Enquête
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
La trajectoire professionnelle vétérinaire n’est pas linéaire, comme l’a montré une récente enquête de Vétos-Entraide, avec des reconversions qui peuvent être subies. L’association appelle à se saisir collectivement du sujet.
Que se cache-t-il derrière une reconversion professionnelle vétérinaire ? Cette question a mobilisé Vétos-Entraide, qui a lancé une enquête exploratoire1 en 2022 à ce sujet, et dont les résultats viennent d’être publiés. Le contexte mérite qu’on s’y attarde, le rappelle l’association en introduction du rapport : « bon nombre de jeunes vétérinaires quittent l’exercice de la profession au cours des cinq premières années d’exercice » et « un praticien sur deux sortant du tableau de l’Ordre a moins de 40 ans ». L’enquête a consisté à interroger quatre panels de vétérinaires, via quatre questionnaires différents : des praticiens en exercice depuis la sortie d’école ; des vétérinaires qui se sont reconvertis après un exercice en clientèle ; des vétérinaires qui ont choisi de ne pas exercer en clientèle dès le départ ; et des vétérinaires aux parcours plus atypiques avec plusieurs métiers successifs ou simultanés. Les retours sont très réduits : respectivement du premier au quatrième questionnaire, 284, 51, 8 et 42 personnes y ont répondu. Cela ne permet pas de dégager des tendances globales pour la profession, sans oublier les probables biais majeurs de recrutement, mais certains éléments peuvent interpeller.
Des facteurs de stress
Dans le premier questionnaire, parmi ceux qui envisagent une reconversion pour la suite de leur parcours professionnel (57 %)2, 39 % considèrent qu’il s’agit d’une reconversion subie (39 % “une envie de découvrir autre chose”, et 22 % “autre”). Pour 11 % des répondants, la suite du parcours professionnel est de rester en pratique mais de manière contrainte. 28 % des répondants y restent car ils s’y épanouissent (et 3 % “autre”).
Les raisons qui pèsent le plus dans l’envie de se reconvertir sont les conflits entre vie professionnelle et vie privée (57 %), la charge de travail (55 %), la permanence et la continuité des soins (52 %), les difficultés relationnelles avec la clientèle (50 %) et la peur des erreurs (45 %). Le poids de ces facteurs de stress varie suivant le statut libéral ou salarié, notamment les contraintes administratives qui ont une importance significative chez les répondants libéraux. Pour eux, l’analyse des données montre également qu’ils persistent plus de manière contrainte en clientèle que les praticiens salariés. Pour ces derniers, ils ont plus souvent l’idée de se reconvertir.
Ceux qui ont sauté le pas, et ont répondu au deuxième questionnaire, évoquent en premier la peur de l’erreur comme raison de la reconversion (50 %), suivent les facteurs cités précédemment (> 30 % pour chacun). Les reconversions se font dans des domaines variés, un praticien sur deux quitte le secteur vétérinaire. L’envie de reconversion concerne aussi la population qui n’a jamais exercé en clientèle, tout comme le panel du dernier questionnaire : pour ceux-là, les difficultés relationnelles entre les membres de l’équipe au travail ressortent davantage dans les facteurs poussant à l’envie de se reconvertir.
Créer des passerelles entre les métiers
Face à ces réponses, que faire ? Pour Vétos-Entraide, il y a clairement un besoin de rationaliser le secteur de la reconversion : « Il faudrait que chaque professionnel, praticien ou non, sache quels sont les débouchés qui se présentent à lui avec son diplôme et quelles formations complémentaires peuvent être nécessaires, nous indiquent Marie Babot et Thierry Jourdan, de l’association. Le mentorat n’est pas fait que pour les jeunes professionnels et est parfaitement adapté à la reconversion. » Pour eux, les organisations professionnelles de chaque métier vétérinaire doivent jouer un rôle de facilitateur pour les mobilités et la reconversion choisie. « Il est important, dans le contexte actuel de souci de recrutement à de nombreux métiers vétérinaires, de conserver les professionnels à l’intérieur du secteur d’activité et qu’ils puissent s’y épanouir », poursuivent-ils. Ils appellent également à ce que les étudiants vétérinaires puissent avoir accès à toutes les informations sur les métiers vétérinaires, par exemple par la création d’un centre d’information et d’orientation et d’un centre d’information jeunesse spécial vétérinaire. Les facteurs de stress, en grande partie qui sont ceux identifiés dans le rapport Truchot3, appellent aussi à des réflexions individuelles et collectives.
Se poser les bonnes questions
La reconversion peut être un processus complexe pour celles et ceux qui s’y engagent. Dans son rapport, l’association Vétos-Entraide livre plusieurs pistes de réflexion, avec notamment des liens sur les dispositifs d’accompagnement à la reconversion. Interrogés, Marie Babot et Thierry Jourdan donnent quelques conseils supplémentaires.
Que dire à un vétérinaire qui songerait à se reconvertir ?
En France, 15 % de la population des actifs envisagent une reconversion et celle-ci est plus facile pour les catégories socioprofessionnelles aisées. Il est donc normal au cours d’une vie professionnelle ou à la suite d’événements de vie majeurs de se poser des questions. Il existe des envies ou des opportunités. Il existe aussi un ras-le-bol, une grande lassitude, une souffrance, un état psychologique ou psychopathologique qui fait envisager un changement sous la contrainte.
Nous demandons aux professionnels d’être sélectifs vis-à-vis des interlocuteurs se déclarant compétents dans le domaine de la reconversion. Les premiers interlocuteurs sont institutionnels, et nous avons listé dans le rapport les dispositifs existants tels que le projet de transition professionnel, le mécanisme de démission-reconversion. Il existe des sites spécifiques dans lesquels les vétérinaires peuvent piocher repères et idées. Dans le monde vétérinaire, il y a pléthore d’offres d’accompagnement et de coaching : s’y côtoient de grands professionnels et des personnes autoproclamées, autocertifiées avec des méthodes qui sont proches de l’hameçonnage et aboutissant à une mise en dépendance de vétérinaires en souffrance personnelle et professionnelle.
Plusieurs questions se posent en amont : Dois-je changer ou pas ? Que puis-je faire ? De quelle manière ? Vers qui se tourner pour obtenir de l’aide ? Dans ce contexte, il convient de définir son projet : Quelles étapes, dans quel ordre, et quelles démarches à entamer ? Quels sont les métiers possibles pour moi ? Qui peut me renseigner sur les divers métiers vétérinaires, les secteurs connexes, ou des métiers dans lesquels la méthodologie et les aptitudes des vétérinaires peuvent être utiles ? Est-il possible d’avoir des formations pour se diriger vers un nouveau métier ou pour exercer le même métier mais différemment ?
Pour y répondre, il convient de :
- sérier les causes de mal-être objectives ou subjectives en rapport avec le travail, si possible ;
- différencier le travail lui-même des conditions dans lesquelles on l’exerce ;
- effectuer un bilan de compétences avec une personne qualifiée ou une officine reconnue ;
- lister les opportunités et les risques (familiaux, personnels, professionnels) d’une reconversion ;
- accumuler les informations : il est fondamental d’avoir le maximum d’informations au sujet de la nouvelle profession, d’une éventuelle formation, des aides disponibles.
Certains restent en clientèle par contrainte, révèle l’enquête. Y a-t-il des leviers sur lesquels ils pourraient s’appuyer pour améliorer leur situation ?
Les leviers de changement sont certes individuels : mieux s’organiser, déléguer des tâches, diminuer les charges, etc. En cas de détresse financière, la profession vétérinaire est riche de propositions confraternelles : le syndicat par son aide d’analyse financière, l’Ordre par les commissions sociales, la Caisse de retraite, l’Association centrale d’entraide vétérinaire et l’Association française de la famille vétérinaire peuvent œuvrer conjointement.
Mais quand un tiers des professionnels pensent souvent à se reconvertir, les leviers les plus efficaces sont organisationnels et se trouvent à des échelons collectifs ; ce qui ne veut pas dire que les professionnels s’exonèrent de leur part de travail pour changer l’ordre des choses mais que leur impact est limité. Nous avons à nous interroger sur : l’organisation du temps de travail, afin de mieux concilier vie privée et vie professionnelle, de diminuer la fatigue et la charge de travail ; l’organisation de la permanence et la continuité des soins pour les mêmes raisons ; le relationnel au sein des équipes qui semble bien plus peser sur les vétérinaires en exercice que celui avec la clientèle (d’après les résultats du premier questionnaire). Cette réflexion peut se faire en partie au niveau des individus mais doit également s’inscrire dans une réflexion plus large, au sein de chaque établissement de soins, mais aussi à l’échelle locale et nationale.