Conférence
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Clothilde Barde
Le 16 janvier 2023, un webinaire1 a été présenté par les Pr Raphaël Guatteo (Oniris), Pierre Raboisson (École nationale vétérinaire de Toulouse) et le Dr Pierre Lemercier (vétérinaire à Mirepeix [Pyrénées-Atlantiques]) afin de présenter les données actuellement disponibles sur les impacts sanitaires et zootechniques de la fièvre Q et sur l’intérêt de la vaccination dans un élevage infecté.
Le Comité multidisciplinaire fièvre Q2, présidé par le Pr Raphaël Guatteo et par le Dr Christophe Brard, répond à la nécessité de mettre en commun les compétences et les expertises des différentes parties prenantes sur la fièvre Q, infection zoonotique bactérienne (Coxiella burnetii), à l’origine de troubles de la reproduction chez les ruminants. Dans le cadre de ces missions, plusieurs membres du comité sont intervenus lors d’un webinaire le 16 janvier 2023 afin de présenter les connaissances actuelles sur les impacts économiques de la fièvre Q en élevage1. Comme l’a noté à cette occasion Raphaël Guatteo, docteur vétérinaire, professeur en médecine bovine à Oniris et enseignant chercheur en épidémiologie, l’évaluation des répercussions sanitaires et zootechniques de la fièvre Q se fait à partir d’un ensemble de données, dont la guérison clinique (hors avortements). De plus, pour déterminer les risques de transmission intra- et inter-troupeaux mais aussi à l’homme, l’excrétion de la bactérie Coxiella burnetii peut être mesurée par PCR. « D’un point de vue zootechnique, il est également intéressant de déterminer l’impact de la maladie sur les performances de reproduction et de production (signes, enregistrement, période), même si cette évaluation, hautement multifactorielle, peut être difficile », a-t-il ajouté. C’est à partir de toutes ces données « que l’impact économique d’une maladie (soit deux tiers de pertes et un tiers de coûts) peut être évalué ».
Un rôle de la maladie sur les avortements
Pour étudier les répercussions de la maladie sur la reproduction, la première possibilité consiste à faire une « inoculation expérimentale » sur des animaux sains, puis une observation post-challenge. De même, une « enquête cas-témoins » (rétrospective ou suivi de cohortes) peut être menée en comparant les différences de fréquence d’apparition des troubles chez un groupe malade par rapport à un groupe témoin, en intra- ou en inter-troupeaux. Enfin, une étude d’intervention (mise en place d’un diagnostic ou d’actions de maîtrise) peut être réalisée (comparaison de la situation clinique avant et après, ou sans application de mesures). Comme l’a présenté le conférencier à titre d’illustration, dans une étude d’infection expérimentale en filière caprine des chercheurs ont pu montrer que la fièvre Q conduit à un risque cinq fois supérieur d’avorter. De plus, une enquête cas-témoins menée en élevage bovin a révélé un risque d’avortement multiplié par 2,5 chez les vaches séropositives vs les vaches séronégatives3,4.
Les autres signes cliniques
En ce qui concerne la rétention placentaire, dans cette même étude cas-témoins3, les chercheurs ont montré que le risque est augmenté de 1,5 chez les vaches séropositives (OR de 1,526)5. De plus, « les données confirment l’impact majeur de la fièvre Q en termes d’infertilté », selon le conférencier. Ainsi, dans une étude d’intervention menée en Hongrie6 qui compare les taux de positivité et de négativité de test Elisa à C. burnetii, selon que les vaches soient gestantes, aient avorté ou connu une interruption de gestation, on constate que la fièvre Q est impliquée dans les avortements tardifs et précoces. « En termes de production laitière, la donnée la plus robuste disponible concerne la filière caprine, selon le conférencier. Ainsi, des études montrent une réduction de 17 % de la production laitière pour les chèvres excrétrices de C. Burnetii. » Enfin, une étude d’intervention (vaccin contre la fièvre Q)7 menée en Espagne a mis en évidence que l’intervalle vêlage-insémination fécondante est retardé de quatorze jours dans le groupe non vacciné par rapport à celui vacciné (soit environ une perte de 70 euros).
Des impacts économiques lourds
En définitive, d’un point de vue clinique, la fièvre Q semble donc être à l’origine de nombreux troubles de la reproduction chez les bovins (avortements, mises bas prématurées, non-délivrances, veaux chétifs, infertilité et retours en chaleurs tardifs) ainsi que chez les petits ruminants (avortements et mises bas prématurées). Les risques d’avortement et de métrite ou d’endométrite chez les vaches infectées par C. burnetii seraient multipliées par 2,5, avec un coût de 400-800 euros par avortement, de 480 euros pour les métrites puerpérales et de 30-60 euros pour les endométrites. Les non-délivrances, quant à elles, seraient 1,5 fois plus fréquentes chez les vaches séropositives (330-450 euros)5. La mortalité périnatale est responsable d’un coût estimé à celui de l’animal, auquel il faut ajouter celui de l’avortement. Enfin, en ce qui concerne la fertilité des animaux, en raison de la diminution du taux de réussite de l’insémination artificielle, l’estimation est de 5 euros par jour supplémentaire entre le vêlage et la fécondation. Mais, comme l’a conclu le Pr Guatteo, « il reste encore à compléter les connaissances sur les impacts financiers de la fièvre Q en collectant des données fiables, robustes et standardisées pour pouvoir comparer différents scénarios de maîtrise ».
Des calculs facilités
À cet égard, le Pr Didier Raboisson (École nationale vétérinaire de Toulouse) a présenté, lors du webinaire, une méthode de calcul de l’impact économique de la maladie en élevage (de type « budget partiel »), « la plus précise possible et qui permet une approche pratique ». L’objectif est d’évaluer les bénéfices de la vaccination contre la fièvre Q (lors de circulation avérée de la maladie dans un troupeau). Pour cela, deux situations sont comparées : la circulation virale de C. burnetii dans un troupeau non vacciné et la situation de référence, où les vaches sont vaccinées. À chaque étape, les produits et les charges sont comparés afin de limiter au minimum les risques de sous- ou de sur-estimation de l’impact financier de la maladie. À partir d’une situation de référence où les animaux ne sont pas vaccinés, la perte de production liée à la fièvre Q est calculée en année 1, puis en années 2 et 3. De même, ce calcul est réalisé après la vaccination en années 1 et 2. Dans cette simulation, comme l’a précisé le conférencier, l’indicateur utilisé pour mettre en évidence l’importance de la circulation de la fièvre Q en élevage est la séroprévalence et il a présenté l’exemple de deux situations différentes (prévalence élevée 40 % et peu élevée 20 %). Pour calculer le bénéfice vaccinal (A-B-C), trois données ont été considérées : la somme des pertes de production avant la vaccination (A), après le vaccin (B) et le coût du vaccin (C). « Dans ce modèle simplifié, chaque année une nouvelle prévalence de la maladie en élevage est calculée à la suite de la vaccination (en tenant compte des réformes et de la présence de génisses de remplacement nouvellement vaccinées) et l’impact financier de la vaccination peut être ensuite calculé », a-t-il expliqué. Dans l’exemple présenté ici, la vaccination permet de diminuer progressivement le nombre de vaches séropositives. Ainsi, avec une prévalence initiale de 20 % de vaches séropositives, il y a 13 % de vaches séropositives en année 1, puis 3,9 % en année 2 et 1,2 % en année 3. Lorsque la prévalence initiale est de 40 %, 26 % des vaches sont infectées en année 1, 7,8 % en année 2 et 2,3 % en année 3. « Avec une prévalence initiale de 20 %, la vaccination est donc considérée rentable en année 2 et avec 40 % de prévalence initiale en année 1, car le bénéfice net (hors travail en considérant 100 vaches sur trois ans) est de 3 214 euros si la prévalence initiale est de 20 % et de 11 937 euros pour 40 % », a conclu le conférencier.