Écoantibio 3 : « Le nouveau plan doit afficher une ambition d’optimisation plutôt que de réduction » - La Semaine Vétérinaire n° 1980 du 10/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1980 du 10/03/2023

Entretien

PHARMACIE

Auteur(s) : Propos recueillis par Michaella Igoho-Moradel

La santé animale était à l’honneur sur le stand de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail lors de l’édition 2023 au Salon international de l’agriculture. À cette occasion, La Semaine Vétérinaire a échangé avec Franck Fourès, directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire, sur les dossiers chauds autour du médicament vétérinaire.

Prévoyez-vous de réévaluer les bonnes pratiques pour la gestion des ruptures d’approvisionnement d’un médicament vétérinaire afin d’en mesurer l’efficacité ? 

En médecine vétérinaire comme humaine, on constate une tendance à l’augmentation de ces phénomènes de rupture. En santé animale, les vaccins sont la première classe thérapeutique concernée. En tant que maillon clé de la filière du médicament, notre rôle, lors de ces incidents, est d’apporter aux praticiens et aux éleveurs le maximum d’informations sur ces ruptures. Notre but est donc de les informer le plus tôt possible, surtout à propos des ruptures avec un enjeu particulier pour les filières, d’identifier, le cas échéant, des solutions de remplacement et de leur en signaler la reprise de la production. Ce dispositif a fait l’objet d’une première évaluation en 2021, dans le cadre d’un groupe de travail qui rassemblait le Syndicat de l’industrie du médicament et diagnostic vétérinaires, la profession vétérinaire et divers vétérinaires dont certains sont membres du comité de suivi des médicaments vétérinaires de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV). Les retours ont été globalement positifs et quelques ajustements ont été apportés dans le guide de bonnes pratiques sur les ruptures critiques. L’un des points d’amélioration identifié est l’actualisation des dates prévisibles de fin de rupture par les industriels. Les ruptures clôturées n’étaient en effet pas toujours signalées. Cela a été désormais pris en compte. Les remontées que nous avons aujourd’hui ne concernent pas directement le fonctionnement du dispositif mais sont plutôt des signaux de détresse face aux conséquences parfois graves de ces ruptures. C’est pourquoi il est important que l’ANMV travaille en amont dans une perspective One Health avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et le ministère de la Santé et de la Prévention pour capitaliser sur les enseignements de ces ruptures critiques afin de prévenir au mieux les ruptures futures. Dans le cadre du Réseau français pour la santé animale, nous travaillons également sur les gaps thérapeutiques. Néanmoins, malgré le rôle important de l’ANMV, nous ne pouvons en aucun cas nous substituer aux titulaires des autorisations de mise sur le marché (AMM) et ne pouvons qu’inciter à l’adoption d’un maximum de mesures préventives. Un autre bilan de ce dispositif sera certainement lancé en 2024, une fois que le projet européen One Health sur les ruptures critiques des « vieux antibiotiques » aura abouti.

Pouvez-vous nous en dire plus ce projet européen ?

Dans le cadre de ce projet, nous travaillons avec la médecine humaine pour identifier quelles sont les causes de ces ruptures et quels sont les leviers à mobiliser pour les réduire. Il s’agit d’un dispositif financé par la Commission européenne et porté par l’Organisation mondiale de la santé. Je suis très attentif à ce qu’il recense une large gamme de mesures incitatives afin que ces ruptures soient réduites et le moins impactantes possible. Nous examinons notamment la possibilité d’application dans le domaine vétérinaire de mesures écartées en santé humaine, notamment pour des motifs économiques, qui pourraient être intéressantes en médecine vétérinaire. L’objectif est de permettre aux sociétés de mettre à jour les études sur de vieilles molécules, telles que des antibiotiques critiques pour la santé animale, par exemple les tétracyclines. Actualiser les dossiers de ces molécules tombées dans le domaine public représente un coût élevé. Dans cette option, encore à l’étude, les industriels qui s’engageraient à rendre public le nouveau set de données nécessaire pourraient bénéficier d’une extension de brevet sur une autre molécule de leur gamme, pas encore dans le domaine public. Nous réfléchissons également dans quelle mesure la recherche publique pourrait également jouer un rôle pour préserver d’anciens antibiotiques. Ce projet européen prévoit aussi de travailler sur les abandons d’AMM. Le projet fera certainement l’objet d’une conférence de clôture pour présenter les leviers retenus.

Faut-il relocaliser la production pour limiter les ruptures ?

Le projet « France Relance » intègre certaines perspectives pour le médicament vétérinaire. Quelques projets ont été proposés afin de relocaliser l’ensemble de la chaîne de production d’un certain nombre de sites sur le territoire français. L’objectif est que la chaîne de production soit moins fragile et moins exposée aux aléas internationaux.

Où en est-on de la mise en œuvre du règlement européen sur les médicaments vétérinaires ? 

Les deux premiers décrets qui concernent l’amont de la chaîne du médicament ne devraient pas tarder à être publiés. Ils ont été mis en consultation auprès de la profession et sont actuellement en relecture par le service juridique du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Nous avons eu plusieurs allers-retours pour répondre à leurs questions et espérons qu’avant l’été les textes pourront être présentés au Conseil d’État. Ils apporteront des changements plutôt mineurs dans la pratique du vétérinaire, à l’exception des informations supplémentaires requises sur les ordonnances déjà prévues dans le nouveau règlement. Nous avons conscience que ces nouvelles mentions obligatoires sur l’ordonnance constituent un poids supplémentaire pour les praticiens. Mais nous espérons que ces contraintes se transformeront rapidement en opportunités. Nous ferons le nécessaire afin que les bases de données sur les médicaments vétérinaires soient parfaitement à jour et accompagnerons ainsi la profession dans cette transition digitale. Un troisième décret est également attendu. Il portera des dispositions sur la prescription vétérinaire et devrait être mis en consultation dans le courant du mois de mars. Cela permettra d’ouvrir le débat sur les changements qui affecteront plus directement les praticiens vétérinaires.

Où en est-on de l’élaboration du plan Écoantibio 3 ? Quelles sont les pistes et mesures envisagées ?

Nous sommes des partenaires techniques pour l’élaboration du plan Écoantibio 3, piloté par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Les thématiques qu’il reste à accompagner sont nombreuses, comme en témoigne le dernier du rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux sur la question de l’évaluation des deux premiers plans. De notre côté, comme évoqué, nous pensons que la mise à jour des vieilles AMM est un point important car le nouveau règlement a instauré des AMM à vie. Or, il y a des AMM de molécules antibiotiques dont les posologies ne semblent pas actualisées. La prise en compte de cette actualisation est un véritable enjeu. Le plan Écoantibio permettra-t-il de financer ces études ? Je ne suis pas certain qu’il ait à lui seul l’assise financière nécessaire pour porter ces projets. Il faut donc certainement faire preuve d’originalité et mobiliser les instruments financiers au niveau européen, et voir dans quelle mesure une approche One Health est possible.

Par ailleurs, concernant les réductions de consommation d’antibiotiques au sein des filières, nous avons certainement atteint aujourd’hui un niveau seuil dont il est nécessaire de tenir compte. Il va donc bien falloir afficher dans les objectifs du nouveau plan une ambition d’optimisation plutôt que de réduction. Il est également indispensable de penser la résistance d’un point de vue global car la résistance aux antiparasitaires gagne de l’ampleur. L’Agence européenne des médicaments (EMA) a notamment publié un avis surcettequestioninsistant sur le fait qu’il manquait des données scientifiques pour prendre en charge ce sujet. Il est peut-être trop tôt pour intégrer cette problématique au plan Écoantibio 3 et le faire évoluer vers de nouvelles résistances, mais elle se posera certainement d’ici peu.

Comment se concrétise l’approche One Health dans les actions de l’ANMV ? 

Cette approche est fondamentale. Beaucoup d’agences au niveau européen sont en effet des agences mixtes couvrant le médicament humain et vétérinaire. Par définition, le médicament vétérinaire n’y occupe pas une place importante, notamment en termes de volume de dossiers ou de taxes. Pour autant, tant au niveau de l’EMA qu’au niveau du réseau européen des chefs d’agence du médicament, nous rappelons systématiquement l’importance de travailler en synergie et résolument dans une approche « une seule santé ». Notre position d’agence de taille importante dédiée au médicament vétérinaire nous permet d’avoir voix au chapitre dans les débats et de faire en sorte que les points communs et les spécificités du domaine vétérinaire puissent être pris en compte. C’est notamment le cas dans l’exemple du projet européen sur les ruptures d’antibiotiques déjà évoqué. Au début, l’approche était axée sur la santé humaine puis le projet a intégré en parallèle les problématiques de la santé animale. Aujourd’hui, les approches ont évolué pour envisager les problèmes par molécules ou sites de fabrication sans prendre comme point d’entrée la destination humaine ou animale des produits. Les mentalités ont donc clairement changé, entre autres grâce au contexte et à l’action vigoureuse de mon prédécesseur, Jean-Pierre Orand, en la matière.