Prise en charge d’un traumatisme facial - La Semaine Vétérinaire n° 1983 du 31/03/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1983 du 31/03/2023

Urgentologie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Mylène Panizo

Conférencière

Camille Bismuth, dipl. ECVS, spécialiste en chirurgie, praticienne au centre hospitalier vétérinaire (CHV) Frégis à Arcueil (Val-de-Marne)

Article rédigé d’après une webconférence organisée par le CHV Frégis le 2 février 2023.

Un traumatisme facial peut être causé par un accident de la voie publique, une chute, une morsure, une plaie par balle ou encore par un choc contondant. Il s’agit toujours d’une situation d’urgence qui nécessite une prise en charge multidisciplinaire. Il est indispensable de suivre une démarche systématique et rigoureuse, permettant de hiérarchiser les priorités. Avant toute intervention chirurgicale, il importe de stabiliser l’animal en soutenant ses fonctions vitales afin d’établir un bilan lésionnel complet. Pour cela, il est conseillé de procéder de la manière décrite ci-dessous.

A = airway (voies respiratoires), B = breathing (respiration)

Les voies respiratoires sont les premières fonctions à évaluer et à stabiliser. Il convient de les libérer et de vérifier si l’animal présente une dyspnée inspiratoire, expiratoire ou mixte et/ou une discordance. Un animal atteint par un traumatisme facial est stressé, voire paniqué. Il est généralement nécessaire de le sédater pour faciliter sa contention et diminuer les besoins en oxygène de son organisme. Pour cela, il est recommandé d’administrer du butorphanol, à la dose de 0,1 à 0,4 mg/kg par voie intraveineuse (IV) ou par voie sous-cutanée. La mise en place d’une oxygénothérapie doit être systématique et immédiate. Une intubation et une ventilation peuvent également s’avérer nécessaires, par exemple en cas d’hématome ou de présence de sang dans les voies respiratoires. Une évaluation plus complète est ensuite réalisée : fréquence respiratoire, auscultation pulmonaire, mesure de la saturation en oxygène, réalisation d’un Pocus thoracique (point-of-care ultrasound, échographie au point d’intervention : elle permet d’évaluer la présence d’air, de liquide, de sang et de suspecter la présence d’une hernie diaphragmatique).

C = circulation (circulation sanguine)

Il convient d’évaluer les fonctions cardio-vasculaires, afin de mettre en évidence un éventuel état de choc. Pour cela, il est nécessaire d’évaluer le temps de recoloration capillaire, la couleur des muqueuses, la qualité du pouls, la fréquence cardiaque, les bruits cardiaques, la température des extrémités et la pression sanguine.

En cas en saignements, il faut intervenir rapidement en posant une ligature ou en effectuant une compression. L’acide tranexamique, qui permet de renforcer le caillot formé en inhibant la fibrinolyse, est utilisé chez le chien à la dose de 10 mg/kg en IV lente toutes les huit heures jusqu’à l’arrêt des saignements.

En cas d’hypovolémie, une perfusion de NaCl à 0,9 % ou de Ringer lactate, à 10 à 30 ml/kg pendant cinq à quinze minutes (à répéter en fonction du besoin) est mise en place. Il est également possible d’administrer un bolus unique de NaCl 7,5-10 %, à 1-5 ml/kg en cinq à quinze minutes.

En cas de plaie faciale, il est impératif de mettre en place une analgésie, une antibiothérapie et d’effectuer les premiers soins (tonte, désinfection). En parallèle, une évaluation des autres organes doit être réalisée (Pocus abdominal, palpation des membres, etc.).

D = neurological disability (troubles neurologiques)

En cas de traumatisme facial, il peut y avoir une hémorragie du cerveau, une fracture du crâne et/ou une hypertension intracrânienne. Il s’agit donc d’évaluer le degré de conscience, la taille des pupilles, les réflexes photomoteurs, la présence d’un nystagmus et l’activité motrice de l’animal.

La mise en place d’une analgésie est impérative. Il est conseillé d’administrer du fentanyl en constant-rate infusions (CRI) à 2-6 µg/kg/h ou de la méthadone à 0,5-1 mg/kg chez le chien et à 0,3-0,6 mg/kg chez le chat. Il convient de porter une attention particulière à la fonction respiratoire en cas d’utilisation des opioïdes (dépresseurs respiratoires), en évaluant la balance bénéfice-risque.

Afin de diminuer le volume sanguin cérébral, il est conseillé de surélever la tête de l’animal à 30 degrés, en la manipulant précautionneusement (attention aux cervicales) et sans comprimer les veines jugulaires.

La mesure de la pCO2 permet de prévenir une hypoventilation, mais il faut veiller à ne pas surventiler l’animal. L’idéal est de maintenir une EtCO2 à 30-40 mmHg, et une pCO2 à 35-45 mmHg.

Un réflexe de Cushing peut être présent en cas de traumatisme facial (triade associant une hypertension systémique, une bradycardie et une diminution du statut mental). Afin de diminuer l’hypertension intracrânienne, il est conseillé d’administrer du mannitol à 0,5-1 g/kg en IV (quinze-trente minutes, en effectuant moins de trois bolus), ou du NaCl à 7,5 % à 4-6 ml/kg.

En cas de convulsions, celles-ci sont traitées avec l’apport d’un anticonvulsivant (diazepam ou midazolam à 0,5 mg/kg en IV ou en intrarectal, phénobarbital ou lévétiracétam).

Évaluation ophtalmologique

Lors de traumatisme facial, il est fréquent de constater une atteinte oculaire (en particulier un prolapsus du globe oculaire et/ou une perforation). Il est indispensable de stabiliser les lésions oculaires avant de référer. En cas de traumatisme contondant ou de perforation, il est conseillé d’appliquer un anti-inflammatoire par voie orale, une analgésie locale (atropine collyre à 0,3 % chez le chat et à 1 % chez le chien), un antibiotique par voie locale et orale (en cas de perforation), et de garder toujours l’œil humide en utilisant des substituts de larmes.

En cas de prolapsus du globe oculaire, il faut essayer de sauver le globe en première intention (humidification fréquente, anti-inflammatoire et antibiotique par voie orale, collerette, et si une anesthésie est envisageable, effectuer une technique de remise en place du globe oculaire).

Imagerie

Lorsque l’animal est stabilisé sur le plan respiratoire, des examens d’imagerie peuvent être réalisés. Le scanner est l’outil le plus adapté pour visualiser l’ensemble des lésions osseuses de la face (mandibule, orbites, maxillaires, crâne). Une reconstruction en 3D de la totalité du crâne est possible. Les lésions les plus fréquemment observées sur la face sont les malocclusions, les fractures ou les luxations maxillo-faciales, et les fentes palatines. L’imagerie par résonance magnétique est préférable en cas de troubles neurologiques.

Réalimentation

La pose d’une sonde d’œsophagostomie à gauche est fortement conseillée car elle permet de réalimenter l’animal avec de gros volumes et de dégager la face. Elle est mise en place sous anesthésie, en général en même temps que la réalisation des examens d’imagerie.

Prise en charge chirurgicale

Il n’est généralement pas nécessaire d’opérer une fente palatine. La chirurgie sera à envisager en cas d’absence de cicatrisation spontanée (notamment lorsqu’elle est supérieure à 5 mm). Une technique de compression des arcades zygomatiques peut être effectuée (sous anesthésie car cela est douloureux).

En cas de malocclusion mandibulaire, la mastication est compromise. Un traitement conservateur est possible pour certaines fractures ou luxations de l’articulation temporo-mandibulaire ou de fracture caudale ou unilatérale de la mandibule (associée à un faible déplacement). La mise en place d’une sorte de « muselière » (voir photo) est préconisée, mais uniquement si l’animal respire correctement, si ses quatre crocs sont intacts et si une sonde d’œsophagostomie a été posée. En cas d’atteinte plus lourde, la pose d’un cerclage, d’une résine, d’un fixateur externe ou de plaques et de vis est effectuée. Il faut en général beaucoup de temps mais les résultats peuvent être spectaculaires.