Protection
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Marine Neveux
Plusieurs organisations professionnelles en appellent à la possibilité pour tout vétérinaire de pouvoir exercer un droit de retrait lorsque sa santé physique et/ou psychologique est en danger. Un récent événement dramatique a servi de catalyseur à la réflexion.
Notre consœur Caroline Dabas, présidente du Syndicat des structures et établissements vétérinaires indépendants de France, nos confrères Éric Waysbort, président de l’Association de protection vétérinaire, Laurent Faget, président du syndicat départemental des vétérinaires d’exercice libéral de Gironde, et Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, ont cosigné un communiqué commun le 1er février dernier interpellant le Conseil national de l’Ordre sur le droit de retrait. Leur demande fait suite à une situation vécue par une consœur après un refus d’aller au chevet d’une vache malade appartenant à un éleveur « indélicat » et non client un soir de garde. Elle est aujourd’hui accusée de maltraitance. « L’urgence et la dramatisation de cette affaire ont fait ressortir qu’il était urgent de réagir et d’interpeller les organisations professionnelles vétérinaires », témoigne Caroline Dabas, à l’initiative de ce communiqué. La question de fond soulevée est en effet celle du droit de retrait lorsqu’un vétérinaire voit son intégrité physique et/ou morale mise à mal lors d’une intervention qui a un caractère d’urgence (ou non).
Retour sur les faits
« Gironde : il contacte 17 vétérinaires sans succès, sa vache et son veau meurent sous ses yeux. Malgré 17 vétérinaires appelés ce samedi pour une césarienne urgente, un éleveur de Queyrac en Gironde a assisté à la mort de l’une de ses jeunes vaches en plein vêlage. Il porte plainte pour “acte de cruauté” contre un vétérinaire proche qui n’a pas souhaité se déplacer » : voici le type d’articles qui ont pu être publiés sur les sites de médias grand public, l’affaire a également été diffusée à la télévision.
L’emballement médiatique de la presse grand public ne prend pas en compte bien des éléments de cet événement dramatique. Plusieurs vétérinaires ont été sollicités par l’éleveur ce jour de garde pour intervenir lors d’une mise bas difficile. Notre consœur ciblée était déjà accaparée sur de multiples urgences ce même jour. En outre, un autre vétérinaire a proposé à l’éleveur de réaliser l’intervention si ce dernier lui amenait l’animal chez un autre éleveur, situé à mi-chemin. Malgré cette solution alternative, l’éleveur n’a pas retenu cette possibilité d’amener la vache dans un élevage qui était prêt à l’accueillir. Le jour de cette garde, « notre consœur a déposé une main courante car elle a subi les appels menaçants et réitérés de l’éleveur avec qui la clinique était déjà en procédure depuis quelques années. En effet, l’éleveur avait déjà proféré des menaces de mort envers la clinique », explique Laurent Faget. Cet éleveur est en procès avec les associés de la clinique depuis 2014, et une rupture de contrat de soins lui avait été signifiée de longue date.
La vache est décédée sous les yeux de l’éleveur. L’éleveur a porté plainte contre la jeune consoeur pour maltraitance envers l’animal.
En réaction, les praticiens mixtes et ruraux de Gironde ont mené une grève les vendredi et samedi suivants sur les actes ruraux. « C’était symbolique, poursuit Laurent Faget, mais nous souhaitions que les éleveurs comprennent que trop c’est trop. » Car cette affaire met également en exergue les difficultés de la permanence des soins liées à la problématique du maillage en zone rurale.
Dans un courrier du 7 février, le président du Groupement de défense sanitaire (GDS) de la Gironde et celui de la chambre d’agriculture de la Gironde expriment déplorer aussi « le traitement médiatique et judiciaire de l’affaire voulu par cet éleveur » et transmettent leur soutien à cette jeune vétérinaire : « La chambre d’agriculture et le GDS sont conscients du rôle primordial des vétérinaires ruraux pour le maintien de l’élevage en Gironde. La faible densité de l’élevage fragilise d’autant plus le maillage vétérinaire et la continuité de soins. »
Modifier le Code de déontologie
La situation qu’a subie notre consœur, tout vétérinaire peut être amené à la vivre dans le cadre de son exercice. « En cas d’urgence mettant en péril l’animal, le vétérinaire doit prodiguer des premiers soins, explique Laurent Faget, selon le Code de déontologie, mais les notions de mise en danger du vétérinaire et du droit de retrait n’y figurent pas. » Ce dernier est abordé dans le droit du travail, et ne concerne d’ailleurs que les salariés et pas les professionnels libéraux.
« Cet événement dramatique catalyse ce qui mérite d’être porté dans une réflexion du nouveau Code de déontologie, poursuit Caroline Dabas. Le flou juridique actuel sur le droit de retrait met les vétérinaires dans l’insécurité. Il faudrait une clarification, car ce type de situation n’est pas sans conséquence dans une profession où le taux de suicide est déjà élevé. » En outre, « notre consœur est accusée de maltraitance animale, c’est antinomique avec notre profession ! Faudra-t-il attendre une décision jurisprudentielle pour clarifier cette situation, et voir des vétérinaires devant des tribunaux correctionnels ? ». « Quel que soit son statut, tout vétérinaire, lors de danger grave et imminent doit pouvoir faire jouer son droit de retrait, même si un animal est en danger. Les vétérinaires n’ont pas à risquer leur vie, santé physique et psychologique », renchérit Caroline Dabas.
Une affaire juridique est en cours. « C’est du gâchis », déplore Laurent Faget. Notre jeune consœur envisage de démissionner de son poste alors qu’elle s’engageait avec dynamisme et motivation dans la voie professionnelle de l’exercice mixte vétérinaire où les vocations sont déjà rares.
À ce jour, un rapporteur a été nommé par le Conseil national de l’ordre des vétérinaires, il va étudier cette demande conjointe des syndicats.
Extraits du communiqué
« Extrêmement préoccupés par l’augmentation des incivilités, menaces physiques et psychologiques, et toutes les formes de harcèlement au travail que subissent les vétérinaires, et leurs conséquences délétères, nous demandons la transposition du droit de retrait dont bénéficient les salariés au Code de déontologie vétérinaire et donc à tous les vétérinaires exerçants. Le Code du travail définit le droit de retrait en ces termes : lorsque la situation de travail présente un danger grave et imminent (événement qui peut produire, dans un délai brusque ou rapproché, une maladie ou un accident grave ou mortel) pour sa vie ou sa santé, le salarié peut quitter son poste de travail ou refuser de s’y installer sans obtenir l’accord de l’employeur. Il peut alors exercer son droit de retrait et interrompre ses activités, tant que l’employeur n’a pas mis en place les mesures de prévention adaptées. L’origine du danger peut être diverse, par exemple risque d’agression. Le salarié n’a pas à prouver qu’il y a bien un danger, mais il doit se sentir potentiellement menacé par un risque de blessure, d’accident ou de maladie. Le risque peut être immédiat ou survenir dans un délai rapproché. Le danger peut être individuel ou collectif. »
« Il existe actuellement un flou juridique et déontologique qui inquiète et fragilise les vétérinaires qui, s’ils peuvent signifier une rupture du contrat de soins en cas de menace, injure, incivilité de la part d’un client, procédure prévue par la déontologie, doivent néanmoins se porter au chevet d’un animal en souffrance, comme le défini le Code rural et de la pêche maritime. Cette insécurité juridique est de nature à présenter un risque de poursuite pénale pour le vétérinaire, qui devrait donc risquer sa vie, sa santé physique et psychologique, pour soulager un animal. Nous demandons donc qu’en cas de danger grave et imminent, tel que défini par le Code du travail, l’ensemble des vétérinaires puissent exercer un droit de retrait, leur sécurité ne devant pas être mise en jeu, même en cas de connaissance d’un cas de souffrance animale. »