Cancérologie
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Tarek Bouzouraa
La polycythémie vraie est une atteinte néoplasique myéloproliférative à l’origine d’une surproduction érythrocytaire. Sa conséquence hématologique est l’augmentation anormale du nombre de globules rouges circulants, de l’hématocrite (HCT) et de l’hémoglobinémie. Cette affection est très rare dans l’espèce féline, qui affiche des signes cliniques soit peu spécifiques (abattement et atteinte nerveuse), soit plus caractéristiques (muqueuses congestionnées). La prise en charge fait appel à une phlébotomie, le plus souvent dans un contexte d’urgence relative, et l’adjonction d’agents de chimiothérapie (tels que l’hydroxyurée). L’exposition du personnel soignant et des propriétaires à ces agents est toujours problématique, raison pour laquelle toute alternative thérapeutique non cytotoxique gagnerait à être employée. Dans ce cadre, la prise en charge innovante d’un cas de polycythémie vraie chez un chat à base de poudre d’oignon a été publiée dans le Journal of Veterinary Internal Medicine*.
Créer une discrète hyperhémolyse oxydative
L’équipe vétérinaire de l’université de Davis (Californie, États-Unis) a reçu une chatte européenne âgée de 10 ans et vivant plutôt en intérieur, manifestant de l’ataxie avec des hochements de tête d’apparition rapide. L’examen clinique général n’a pas permis de déceler d’anomalie cardio-respiratoire, tandis que l’hémogramme a révélé une majoration marquée de l’hématocrite (HCT = 73 %) et des autres marqueurs de la lignée rouge (majoration de l’hémoglobinémie et érythrocytose). Le bilan paraclinique (biochimie, analyse urinaire, radiographie thoracique et échographie abdominale) n’a pas montré de maladie hypoxémiante ou suggéré une production paranéoplasique d’érythropoïétine.
Après trois phlébotomies réalisées à J0 (70 ml), J14 (60 ml) et J21 (80 ml), et en l’absence de réponse biologique favorable (HCT = 74 %), de l’hydroxyurée a été envisagée puis déclinée, compte tenu de la présence d’enfants en bas âge au domicile des propriétaires de la chatte et de leur potentielle exposition indirecte à cet agent myélotoxique.
L’alternative proposée a été d’administrer une fois par jour 1/8e de cuillère à café de poudre d’oignon dans l’alimentation (humide) de l’animal. Après dix jours de traitement, le chat a été revu en suivi. Son hématocrite avait chuté à 52,5 % et l’examen du frottis sanguin indiquait la présence de rares corps de Heinz (< 1 %), témoins d’une hémolyse oxydative discrète. Le deuxième suivi à J17 confirmait le maintien d’un hématocrite dans les valeurs usuelles (HCT = 58 %) et permettait d’espacer l’administration de la poudre d’oignon à toutes les 48 heures. Compte tenu d’une augmentation de l’hématocrite à J27 (HCT = 60,4 %), la fréquence initiale d’une fois par jour du lundi au vendredi (par convenance pour les propriétaires) a été recommandée durant tout le suivi. Après quinze mois de traitement, le profil hématologique était normal (HCT = 47,8 %).
Une thérapeutique expérimentale mais innovante
Le principe de créer une hyperhémolyse oxydative chez un chat atteint d’une polycythémie a été envisagé ici, étant donné la toxicité des traitements recommandés qui a rendu leur emploi inapplicable. Le chat est la seule espèce chez qui cette induction est possible, compte tenu de ses spécificités enzymatiques qui lui confèrent une sensibilité accrue aux dommages oxydatifs. Ainsi, bien qu’il s’agisse d’une approche presque expérimentale, la poudre d’oignon apparaît être une alternative adaptée dans certains cas précis.