Plans Écoantibio : des succès mais aussi des chantiers inachevés  - La Semaine Vétérinaire n° 1976 du 10/02/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1976 du 10/02/2023

Dossier

DOSSIER

Auteur(s) : par Michaella Igoho-Moradel

Plus de dix ans après le lancement du premier plan Écoantibio, les avis sont unanimes. L’implication des vétérinaires est exemplaire. Pourtant, derrière les bons résultats successifs, les attentes de la profession sont plus fortes en matière d’outil d’autoévaluation pour améliorer leurs prescriptions.

À son lancement fin 2011, le plan pluriannuel de lutte contre l’antibiorésistance portait de grandes ambitions. Son premier volet visait une diminution de 25 % de l’usage d’antibiotiques en médecine vétérinaire entre 2012 et 2016, et de 25 % « critiques » entre 2014 et 2016. Le deuxième plan (2017-2021), prolongé jusqu’en 2022, contient deux objectifs chiffrés concernant l’usage de la colistine dans les filières bovine, porcine et avicole, et la prévalence d’Escherichia coli BLSE (bêtalactamases à spectre élargi) sur les prélèvements de poulets de chair à la distribution. « Les plans Écoantibio ont permis de réaliser de grandes avancées dans le domaine de la santé animale : baisse de la consommation d’antibiotiques, diminution de la résistance de nombreuses bactéries, modifications de pratiques chez les professionnels. Cependant, la réduction du recours aux antibiotiques en médecine vétérinaire a été si considérable que la marge de progrès encore possible à l’avenir se réduit désormais dans ce secteur », souligne le récent rapport* du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), publié le 14 novembre 2022. Décryptage.

Des progrès majeurs

Le plan Écoantibio 1 a été l’occasion de belles avancées. Quatre appels à projets (AAP) ont permis d’en sélectionner et d’en financer 125 qui portaient sur les huit filières animales. Les plus représentées concernaient les filières porcine (19 % des projets), bovine (18 %), avicole (12 %), aquacole (11 %), animaux de compagnie et équidés (environ 8 % chacune). Au total, ce sont 117 projets qui ont été achevés. « Les principaux succès d’Écoantibio 1 concernaient les mesures en faveur de la sensibilisation et de la formation des prescripteurs et dispensateurs et des professionnels de l’élevage, de l’élaboration de guides de bonnes pratiques, des mesures de prévention zootechniques et de biosécurité, du suivi de l’antibiorésistance ainsi que des mesures réglementaires », retiennent les autrices du rapport. Particulièrement sir la formation continue des vétérinaires praticiens, Claire Laugier (T 83) et Karine Guillaume (N 84), inspectrices générales de santé publique vétérinaire et autrices du rapport, indiquent que l’offre actuelle est « variée et bien adaptée. De nombreux outils et voies de formation continue sur l’antibiorésistance sont offerts aux vétérinaires praticiens, certains développés dans le cadre des plans Écoantibio et d’autres pas ».

Des résultats positifs

Comme le premier plan, le deuxième contient des mesures en faveur de la formation initiale et continue des vétérinaires mais aussi « des mesures de prévention et de biosécurité, de l’élaboration de guides de bonnes pratiques, de la maîtrise de l’usage de la colistine, du développement du réseau des référents régionaux et de la surveillance de l’antibiorésistance ». Des avancées majeures ont été réalisées pour maîtriser l’usage de la colistine en médecine vétérinaire. « L’objectif d’une baisse de 50 % en cinq ans de l’usage de la colistine dans les filières bovine, porcine et avicole, a été atteint. En effet, en 2020, on constate une baisse de 66 % de l’exposition cumulée à la colistine pour ces trois filières », révèle le rapport. De même, le suivi de la résistance à la colistine, effectué par le réseau Résapath, montre des résultats positifs. « Les derniers résultats montrent une augmentation significative de la proportion des souches sensibles entre 2007 et 2020 dans les types de production animale étudiés. La diffusion de E. coli pathogène résistant à la colistine semble donc bien maîtrisée », indique le rapport. D’autres actions ont également été bien engagées sur les mesures de prévention et de biosécurité, les guides de bonnes pratiques, le réseau des référents régionaux et la surveillance de l’antibiorésistance.

Des attentes demeurent

Malgré ces avancées, le rapport pointe des retards dans la mise en œuvre de certaines mesures : « Si plusieurs outils d’autoévaluation destinés aux éleveurs ont été développés (dans les filières veau de boucherie, porc, volaille), le projet Calypso, conçu pour les vétérinaires, est seulement en cours de réalisation. L’adaptation de la délivrance des antibiotiques au traitement a peu progressé pour les formes injectables et les poudres où l’évolution des conditionnements est indispensable. La seule avancée actuelle est la possibilité de fractionnement des conditionnements pour les antibiotiques sous forme de comprimés. Plusieurs mesures destinées au maintien de l’arsenal thérapeutique et des dispositions du règlement sur les médicaments vétérinaires encouragent le renouvellement des autorisations de mise sur le marché (AMM) des antibiotiques anciens et la recherche de solutions thérapeutiques pour les espèces mineures. Cependant, étant donné le manque d’intérêt manifesté par l’industrie pharmaceutique, la mobilisation de financements publics apparaît indispensable à la conduite des études nécessaires. Les travaux portant sur l’encadrement de la prescription hors examen clinique n’ont pas permis le retrait des antibiotiques du plan de prévention des protocoles de soins, alors même que l’administration d’antibiotiques à titre préventif constitue une pratique à risque. » En outre, les mesures portent sur le développement de tests rapides d’orientation diagnostique, la préservation des AMM des antibiotiques anciens non critiques et la recherche de solutions thérapeutiques pour les espèces mineures.

Des secteurs plus difficiles à mobiliser

Deux mesures n’ont enregistré aucun résultat : les mesures 18 « Soutenir la recherche de nouvelles molécules antibiotiques réservées à la médecine vétérinaire et non critiques pour la médecine humaine » et 22 « Étudier l’opportunité d’une redevance dédiée au financement des actions préventives du plan, principalement la mise en place des recommandations des guides de bonnes pratiques ». Aussi, les avancées pour le développement et la promotion des vaccins et autovaccins restent insuffisantes dans certaines filières (ruminants, lapins). « Les traitements “alternatifs”, notamment les produits à base de plantes, particulièrement appréciés des éleveurs, demeurent en attente d’un encadrement nécessaire par la Commission européenne »,mentionne le rapport. Après avoir souligné la forte implication des vétérinaires, les autrices mettent en avant les évolutions particulièrement marquées dans les filières porcine et avicole, « elles se développent à des vitesses variables dans les autres élevages, d’abord bovin laitier, puis bovin allaitant, autres ruminants et lapins. Les secteurs des équidés et des carnivores domestiques apparaissent cependant plus difficiles à mobiliser ».

Des questions à Marie-Anne Barthélémy

Secrétaire générale du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV)

Marie-AnneBarthElEmy.jpeg

Quel bilan faites-vous des deux plans Écoantibio ?

Les plans Écoantibio 1 et 2 ont permis des avancées par une approche collégiale de responsabilisation des acteurs, et cette mobilisation est une force de l’approche française vétérinaire et un vrai atout. Question méthodologie, le travail transversal, en groupes, entre différentes organisations professionnelles et administratives a été efficace, surtout dans le premier plan. Le succès des plans a résidé dans la prise de conscience réelle des acteurs, l’amélioration des pratiques de prescription, la diminution des quantités d’antibiotiques vendus et la baisse des résistances. Nous avons beaucoup parlé du moins et peu du mieux. La prévention, par exemple, a été soutenue par la campagne Vaccin’acteur mais a été peu relayée dans la presse éleveur du fait de l’interdiction de la publicité pour les vaccins. La prescription vétérinaire a été peu mise en avant dans la communication : les antibiotiques ne sont pas « utilisés » mais prescrits. Il faut informer le public de façon proactive sur le rôle du vétérinaire prescripteur afin de donner une image positive du bénéfice concret de l’antibiothérapie vétérinaire sur la santé et le bien-être des animaux. L’objectif d’aller vers le suivi des usages et pas seulement celui des ventes est absolument nécessaire. Le suivi de la prescription est encore plus utile pour assurer, par exemple, une veille sur les posologies effectivement prescrites et permettre de faire évoluer les autorisations de mise sur le marché [AMM] dans le cadre du suivi post-AMM.

Le CGAAER note que les mesures qui ont peu progressé concernent les tests rapides d’orientation diagnostique, le maintien des AMM des antibiotiques anciens et la recherche de solutions thérapeutiques pour les espèces mineures. Comment expliquez-vous ces retards dans la mise en œuvre de ces mesures ?

Ce sont des mesures complexes à mettre en œuvre, qui ont des freins réglementaires pour leur mise en place et nécessitent une vision européenne pour être tenables. Notre priorité est le maintien de l’arsenal thérapeutique. Il faut un environnement réglementaire favorable pour maintenir une AMM sur un marché décroissant et sur un segment – les antibiotiques vétérinaires – qui n’a pas toujours une image très attractive du fait des politiques publiques de réduction. Maintenir une AMM nécessite d’investir dans de nouvelles études (résistance, écotoxicité, révision schéma posologique par exemple, mais aussi des mises à jour administratives liées à la réglementation). Le règlement 2019/6, qui est entré en vigueur le 28 janvier 2022, apporte des dispositions pour protéger les données lors d’une demande de modification d’AMM contribuant à réduire le risque d’antibiorésistance, mais impose aussi des modifications plus administratives qui peuvent fragiliser le maintien des AMM. Il faut pouvoir envisager des mesures adaptées (fiscalité par exemple) pour soutenir les efforts d’investissements. Nous demandons, par exemple, de pouvoir bénéficier du soutien de la recherche publique pour obtenir des données pour faire évoluer une AMM ancienne. Une autre piste serait aussi de revoir l’arrêté antibiotiques critiques pour tenir compte des espèces, des indications et des voies d’administration (comme proposé par le Syndicat de l’industrie du médicament et diagnostic vétérinaires début 2015 avec l’exclusion des voies locales).

L’allongement potentiel de la liste des antibiotiques « critiques » en France et en Europe et les mesures de restriction qui s’y rapportent peuvent avoir également des conséquences en amont (moindres investissements dans de nouvelles molécules, donc menace sur l’innovation thérapeutique).

La recherche de solutions thérapeutiques, notamment pour les espèces mineures, est concrètement mise en place par l’Agence nationale du médicament vétérinaire avec le suivi des gaps thérapeutiques, sous l’égide du Réseau français pour la santé animale. L’investissement des laboratoires nécessite d’avoir une réglementation adaptée. Le règlement 2019/6 comporte des dispositions pour les marchés limités, mais il est encore trop tôt pour en mesurer l’efficacité.

La mise sur le marché de tests rapides d’orientation diagnostique répond à trois critères : technique, marché et réglementaire. C’est leur cumul qui permettra le développement de tels tests. Or ces conditions ne sont actuellement pas réunies.

Qu’attendez-vous du plan Écoantibio 3 ?

Il faut garder la gouvernance et la méthodologie de travail des plans précédents. Le CGAAER l’a aussi souligné. Le plan Écoantibio 1 a été quantitatif, le plan Écoantibio 2, plutôt qualitatif, colistine en quantitatif. Il faut maintenant passer d’une politique qualitative globale à un ciblage, un enregistrement des prescriptions pour faire du « sur-mesure » sur les pratiques à risque et pas une politique à l’aveugle. L’objectif européen du Green Deal (50 % de baisse des ventes d’antibiotiques en élevage et aquaculture d’ici à 2030) ne tient pas compte des résultats obtenus par des pays comme la France (- 70 %). Ce type d’objectif correspond davantage à la logique du plan Écoantibio 1 (baisse des usages) que du plan 2 (approche qualitative) et est encore plus éloigné du plan 3 (ciblage des mauvaises pratiques). C’est un objectif inapproprié dans le contexte de notre pays. L’effort pour qualifier les solutions alternatives devra être poursuivi ainsi que la promotion de la vaccination qui reste la meilleure réponse à la lutte contre l’antibiorésistance. Notre observatoire de la vaccination peut fournir des indicateurs de succès. L’impulsion doit être donnée pour avoir une politique de santé animale avec un volet diagnostic cadréen France. Le plan Écoantibio 3 devra enfin trouver l’équilibre entre santé animale, santé humaine et enjeux sur environnement.

Valérie David

Responsable du service santé et bien-être des ruminants (Institut de l’élevage)

Valerie Davidok.jpg

« Les contours du plan 3 devraient considérer d’autres questions »

Les plans Écoantibio sont un succès.Toutes les filières ont réduit leurs consommations d’antibiotiques. Il faut réussir à maintenir ces efforts. Une des clés de cette réussite est que toutes les parties prenantes ont été réunies autour de la table. Les instituts techniques agricoles y ont notamment contribué en créant des outils de sensibilisation et d’accompagnement des éleveurs pour la prévention. Les questions relatives à la prévention des maladies ainsi que le bon usage des antibiotiques doivent rester au cœur des actions au risque, dans le cas contraire, d’observer des dérives. Un troisième plan est annoncé, mais il est dommage qu’il ne soit pas encore été formalisé. Il est également regrettable que le plan Écoantibio n’ait pas permis de progresser sur la question de l’usage et des traitements à base de plantes. Un des points faibles du plan Écoantibio 1 a sans aucun doute été la communication sur les résultats des travaux financés. Ce qui a été corrigé au cours du deuxième plan. Avec l’ensemble des partenaires du plan, nous avons travaillé à l’élaboration d’un portail Web ActionAntibio (http://www.actionantibio.fr) qui présente ces travaux et leurs résultats. À chaque fois qu’un projet est finalisé, une fiche synthétique dédiée est ajoutée, qui contient les informations principales et renvoie vers d’autres sites, d’autres documents et des contacts. Enfin, en plus de poursuivre son effort en direction de la prévention des maladies, le troisième  plan Écoantibio doit inciter au développement d’outils d’alerte et d’aide à la décision pour gérer la santé animale et mieux cibler les traitements. Au-delà de l’antibiorésistance, les contours du plan 3 devraient considérer d’autres questions, comme la résistance aux anthelminthiques, qui est particulièrement problématique dans les filières de petits ruminants, et l’usage des insecticides.

Des pistes d’amélioration pour le plan Écoantibio 3

Pour l’élaboration du troisième plan Écoantibio, le rapport préconise de tirer les leçons des plans précédents et partage des pistes d’amélioration. Les recommandations suivantes concernent particulièrement les vétérinaires praticiens :

- poursuivre la promotion des mesures de prévention zootechniques, de vaccination et de biosécurité qui doit demeurer une priorité. L’une des pistes de réflexion suggère de définir et de mettre en place un cadre réglementaire facilitant le recours à certaines solutions alternatives (phytothérapie et aromathérapie) tout en confirmant le rôle du vétérinaire dans la prescription et le conseil ;

- maintenir la motivation des éleveurs et encourager leurs efforts. Elle propose notamment de promouvoir la réalisation d’études socio-économiques démontrant l’intérêt de la mise en œuvre des mesures de prévention et de biosécurité ;

- proposer entre autres la mise en place d’une gouvernance partagée associant des parties prenantes publiques et privées, et constituer un groupe de pilotage resserré autour de la Direction générale de l’alimentation. Une piste concerne les moyens humains et financiers consacrés à la santé animale ;

- pousser les dispositions visant à lutter contre les déserts vétérinaires et à renforcer la relation vétérinaire-éleveur, et préserver l’arsenal thérapeutique disponible en favorisant le renouvellement des dossiers d’autorisation de mise sur le marché des antibiotiques dits anciens ;

- poursuivre la recherche et la surveillance pour encourager des études sur les modalités et les niveaux de diffusion de bactéries résistantes et de gènes de résistance en élevage, dans les structures de soins vétérinaires, les abattoirs et les ateliers de l’industrie agroalimentaire ;

- simplifier la réglementation afin de la rendre applicable et aisément contrôlable, maintenir les effectifs des inspecteurs en pharmacie vétérinaire et valoriser leurs postes, programmer des contrôles plus ciblés et soutenir les actions réalisées ;

- accroître la communication sur les bons résultats des plans Écoantibio au niveau européen et international.

Le projet Calypso, en cours de téléchargement

Le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) apporte des explications quant au retard dans la mise en œuvre du projet Calypso. Son objectif est « de formaliser un outil de déclaration des cessions d’antibiotiques par les vétérinaires et les pharmaciens ». Claire Laugier (T 83) et Karine Guillaume (N 84), inspectrices générales de santé publique vétérinaire et autrices du rapport pointent des risques informatiques : « le premier, majeur, serait un défaut d’implication des services informatiques de la DGAL [Direction générale de l’alimentation]. La réussite du projet Calypso passe par un engagement fort de ces services dans le suivi du projet et les relations avec le prestataire chargé de la maîtrise d’œuvre Avisto. (…) Le deuxième risque résulte des interconnexions multiples à établir entre Calypso et des logiciels et des bases de données très divers ». Autre obstacle, les freins juridiques. « Certaines dispositions du Code rural et de la pêche maritime prévoient la transmission aux vétérinaires sanitaires ou mandatés des données sanitaires de l’élevage utiles à l’accomplissement de leurs missions (articles L.203-5-1 et L.203-8). En revanche, les autres données de l’élevage, notamment celles relatives aux performances zootechniques, ne sont pas soumises à de telles dispositions, et leur partage doit faire l’objet d’un consentement formel de l’éleveur. Ainsi, certaines informations qui transiteront dans Calypso ne seront accessibles aux vétérinaires que si les éleveurs, individuellement, l’ont autorisé. La FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles] a donné son accord de principe sur ce dispositif, à condition que les données soient utilisées dans le cadre de contrats respectant la charte Data Agri125 « Valoriser et sécuriser les données des exploitations agricoles dans les contrats » Aussi, le rapport souligne des réticences des vétérinaires qui pourraient faire face à une surcharge administrative et financière. Côté avantages, les autrices rappellent que cet outil d’autoévaluation d’outil d’autoévaluation « offrira aux vétérinaires de nombreux autres services pour améliorer leur exercice professionnel ».

  • 1 agriculture.gouv.fr/evaluation-des-deux-premiers-plans-ecoantibio-et-preparation-du-troisieme.