Nouvelles technologies
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Spécialiste des technologies de localisation, la start-up Invoxia se positionne depuis quelques années dans le secteur des animaux de compagnie. Elle propose un nouveau collier de suivi des fréquences cardiaque et respiratoire de son animal au repos.
Les colliers connectés sont désormais monnaie courante dans le secteur animalier. D’abord tournées vers le secteur de la géolocalisation, leurs fonctionnalités ont évolué avec l’intégration de technologies associées à de l’intelligence artificielle pour suivre l’activité de l’animal (traceurs d’activité – marche, course, repos…, calories dépensées, comportement de grattage, repas). La suite logique était donc le suivi d’indicateurs de santé, comme peuvent le proposer les montres connectées. En France, Invoxia est la première entreprise à arriver dans ce créneau. Elle a pour cœur de métier les technologies de géolocalisation de véhicules (tracking GPS pour autos, motos, vélos), avec une commercialisation dans quinze pays. Dès 2018, elle s’est lancée sur le marché des animaux de compagnie avec un premier collier intégrant les technologies de géolocalisation et de suivi du niveau d’activité. Aujourd’hui, elle va plus loin et lance le Smart Dog Collar au mois d’avril 2023, un collier qui intègre en plus un suivi des fréquences cardiaque et respiratoire au repos. « Nous avons un ensemble de capteurs qui, associés à des modèles algorithmiques, vont être capables de détecter de légers mouvements au niveau du cou du chien au repos pour générer les fréquences cardiaque et respiratoire, explique Amélie Caudron, CEO d’Invoxia. Nous avons développé deux modèles différents suivant la morphologie de l’animal. Ces modèles ont été construits et entraînés sur une centaine de chiens qui couvrent la trentaine de races les plus populaires en Europe et aux États-Unis. Leur précision est de l’ordre de 97 % (fréquence respiratoire) à 99 % (fréquence cardiaque). »
Des moyennes sur une journée
La fréquence cardiaque mesurée est une moyenne de l’ensemble des mesures effectuée au cours d’une journée : « Les mesures sont prises régulièrement tout au long de la journée et de la nuit, automatiquement, dès que le chien est complètement au repos, couché. Les enregistrements durent entre une et quatre minutes, et ne sont pas espacés de moins de quinze minutes. Sur une journée, le total des enregistrements varie entre quarante minutes et deux heures (moyenne une heure) suivant l’activité de l’animal, sa fourrure et le positionnement du collier. En moyenne, une vingtaine de périodes sont utilisées pour calculer la fréquence cardiaque (une heure de mesure, trois minutes d’enregistrement), soit une dizaine la nuit et une dizaine le jour. L’application ne donne pas accès au détail de toutes les périodes de mesure de la journée. Cependant, c’est une information qui pourrait être fournie aux professionnels dans le futur et qui le sera dans le cadre des projets de recherche », précise Amélie Caudron. Le propriétaire de l’animal aura accès à toutes ces données grâce à une application, celles chiffrées tout comme des représentations visuelles de l’évolution des paramètres cardio-respiratoires. Sera également affiché un diagramme de Poincaré, soit une représentation géométrique de la variation des fréquences.
À ce stade, il n’y a qu’une application et pas de plateforme Web utilisateur. À terme, en fonction des avancées sur la télésurveillance, un axe de développement pourrait fournir un accès aux données aux vétérinaires. Le collier peut être mis à jour à distance, tout comme l’application.
De futurs projets de thèses vétérinaires
L’évolution du collier d’Invoxia vers la santé s’est faite sur les conseils de Valérie Chetboul, professeure de cardiologie vétérinaire à l'École nationale vétérinaire d'Alfort (docteure en médecine vétérinaire, PhD, diplômée de l'European College of Veterinary Internal Medicine-Companion animals), qui ne tarit pas d’éloges sur cet outil, surtout sur les perspectives d’usage en médecine vétérinaire. Comme elle le rappelle, des études ont montré que, lors d’insuffisance cardiaque congestive, le meilleur paramètre pour suivre la bonne efficacité d’un traitement est la fréquence respiratoire à la maison, notamment au repos ou, mieux, pendant le sommeil. « Les mesures effectuées par les propriétaires peuvent être limitées. Là, cet outil permettra d’avoir des enregistrements avec une plus grande précision et sur une plus longue période de temps. Un autre usage qui pourrait s’envisager est le suivi des chiens à risque de myocardiopathies dilatées, comme le Doberman. Peut-être l'outil nous aidera-t-il à détecter précocement des arythmies grâce au diagramme de Poincaré, qui seront ensuite à confirmer par la méthode de référence (Holter). » Valérie Chetboul n’a pas encore expérimenté le collier, mais il est déjà prévu des travaux de thèse pour évaluer son bénéfice et les usages possibles. Invoxia annoncera bientôt ces différents projets qui seront lancés, thèses mais pas que… recherches, essais cliniques, sachant que la cardiologie n’est pas la seule discipline visée : l’entreprise s’intéresse également aux problèmes d’arthrose et d’épilepsie. En attendant, pour la professeure Chetboul, le vétérinaire praticien peut quand même dès à présent s’appuyer sur ce genre d’outils dans sa pratique. « Dans les recommandations de l’American College of Veterinary Internal Medicine sur la maladie valvulaire dégénérative mitrale, la fréquence cardiaque est identifiée comme la meilleure variable prédictive d’une décompensation cardiaque. Donc cela a déjà un intérêt majeur pour le suivi des chiens atteints de cette cardiopathie, d’autant plus qu’on disposera en plus de la fréquence cardiaque, qui est aussi un paramètre utile au suivi, tout comme le niveau d’activité de l’animal. »
Une tendance vers le suivi santé
Invoxia n’est pas le premier objet connecté à aller sur le terrain de la santé cardio-respiratoire du chien. Comme le rappelle Annick Valentin-Smith, de Vet In Tech, au moins deux dispositifs sont disponibles sur le marché français et à destination des vétérinaires : il s’agit de Dinbeat Uno, un harnais connecté qui fournit aussi les fréquences cardiaque et respiratoire, ainsi que l’électrocardiogramme, et de Cardiags, une sonde à poser directement sur la cage thoracique pour enregistrer la fréquence cardiaque et l’électrocardiogramme. « La grande différence est qu’avec un collier, on va pouvoir suivre en continu les paramètres de santé, quand les autres dispositifs correspondent à des usages plus ponctuels, par exemple en consultation ou à la suite d'une intervention. » Comme elle le souligne, la tendance, forte, est à l’évolution vers des colliers connectés avec des fonctionnalités de plus en plus élaborées et plus proches de la santé humaine, en lien avec l'amélioration de la qualité et la sensibilité des nouveaux capteurs. Dans la même veine, on trouve aux Etats-Unis Petpace et Voyce, des colliers qui proposent tous les deux un suivi cardiorespiratoire chez le chien.
« Tous ces dispositifs en sont au même stade : il y a la preuve de concept, mais pas encore d’études cliniques qui ont pu montrer leur supériorité par rapport aux techniques de référence. Cela demande beaucoup d’argent, de temps, et des vétérinaires disponibles, ce qui n’est pas facilement à la portée d’une start-up », poursuit Annick Valentin-Smith.
Pas de cadre réglementaire
Dans ces conditions, comment se fier à ces nouveaux outils ? « La question centrale est celle de la fiabilité des données collectées : ce n’est pas forcément si évident de capter la fréquence cardiaque avec un animal, qui bouge, qui a des poils… Est-ce que la donnée mesurée correspond bien à ce qui est annoncé, est une autre question. Par exemple, différencier l’animal qui mange de celui qui boit est difficile. C’est plus facile pour la simple activité mesurée par un accéléromètre. Il y a aussi potentiellement une question de sécurité : la fonction de géolocalisation peut être détournée pour géolocaliser les propriétaires. Autre point majeur : personne ne sait ce qui est fait des données collectées : où sont-elles stockées ? Sont-elles monétisées ? » Toutes ces questions découlent directement de l’absence de cadre réglementaire. « Il n’y a pas d’obligation de marquage CE, ni aucune réglementation spécifique pour ces objets connectés, comme c’est le cas pour les dispositifs médicaux en médecine humaine. Dans ce cadre, à qui faire d'éventuelles remontées de matériovigilance ? Au final, c’est généralement l’usage sur le marché qui définit la réussite ou l’échec de ces dispositifs. » Quel avenir peut-on envisager ? « Il y a clairement un marché, mais il faudra que ces dispositifs montrent un réel avantage par rapport aux solutions existantes qui ont fait leurs preuves. »