la santé publique en introduisant des avantages autorisés selon des modalités et des plafonds. Ces exceptions visent la rémunération, le défraiement d’activités prévues par un contrat de travail, les produits de l’exploitation de la cession des droits de propriété intellectuelle, les avantages commerciaux, les avantages en espèce ou en nature qui ont trait à l’exercice de la profession du bénéficiaire et qui sont d’une valeur négligeable. Les repas et collations à caractère impromptus sont plafonnés à deux événements par an et à 30 euros par personne pour tout le laboratoire. Tous segments de marché confondus. Cela ne concerne pas les congrès car ces événements sont déclarés en amont à l’Ordre. L’impromptu suppose qu’aucune convention ne lui ait été soumise. Par exemple, il peut s’agir d’un délégué vétérinaire qui visite un vétérinaire et l’invite à déjeuner. Ce type de rencontre impromptue (non envisagée à l’avance) est désormais encadrée. L’autre évolution porte sur les autres produits ou services qui ont trait à l’exercice de la profession vétérinaire. Ces avantages sont limités à 20 euros TTC par an et par personne.
Et si la convention n’a finalement pas été mise en application, que se passe-t-il ?
Nous devons déclarer à l’Ordre la mise en œuvre de l’avantage. Mais l’Ordre ne sait pas si cela signifie qu’il n’a finalement pas été mis en œuvre ou s’il s’agit d’un oubli. La plateforme d’échange que ce dernier a créée facilite les déclarations et, dès avril 2023, cet outil nous permettra de déclarer que la convention a été abandonnée. La transparence permet également de vérifier si un avantage a été mis en œuvre. Pour cela, il suffit de se rendre sur le site Transparence Santé*.
Ce dispositif a-t-il entraîné des changements importants dans vos relations avec les vétérinaires et les étudiants ?
L’Ordre et le SIMV ont fait preuve de beaucoup de pédagogie afin que ces dispositions soient connues. Nous avons mis en place des outils de communication qui permettent de maintenir de la convivialité, de la confraternité tout en étant dans le cadre fixé. Nous avons créé des modules de formation, avec des cas pratiques, qui présentent les dispositifs anti-cadeaux et transparence. Nous avons besoin de sécuriser la chaîne aval du médicament vétérinaire. Ces dispositions participent à cela. Puisque le mieux étant souvent l’ennemi du bien, il ne faudrait pas arriver à un système qui soit trop lourd administrativement, ou qui nous mette dans une situation d’écart majeur dans la relation que nous avons avec les vétérinaires par rapport à d’autres acteurs. En effet, seules les entreprises dont le domaine d’activité ne porte pas sur le médicament vétérinaire ne sont pas soumises à ces dispositions. Je rappelle que l’esprit de la loi est d’éviter qu’un acteur extérieur ne vienne peser sur les choix de prescription et sur l’indépendance du vétérinaire. Or, il y a aujourd’hui des structures qui pourraient avoir un impact sur ce lien. Tous les acteurs ne sont pas soumis aux mêmes règles.
L’Ordre veille au grain
Jean-Marc Petiot, conseiller au Conseil national de l’ordre des vétérinaires, décortique les conventions transmises par les laboratoires. Son rôle consiste à vérifier les modalités de l’hospitalité et que les pièces à fournir correspondent à ce qui est demandé par l’Ordre. « Ma tâche n’est pas de vérifier si les conventions ont effectivement été appliquées. Les documents transmis sont souvent des modèles types par laboratoire. Ils font en général deux pages et contiennent le programme de la manifestation, le nom du ou des intervenants, les modalités de l’hospitalité, la liste des invités. Concernant les congrès, le programme est celui fourni par l’organisateur. Il y a deux types d’hospitalité offerte pendant ces événements : le dîner organisé par le laboratoire pour ses clients, et les repas offerts pendant les pauses. Dans le dernier cas, la liste des invités correspond à celle des vétérinaires inscrits au congrès », explique-t-il. Il peut arriver que des conventions fassent l’objet d’un avis défavorable ou d’une demande de modification. « Les refus portent principalement sur des oublis, des fautes d’étourderie – par exemple, une liste d’invités absente, pas d’indication quant à la nature de l’hospitalité ou de l’objet de la convention, un programme qui n’est joint. Nous recevons parfois des demandes qui sont hors champ du décret –, comme des vétérinaires qui se réunissent dans une salle louée par un laboratoire ou encore de petites manifestations. Ces événements ne relèvent pas de la compétence de l’Ordre. Nous examinons uniquement les dérogations prévues dans la loi anti-cadeau. » Enfin, le conseiller ordinal rappelle que ce dispositif participe à la préservation de l’indépendance du vétérinaire. « On peut néanmoins s’interroger sur le champ d’application de ce texte car, aujourd’hui, seuls les laboratoires pharmaceutiques sont concernés. Or, d’autres acteurs gravitent autour des vétérinaires et des étudiants vétérinaires et leur offrent des avantages. Je serais favorable à étendre le champ d’application de ce texte », estime Jean-Marc Petiot.
Quels sont les avantages interdits ?
Il s’agit des avantages perçus sans contrepartie, injustifiés ou dont la rémunération va au-delà de la valeur de la prestation fournie par un vétérinaire. Selon les dispositions de la loi d’avenir du 13 octobre 2014, cela inclut les activités sociales (sportives, par exemple), les invitations à des sorties culturelles, événementielles, des chèques-cadeaux, des voyages, etc. En revanche, les avantages commerciaux tels que les remises, les rabais, les ristournes ou les échantillons ne sont pas concernés.