Jurisprudence
ENTREPRISE
Auteur(s) : Par Céline Peccavy
Quand la justice s’improvise diseuse de bonne aventure, on obtient un pari sur la vie. Retour sur une affaire où le futur est au centre des débats.
Les faits
À l’origine de notre histoire, un chiot femelle de race Berger allemand né en septembre 2017. Le chiot va être cédé par M. E., éleveur professionnel de la race, le 12 janvier 2018 à un particulier pour la somme de 700 euros. Avant cela (mais tout de même le même jour) et comme il convient, le chiot est vu pour un examen vétérinaire. Le compte rendu établi par le Dr V. ne signale rien.
Pourtant, dès le 5 février 2018, un autre vétérinaire va constater chez la chienne une absence de développement des doigts 3, 4 et 5 du postérieur droit. Les conséquences sont les suivantes : lésions chroniques du coussinet et usage recommandé de bottines de protection.
Le litige
Le Dr V. va de son côté trouver et signer un arrangement amiable avec le propriétaire de la chienne consistant en le remboursement intégral du prix de vente, à savoir 700 euros.
Côté éleveur en revanche, cela bloque, et ce défaut d’accord va conduire le propriétaire de la chienne à saisir la justice le 27 septembre 2019. Quelques semaines plus tard, l’éleveur appellera en garantie dans la cause le Dr V.
Les sommes qui lui sont réclamées sont en effet impressionnantes au regard du prix de vente, et l’éleveur considère qu’à l’origine de la situation se trouve un manquement du vétérinaire.
Dans le détail, l’acheteur réclame ainsi : 860 euros au titre des frais de soins engagés, 8 000 euros au titre des frais de santé et dépenses futures et 1 000 euros de préjudice moral.
Une réclamation sur les frais futurs est malheureusement assez habituelle en matière judiciaire. Elle ne prospère généralement pas. La raison en est simple : juridiquement, pour qu’un préjudice soit indemnisé, il faut qu’il soit certain. Le futur est par nature incertain. Pour cette raison, une demande de dommages et intérêts au titre de futurs frais est le plus souvent rejetée.
Les jugements
En ayant en tête ce principe, on tombe de haut en lisant le jugement rendu en première instance. Le tribunal judiciaire de Chambéry (Savoie), par jugement du 25 janvier 2021, va en effet lourdement condamner l’éleveur : 764,12 euros au titre des dépenses de santé actuelles, 5 603,51 euros au titre des frais futurs, 800 euros au titre du préjudice moral. Pour estimer le futur, le tribunal, qui n’a pas utilisé une boule de cristal, s’est lancé dans un calcul mathématique : 764,12 euros dépensés entre le 27 juin 2018 et le 7 janvier 2020, soit en dix-huit mois + une espérance de vie moyenne de onze ans. Cela a amené la juridiction à effectuer le calcul suivant : (764,12 euros x 12 ÷ 18) x 11 années = 5 603,51 euros. Comme nous le disions : un vrai pari sur la vie où il est certain que cette chienne va vivre onze années, pas une de plus et pas une de moins… Quant au Dr V., il est jugé qu’il n’a commis aucune faute lors de son examen avant la vente.
Incompréhensible au regard du droit, la décision va faire l’objet d’un appel de la part de l’éleveur. Direction la cour d’appel de Chambéry pour tenter d’obtenir une meilleure sentence. Mais le résultat de cette nouvelle procédure contenu dans l’arrêt rendu le 5 janvier 2023 va se révéler bien décevant pour l’appelant.
Le Dr V. est à nouveau jugé comme n’avoir commis aucune faute.
Quant à la chienne, il est désormais certain qu’elle vivra onze ans, la cour d’appel reprenant cette estimation future qui ne repose sur rien. Toutefois, le calcul change. La cour a écarté des factures produites sur les dépenses qui ne sont pas en lien avec le souci et a considéré que si la chienne doit bien vivre onze ans, il y a deux ans de frais passés et neuf ans de frais futurs (là où il est vrai que le tribunal avait effectué un calcul sur treize ans). L’indemnisation des frais futurs passe alors de 5 603 euros à 3 240 euros. Indemnisation réduite donc, mais toujours fort contestable.
En conclusion, quand la justice s’entête à prédire l’avenir, la note devient salée pour l’éleveur devant garantie.
Commentaire de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Chambéry le 5 janvier 2023.