Génétique
FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Clothilde Barde Article rédigé d’après le webinaire de l’UMT Star (Sélection génétique pour la transition agroécologique des petits ruminants), qui s’est tenu le 19 janvier 20231.
Avec le projet Presage, observatoire des anomalies génétiques des petits ruminants (PR), l’objectif est de mieux connaître les anomalies chez les PR et de pouvoir les prendre en compte dans les schémas de sélection. En effet, les chercheurs disposent actuellement des génomes de référence complets de chaque espèce (séquenceurs haut débit) et de « puces de génotypages », marqueurs génétiques qui peuvent baliser le génome. Par une approche de « génétique classique » ou de « génétique inverse », ils peuvent alors étudier les anomalies génétiques des PR.
La génétique classique, utile pour l’étude de certaines maladies
Ainsi, dans la stratégie de génétique classique, le gène responsable d’une anomalie est identifié (ADN issu de tissus biologiques prélevés sur l’animal malade) par des méthodes statistiques permettant de trouver les différences entre les zones du génome d’un animal malade et d’un animal sain. De plus, les chercheurs peuvent déterminer si une anomalie génétique est héritable (déterminisme génétique). L’épidermolyse bulleuse jonctionnelle ovine (altération de la peau, lésions de la peau et des muqueuses, mort des agneaux) peut être étudiée pour illustrer cette méthode2. Dans une étude présentée lors du webinaire, les chercheurs ont collecté des échantillons sur 28 moutons de race Churra atteints d’épidermolyse bulleuse jonctionnelle ovine et sur 28 animaux sains, de parenté connue. Le génotypage réalisé sur ces échantillons (50 000 SNP3) a mis en évidence la présence d’une mutation dans une zone génétique codant pour l’intégrine (ITGB4) chez les animaux malades (signal des « puces de génotypage »). La même étude réalisée chez des moutons vendéens (6 cas atteints, 4 frères ou sœurs sains et 7 parents sains) a révélé, lors du génotypage de cette région, qu’il n’y avait pas de porteurs de la même mutation ITGB4 chez les ovins atteints. Puis, avec un séquençage complet du génome et la recherche de variants dans tous les gènes candidats connus4, une autre mutation récessive dans le gène ITGB4 (SNP exon 23 codon stop) a pu être identifiée, responsable de la maladie chez 12 % des ovins de race vendéenne de la population (test de diagnostic génétique).
La génétique inverse repose sur plusieurs postulats
Pour étudier la stratégie de génétique inverse, qui nécessite la mise en œuvre d’analyses statistiques/bio informatiques sur le génotype afin de détecter à partir d’une mutation le phénotype responsable, les chercheurs ont donné, lors du webinaire, l’exemple de la dyskinésie ciliaire (syndrome respiratoire). Ainsi, dans une étude, une sélection génomique a été réalisée avec l’examen de 35 000 génotypes individuels de moutons de race Lacaune grâce à des « puces » 15 000 ou 50 000 SNP, permettant ensuite de mettre en évidence 31 génomes complets. Les chercheurs se sont basés sur le postulat selon lequel la transmission génétique d’une anomalie délétère avec un déterminisme récessif crée un biais dans la représentation des génotypes, car ces animaux homozygotes récessifs n’atteignent pas un âge leur permettant d’être identifiés comme porteurs d’une anomalie. En comparant le nombre d’animaux homozygotes attendus et celui d’animaux observés pour différentes régions du génome, ils ont alors pu identifier les mutations récessives. Dans cet exemple, sept régions du génome (LDHH) indépendantes susceptibles de porter la mutation génétique responsable de dyskinésie ciliaire ont été mises en évidence. Pour cela, les chercheurs ont analysé les taux de réussite à l’insémination et les taux de mort-nés et ils ont regardé la différence relative entre les pourcentages d’accouplements à risque (12,5 % de descendants porteurs de la mutation) et ceux non à risque (0 à 1 %). Les zones de mutation qui ont un impact sur la réussite à l’IA (insémination artificielle), ou sur le taux de mort-nés, ou ni sur l’un ni sur l’autre, ont été mises en évidence.
Les difficultés de la génétique inverse
Toutefois, selon les chercheurs, la difficulté est de choisir la bonne zone du génome à étudier au départ5. C’est pourquoi, ils se sont basés sur le postulat selon lequel il existe un fort déséquilibre de liaison entre l’haplotype et la mutation, et que cette dernière est spécifique de la race d’ovin (ici Lacaune). En l’absence d’animal homozygote, les chercheurs étudient la mutation à l’état hétérozygote chez les animaux porteurs sains. Dans l’étude présentée, l’analyse du génome de la même zone chez 31 brebis Lacaune de statut connu à LDHH6 et de 69 moutons d’autres races a détecté la présence de deux porteurs hétérozygotes de la mutation chez les brebis Lacaune et celle de nombreux individus non porteurs chez les autres races6. L’extraction des variants localisés dans cette région a montré la présence d’un signal sur la zone LDHH6. Les chercheurs ont ensuite établi que ce gène LDHH6 porte une mutation perte de fonction du gène CCDC65. Puis ils ont repéré les brebis issues de pères porteurs de LDHH6 dans les élevages et ont effectué des prises de sang ainsi qu’un génotypage spécifique CCDC65 des brebis avant de réaliser un suivi des accouplements à risque de l’IA à la naissance. Cette technique de validation de la causalité par accouplement à risque sur la mutation CCDC65 a révélé des résultats cohérents avec les études populationnelles. Un mécanisme complet a alors pu être déduit par les chercheurs à partir de ces observations : « la perte du rôle de CCDC65 dans le mouvement des microtubules conduit à une altération du mouvement des cils des voies aériennes puis à un défaut d’excrétion du mucus, à une détresse respiratoire et enfin à la mort de l’animal par insuffisance respiratoire et infection pulmonaire ».
Gestion des anomalies
Une fois l’anomalie génétique mise en évidence, la gestion peut se faire à l’échelle de l’élevage ou de la population. Il existe plusieurs méthodes. La première permet d’estimer la valeur génétique d’un individu (index) chez les individus porteurs de l’anomalie7. La seconde tient compte des spécificités des PR (tailles de descendance plus faibles qu’en bovin, peu d’accouplements raisonnés à l’individu, peu ou pas de génotypage femelle), et consiste en la gestion des accouplements à risque8 selon le portage homo- ou hétérozygote. Les premiers résultats issus de simulation sur ce modèle ont montré que, sur un schéma de sélection caprin, inclure les anomalies létales ou non létales dans l’objectif de sélection semble être une méthode efficace. L’optimisation des accouplements apporte alors un véritable gain génétique. Enfin, en filière caprine, la gestion des anomalies peut également avoir lieu à l’étape de la sélection (principe de sélection à parenté minimum [SPM]). Cette méthode (possible en caprins car la semence est congelée) est la plus performante. Développée dans les années 2000, la SPM est appliquée depuis en races Alpine et Saanen car elle permet « d’optimiser les progrès et la variabilité génétique ». Les premiers travaux réalisés sur les PR ont attesté que ces multiples techniques de gestion des anomalies sont efficaces pour modifier les fréquences alléliques et pour éliminer, à terme, les allèles défavorables, sans impacter fortement le progrès génétique ni la variabilité génétique.