Génétique
FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Clothilde Barde Article rédigé d’après un article de recherche publié le 1er novembre 20221
La mortalité des jeunes bovins est très variable selon les races et les lignées génétiques. Ainsi, des études menées sur des vaches de race Holstein ont révélé des taux de mortalité de 6,8 % à 7,3 % en France et de 8,8 % aux États-Unis de la naissance au deuxième jour de vie2,3. S’il semble que l’environnement a un effet prédominant dans certaines situations rares4,5, les taux de mortalité importants s’expliquent généralement par la présence d’anomalies génétiques dominantes chez les veaux. Comme ces mutations délétères dominantes peuvent être transmises par des animaux porteurs soit par pénétrance incomplète, soit par mosaïcisme (pour des mutations de novo)6, il est donc possible de les rechercher en analysant les taux de mortalité dans la descendance des taureaux d’insémination artificielle utilisés dans plusieurs élevages, en supposant que les valeurs extrêmes cachent des anomalies congénitales. C’est pourquoi, dans l’étude présentée ici, un suivi de la mortalité des veaux en fonction de leur lignée génétique a été réalisé au sein de populations de vaches de race Holstein française et wallonne afin de détecter la présence d’anomalies génétiques asymptomatiques.
Des lignées aux taux de mortalité embryonnaire élevés
Dans cette étude, un taux de mortalité naturelle des génisses au cours de leur première année de vie légèrement inférieur à la plupart de ceux rapportés dans la littérature7,8 a été observé (11,8 % en moyenne sur la population de 1 001 taureaux analysés). Parmi les lignées atteintes, certaines « familles atypiques » ont été observées et, deux d’entre elles (issues des deux taureaux Mo et Pa, demi-frères engendrés par le même taureau, Mogul) ont été sélectionnées pour une analyse plus approfondie. Dès lors, pour mieux comprendre pourquoi le taux de mortalité était plus élevé au sein des familles de taureaux Mo et Pa, les chercheurs ont mené une série d’enquêtes en commençant par des analyses cytogénétiques. Pour la lignée de Mo, une analyse des génotypes de Mogul et de quinze de ses descendants a permis de définir les limites approximatives des points de rupture et de fusion chromosomiques, et de déterminer que les chromosomes anormaux provenaient de Mogul9. Selon les chercheurs, « étant donné que Mogul était largement utilisé comme mâle reproducteur de taureaux au moment de l’étude et qu’il n’affichait pas de taux de mortalité juvénile anormaux, ces résultats suggèrent que le réarrangement s’est produit dans les cellules germinales de Mogul pendant la méiose qui a donné le spermatozoïde à la conception de Mo ». Par ailleurs, les chercheurs ont démontré que deux génisses atteintes issues de Mo étaient partiellement monosomiques pour BTA29 et la génomique comparative a révélé une synténie (ordonnancement identique des gènes sur des chromosomes de deux espèces différentes) entre une partie de la région hémizygote et la monosomie de la région télomérique du chromosome 11q, responsable du syndrome de Jacobsen chez l’homme10,11. À cet égard, ces deux veaux présentaient des symptômes de syndrome de Jacobsen très similaires à ceux observés chez l’homme. Par conséquent, bien que les cas de translocations réciproques sont rares chez les bovins12, il semblerait que, dans ce cas, le taureau Mo soit porteur d’une translocation chromosomique (une partie du chromosome BTA29 étant rattachée au chromosome BTA26). Il s’agit donc du premier grand modèle animal pour le syndrome de Jacobsen chez l’homme.
Une anomalie cardiaque rare
En ce qui concerne les forts taux de mortalité observés chez les génisses issues du taureau Pa, malgré leur parenté étroite avec Mo, une autre anomalie génétique a été suspectée car le pic de mortalité est survenu plus tard que pour la descendance de Mo. Cette hypothèse a été rapidement confirmée par l’examen clinique et le caryotypage des descendants de Pa. Ainsi, une enquête réalisée auprès de vétérinaires français et britanniques a permis de recueillir des informations phénotypiques sur les descendants de Pa, parmi lesquels huit présentaient des symptômes compatibles avec des malformations cardiaques sévères entraînant une mort prématurée ou justifiant une euthanasie (tronc artériel persistant (TA) parfois associée à des défauts de cloisonnement cardiaque). Grâce à l’analyse des génotypes de 14 descendants décédés pendant la période de présevrage et de 189 témoins demi-frères encore en vie à l’âge de 2 ans, les chercheurs ont montré que le taureau Mo présente une mutation dominante sur le gène GATA6, causant des malformations cardiaques13. Ces résultats suggèrent que la mutation s’est produite tôt dans les cellules germinales progénitrices de Pa.
Vers une meilleure détection des anomalies génétiques
Cette identification de deux mutations de novo (translocation équilibrée entre les chromosomes 26 et 29, et une mutation non-sens en mosaïque de GATA6) témoigne de la pertinence de l’approche de calcul des taux de mortalité à différents âges dans l’ensemble de la population de taureaux pour faire apparaître des défauts génétiques difficilement détectables avec l’hérédité-surveillance traditionnelle, ce qui devrait également permettre d’élargir la gamme de tests en sélection génomique aux gènes impliqués dans la surmortalité juvénile.