Enquête ENV
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Tanit Halfon
L’association étudiante IVSA (Association internationale des étudiants vétérinaires) Nantes, avec l’appui de Vétos-Entraide, a de nouveau lancé en 2022 une enquête sur l’état mental des élèves des écoles nationales vétérinaires. Leur niveau de souffrance psychologique reste inquiétant et appelle à une prise de conscience collective.
Vétos-Entraide tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur l’état psychologique des étudiants des quatre écoles nationales vétérinaires (ENV). L’association avait livré en 2022 les résultats de la toute première enquête française1 sur le sujet réalisée en 2018 par l’association étudiante IVSA (Association internationale des étudiants vétérinaires) Nantes, et dont les données avaient été analysées par Vétos-Entraide. En 2022, sous l’impulsion des deux associations, une nouvelle enquête a été lancée : 847 réponses ont été exploitées, contre 620 en 2018, soit un peu plus d’un quart des étudiants2 présents dans les quatre ENV à ce moment-là. Sur la base de l’expérience acquise lors de la première enquête et face à la richesse des nouvelles données récoltées, les résultats sont présentés sous la forme de focus. Première des douze thématiques dévoilée : l’envie exprimée par certains étudiants3 de quitter le cursus vétérinaire.
Ils sont 15,4 % à y songer de « parfois » à « de très nombreuses fois », sans différence significative suivant le genre ou le concours (A, B, C, D). Ce pourcentage est similaire à celui de 2018. Cette envie est associée à de multiples facteurs, en lien avec l’hygiène de vie, les relations sociales, le cursus, mais aussi l’état mental.
Une imbrication de liens
Parmi ces corrélations, on peut citer quelques exemples. Les étudiants qui dorment peu songent plus à quitter le cursus. Ceux qui participent peu à la vie associative, qui ont des relations plus difficiles avec les autres, ou qui souffrent de ne pas avoir d’amis, projettent davantage de le faire. Plus les étudiants sont avancés dans leurs études, plus ils envisagent de les quitter. Plus ils vivent mal leurs rotations cliniques, plus ils présentent des troubles physiques (très grosse fatigue, insomnie, stress, troubles somatiques) ou psychologiques liés au travail, et plus ils y réfléchissent également. Le lien est clairement établi avec l’idée que seule une minorité de l’enseignement dispensé est utile, que les études sont trop longues, trop exigeantes ou manquent de pratiques. Tout comme le fait d’estimer que les encadrants (professeurs, cliniciens, administration) se soucient peu du bien-être des élèves : les étudiants qui ont une faible estime de soi (considérer son niveau académique en dessous de la moyenne, faible confiance en soi, peur de devenir un mauvais vétérinaire, se considérer peu intelligent…) vont être plus à risque de songer à quitter le cursus. Ceux qui ont peur de ne pas s’épanouir dans leur futur métier aussi.
Prendre conscience
Une corrélation ne dit rien des liens de cause à effet. Ce qui est sûr, en revanche, pour Vétos-Entraide, c’est que ces nouvelles données confirment les constats de 2018 : il y a de la souffrance dans les écoles, à un niveau qui doit inquiéter, et l’ensemble de la profession doit en prendre pleinement conscience. « Songer à quitter le cursus ne signifie pas qu’on va le faire, mais que l’on va mal. Le nombre réel d’étudiants abandonnant leurs études reste faible, il ne s’agit pas de vouloir arrêter les études mais de faire cesser la ou les causes de souffrance, explique le vétérinaire Thierry Jourdan (A 89), qui a analysé les résultats de l’enquête, avec Marie Babot (L 98), tous deux membres de Vétos-Entraide. Mais s’ils ne partent pas maintenant, ils le feront très probablement plus tard ; les nombreux verbatim collectés nous le montrent. Quand ils doutent, ils veulent un temps aménagé de travail, ils ne veulent plus de gardes, ils ne sont pas sûrs de parvenir à faire face à leur vie professionnelle… Il se passe quelque chose dans leur parcours qui altère les attentes qu’ils avaient en rentrant dans le cursus. À quoi bon augmenter le nombre d’étudiants vétérinaires si une proportion significative veut quitter la profession dès l’obtention du diplôme ? » Dans le premier focus thématique, la phrase de conclusion, le témoignage d'une étudiante, ne dit pas autre chose : « Parce qu’être déjà fatiguée quand on n’est même pas diplômée, ça ne donne pas envie de faire ça toute sa vie. »
Les ENV sont logiquement particulièrement concernées, et Marie Babot les interpelle : « Il est primordial que les responsables des écoles prennent conscience de cette problématique, de son ampleur et en tiennent compte. La parole des étudiants doit être entendue. » D’autant que, rappelle-t-elle, à l’origine, ces enquêtes ont été réalisées par des étudiants qui ont ressenti des difficultés importantes dans les écoles. « Nous ne faisons que porter leurs voix auprès de la profession. » Ils le soulignent aussi, Vétos-Entraide est ouverte au dialogue au profit des étudiants, qui seront les vétérinaires de demain.
Prendre ses responsabilités
L’association se place en quelque sorte dans une posture de lanceur d’alertes, qui vise non pas à accuser, mais à déclencher la prise de conscience et la réflexion. Dans cette optique, outre les focus, un rapport de synthèse final sera proposé et livrera plusieurs recommandations en vue de l’amélioration du bien-être des étudiants et de leur épanouissement dans les métiers vétérinaires. Il pourra intégrer les propositions émanant de la profession et des écoles, si elles le désirent, précisent les deux membres de Vétos-Entraide. En attendant, ils livrent des premiers jalons, déjà abordés dans le premier rapport. Gare aux conclusions hâtives, simplistes et réductrices, qui consistent à incriminer exclusivement des causes extérieures, au lieu de voir ce qu’il est possible d’améliorer dans le présent au sein de l’environnement des étudiants. « On dit : c’est générationnel, c’est le mode de recrutement, c’est le milieu socioculturel, ce sont les parents, ce sont les professionnels qui donnent une mauvaise image de la vie active… Il y a sans doute des choses à faire à ces niveaux-là, et chaque acteur doit s’interroger sur son rôle dans le développement des étudiants. Mais il n’y a pas que ça », indique Marie Babot. Pour elle et Thierry Jourdan, les écoles ont un rôle central à jouer, étant donné qu’elles ont une responsabilité directe avec les élèves. Un travail sur l’estime de soi académique apparaît plus que bienvenu, l’enquête montrant en effet, comme en 2018, qu’elle est assez médiocre et corrélée avec l’envie de quitter le cursus. « L’estime de soi ne semble pas prise en considération actuellement et s’est dégradée depuis 2018 », affirme Thierry Jourdan, qui souligne par ailleurs le fait que les étudiants en arrivent à se forger au sein des écoles une image inatteignable de ce qu’est un bon vétérinaire.
Écouter les étudiants
« Au vu des témoignages, il existe encore des enseignants qui ont des pratiques peu valorisantes et dont l’impact est important sur les élèves », indique Marie Babot. Elle cite l’exemple de la faculté vétérinaire de Saint-Hyacinthe au Québec (Canada), déjà mentionné dans le rapport sur la première enquête, où les étudiants n’envisagent pas de quitter leur cursus. « Les enseignants y sont formés à dépister la fatigue psychologique et les difficultés individuelles ; ils ont aussi une approche pédagogique positive qui met en lumière les acquis plutôt que les insuffisances. Je pense qu’il convient de se questionner sur les pratiques pédagogiques et les postures de certains encadrants au sein des ENV. »
Il s’agit également de respecter la parole des étudiants en tant qu’individus, d’entendre leurs besoins, et qu’ils puissent se sentir suffisamment en confiance pour arriver à exprimer leurs doutes. Car les doutes ressentis par les étudiants sur leur capacité à continuer le cursus sont un signal d’alarme : la tristesse, le burn-out et les idées noires sont très augmentés chez ceux qui songent à quitter le cursus, comme le montrent les données. « Si on écoute cette envie de quitter le cursus, cela peut permettre de mieux dépister les élèves qui sont en grande souffrance psychologique. Et donc de les soutenir spécifiquement, et prévenir les risques de décrochage voire de suicide », souligne Marie Babot.
« Les rapports ne stigmatisent personne mais visent à apporter une conscientisation des problématiques des étudiants et à ouvrir la voie à la recherche de solutions en se basant sur un bilan objectif et irréfutable », martèle-t-elle. « Cette notion de quitter le cursus doit être un signal d’alarme pour écouter les élèves et mieux connaître leurs besoins », affirme également Thierry Jourdan. Et Marie Babot de poursuivre : « Envisager de renoncer à un métier vocatif et à un avenir rêvé montre bien les pressions fortes, voire intolérables, auxquelles les étudiants peuvent être soumis. »