L’abattoir mobile se heurte au réel - La Semaine Vétérinaire n° 1983 du 31/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1983 du 31/03/2023

Abattage

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

La mise en œuvre opérationnelle d’un abattoir mobile reste complexe à ce stade. Au-delà des questions techniques et réglementaires, la question de la viabilité économique reste ouverte.

Fin février 2023, la société Le Bœuf éthique, premier abattoir mobile lancé dans le cadre de l’expérimentation de la loi Egalim1, a été placée en liquidation judiciaire. Un arrêt d’activité précoce, à peine un an et demi après ses débuts. Signe-t-il la fin de l’abattage « à la ferme » des animaux d’élevage ? Sur le terrain, il existerait plusieurs autres porteurs de projet, bien qu’à ce stade seul Le Bœuf éthique avait réussi à débuter une mise en service dès la fin de l’été 2021. Dans tous les cas, il s’agit de pouvoir offrir une alternative à l’abattage classique, et tous les projets sont globalement motivés par des dénominateurs communs, explique Romain Piovan, directeur de l’association Lit Ouesterel, qui a apporté un soutien méthodologique à un autre projet, l’abattage mobile de porcs « Abatt’Mobile », lancé par un collectif d’éleveurs en Normandie. « Les porteurs de projet sont souvent des éleveurs qui ne disposent pas de solutions d’abattage fixe à une distance de leur exploitation qu’ils jugent raisonnable. De plus, ils s’inscrivent dans une démarche éthique avec la volonté d’accompagner les animaux élevés jusqu’au bout, dans les meilleures conditions. Il y a aussi une envie de se réapproprier l’outil de production et d’aller jusqu’à récupérer de la valeur », explique-t-il.

Obtenir l’agrément sanitaire

Dans cette approche, plusieurs modèles de fonctionnement sont possibles, et donc modèles économiques : les camions d’abattage, les caissons d’abattage et les hubs, est-il expliqué dans un travail de thèse2 menée par Laura Lucas en 2022 sur l’abattoir mobile. Le Bœuf éthique a choisi le premier modèle : des camions dans lesquels peuvent être réalisées toutes les étapes de l’abattage, avant la découpe des carcasses et leur stockage. Ces dernières étapes sont effectuées grâce à un partenariat avec un abattoir de proximité ou un atelier de découpe. Le caisson d’abattage permet généralement seulement de mettre à mort l’animal, étourdissement-saignée (voire éviscération), qui doit ensuite être transporté dans un abattoir pour les étapes suivantes. Quant au hub, il s’agit d’un camion d’abattage qui s’arrête dans des lieux (stations d’accueil) jusqu’à plusieurs jours, les éleveurs doivent alors y transporter leurs animaux. Cette solution permet toutefois de réduire le temps de transport ; les carcasses sont ensuite amenées dans un atelier de découpe partenaire. Abatt’Mobile correspond à ce troisième modèle.

Quel que soit le modèle, un abattoir mobile sera soumis à l’obtention d’un agrément sanitaire (arrêté du 8 juin 2006, règlement (CE) n° 852/2004), comme un abattoir fixe, qui décrit le plan de maîtrise sanitaire, tout comme les pratiques relatives aux exigences en termes de protection animale (règlement (CE) n° 1099/2009). Pour l’instant, il n’existe pas de réglementation spécifique à ces dispositifs alternatifs (voir encadré). « La complexité de la réglementation est une barrière d’entrée pour un projet d’abattoir mobile, car ce n’est pas du domaine d’expertise de l’éleveur. Cela mobilise beaucoup de temps, et potentiellement des coûts si on s’adjoint l’aide d’un expert pour accompagner son projet », souligne Romain Piovan.

Maîtriser les risques sanitaires

Dans ce cadre réglementaire se pose la question de la présence d’un vétérinaire officiel, responsable de l’inspection ante mortem des animaux, qui doit être théoriquement présent pour la mise à mort, puis de l’inspection de la carcasse. « Un vétérinaire qui se déplacerait pour deux animaux mis à mort, ce n’est pas évident à trouver, et le coût associé pour de si petits volumes s’avère important. »

Le moment n’est pas favorable, prévient Olivier Lapôtre, président du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire. « Dans un contexte où il manque plusieurs dizaines de vétérinaires inspecteurs en abattoir, il convient de se poser la question de l’efficience des moyens alloués pour le contrôle sanitaire des activités d’abattage », souligne-t-il. En outre, il met en garde sur les risques sanitaires, relevant de la responsabilité du vétérinaire officiel : « Dans les modèles et projets d’abattoir mobile où on ne s’en tient qu’aux premières étapes avec la saignée, il faut que les animaux mis à mort soient amenés très rapidement dans un établissement d’abattage pour être éviscéré puis mis au froid. L’enjeu est de ne pas augmenter le risque de contamination de la (ou des) carcasse(s) par des bactéries intestinales, notamment Escherichia coli, du fait d’une fragilisation, avec un risque de perméabilisation, post mortem de la paroi des intestins, voire rupture lors du transport, explique-t-il. Nous avons besoin de garanties sur les pratiques faites dans ces unités mobiles, dont le temps de transport et le nombre maximal d’animaux tués à chaque déplacement, afin de ne pas faire retomber la responsabilité sur les épaules du vétérinaire. Les vétérinaires responsables doivent être sécurisés par des procédures fiables et des évaluations des agences sanitaires, française ou européenne.» Cette vigilance est d’autant plus de mise si, un jour, un choix d’allègement de la réglementation est apporté, indique-t-il. 

Trouver le bon modèle économique

« Dans la solution de Bœuf éthique, abattoir mobile complet, il y avait une inspection vétérinaire permanente comme dans un établissement fixe lors de l’abattage des animaux, lesquels étaient aussi éviscérés dans un des camions. Ce schéma-là me semble plus sécurisant d’un point de vue sanitaire que les autres modèles d’unités mobiles qui sont actuellement en discussion », estime Olivier Lapôtre. Au-delà du sanitaire, les systèmes mobiles d'abattage sont totalement dépendants du maillage en abattoirs pour les étapes d’éviscération et ultérieures, souligne Olivier Lapôtre. Toutes ces contraintes s’ajoutent à celles relatives au modèle économique. D’ailleurs, précise Olivier Lapôtre, l’abattoir mobile suédois, qui avait servi de modèle à Bœuf éthique, a mis fin à son activité. La construction de tout modèle économique passe d’abord par du relationnel avec l’amont et l’aval, rappelle Romain Piovan. « Un abattoir mobile est un projet multipartenarial. Il s’insère dans un écosystème à l’échelle locale alors que l’abattoir fixe industriel s’intègre plutôt dans une chaîne de valeur. Tout cela prend du temps de mise et maintien en relation. » Pour le modèle économique à proprement parler, « aujourd’hui, il n’y a pas la preuve qu’un modèle économique fonctionne. Cela ne veut pas dire pour autant que c’est la fin de l’abattage mobile ».

Pour l’Abatt’Mobile, l’accompagnement de Lit Ouesterel a réuni différentes parties prenantes, y compris des représentants de l’administration, et a permis d’aboutir à l’élaboration d’un cahier des charges pour préparer la demande d’agrément sanitaire. Malgré cet accompagnement, ce projet ne verra probablement pas le jour, indique Romain Piovan : « Il avait été élaboré à une période de déficit en abattoir fixe. Entre-temps, un établissement a rouvert ses portes, ce qui a abouti au désengagement d’éleveurs du projet. Il n’y a plus de volume suffisant pour alimenter le modèle économique. » 

« Un travail de pionnier »

Par ailleurs, « pour l’instant, des enquêtes menées auprès de consommateurs ont montré qu’il n’y avait majoritairement pas de valeur ajoutée perçue pour l’abattage mobile, il n’y a pas encore de résonance marketing. Dans notre sondage Opinion Way, parmi une liste de critères justifiant d’acheter sa viande plus cher, l’abattage à la ferme arrive en dernier par exemple. Je pense que ce ne sera pas facile de se démarquer sur les conditions de mise à mort ». Toutefois, du côté des abatteurs traditionnels, Romain Piovan indique que certains acteurs de dimension industrielle commencent à réfléchir sur la question de l’abattage mobile dans une projection à moyen terme, car cela apparaît comme une solution possible de résilience pour certains territoires. « L’abattoir mobile pourrait avoir de l’avenir à condition d’avoir une forte volonté des porteurs de projet. Sur notre territoire, il y a en un autre, AAlvie3, qui apparaît comme un bon candidat. L’abattoir mobile est un travail de pionnier. » 

Dans le cadre de la loi Egalim, une évaluation des projets d’abattoirs mobiles avait été associée à l’expérimentation, est-il indiqué dans la thèse de Laura Lucas, qui a d’ailleurs participé à la réflexion menée sur l’Abatt’Mobile avec l’association Lit Ouesterel. Elle a également pu assister à des réunions officielles de travail sur le sujet de l’abattoir mobile avec des représentants de l’administration ainsi qu’avec un consultant du cabinet chargé de l’évaluation. Si ce dernier a mis en lumière des difficultés, il a souligné que l’abattoir 100 % mobile semblait économiquement viable. Les résultats officiels de l’évaluation seront connus courant 2023.

Les abattoirs mobiles autorisés dans l’Union européenne mais…

C’est seulement le modèle de camion d’abattage, avec réalisation de toutes les étapes avant la découpe, qui serait en conformité avec le règlement n° 853/2004 et donc agréé au sein de l’Union européenne. S’il y a eu des évolutions réglementaires dans lesquelles sont intégrés les caissons, cela visait la mise à mort dans des cadres exceptionnels, notamment les animaux dangereux, et pas une solution qui pouvait être considérée comme un abattage de routine, au même titre que l’abattage classique dans des établissements fixes. Malgré tout, la Commission européenne serait potentiellement intéressée par les hubs dans des stations d’accueil. Côté France, la Direction générale de l’alimentation se montre ouverte pour valider des projets bien ficelés, mais aucune subvention publique n’est envisagée.

Source : Lucas L. (bit.ly/3LOyofN).

  • 1. Le décret du 15 avril 2019 relatif à l’expérimentation de dispositifs d’abattoirs mobiles a lancé le début de l’expérimentation sur une durée de quatre ans (bit.ly/3nbzJDc). Émilie Jeannin n’a pas souhaité donner suite à notre demande d’interview.
  • 2. Lucas L. Étude de la faisabilité réglementaire d’un projet d’abattoir mobile de porcs en France, exemple de l’Abatt’Mobile. Proposition d’un guide intégrant réglementation, bientraitance animale, sécurité sanitaire et protection environnementale dans le cadre d’un projet d’abattoir mobile : bit.ly/3LOyofN.
  • 3. Projet AALVie multi-espèces, sur les départements de Vendée et de Loire-Atlantique, avec 150 éleveurs adhérents : http://www.aalvie.com.