« Apprendre à vivre avec l’influenza aviaire » - La Semaine Vétérinaire n° 1987 du 28/02/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1987 du 28/02/2023

Rapport parlementaire

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

L’ampleur des crises d’influenza aviaire hautement pathogène a poussé la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale à élaborer un rapport d’information à ce sujet. Quarante recommandations sont proposées avec en toile de fond la volonté d’évoluer vers des « filières résilientes et durables ».

En vertu de l’article 145 du règlement de l’Assemblée nationale, les commissions permanentes peuvent se saisir de sujets à des fins de contrôle de la politique du gouvernement. C’est dans ce cadre que la commission des affaires économiques s’est penchée sur un rapport d’information1 à propos des crises successives d’influenza aviaire hautement pathogène, sur proposition du groupe écologiste. Philippe Bolo (Maine-et-Loire, Modem et Indépendants) et Charles Fournier (Indre-et-Loire, Écologie-Nupes) en sont les deux rapporteurs.

Pour ces deux députés, le constat est sévère : ni les mobilisations et l’engagement des parties prenantes, ni la politique publique sanitaire en place n’ont pu enrayer l’installation de la mécanique de crise. En particulier pour la saison 2021-2022, caractérisée par un triste record avec 1 378 foyers domestiques dénombrés, contre 82 en 2016-2017, 492 en 2020-2021 (et 315 foyers en élevage et 87 en oiseaux captifs pour la saison 2022-2023). « C’est une leçon d’humilité qui doit nous obliger à agir préventivement pour réduire les crises et leurs conséquences imprévisibles », a écrit en préambule Philippe Bolo.

Un mauvais bilan de gestion de crise

Pour la saison 2021-2022, face à des services de l’État débordés, des « défaillances importantes » sont constatées, notamment concernant la mise à mort et le traitement des cadavres. Auditionnée, l’organisation non gouvernementale Compassion in World Farming, qui promeut un élevage durable, a rapporté que « l’administration, ne pouvant plus gérer l’euthanasie de la masse d’animaux contaminés ou qui pourraient l’être par principe de précaution, a demandé aux éleveurs l’arrêt de l’alimentation des animaux et/ou l’arrêt des ventilations pour provoquer la mort des animaux par asphyxie ». « L’agonie des oiseaux peut durer plusieurs heures. À notre connaissance, cette pratique ne semble pas commune dans les autres pays européens confrontés à de telles épizooties », a rapporté l’association Welfarm, qui agit pour la protection mondiale des animaux de ferme. Un témoignage glaçant d’un éleveur de poulets de chair en Vendée relate cette situation. Les capacités d’équarrissage ont également été dépassées, conduisant à des délais de récupération des cadavres allongés et à la pratique de l’enfouissement. Cette gestion des cadavres a soulevé des questions de biosécurité, et « reste un vrai traumatisme pour les éleveurs concernés », ont rapporté les députés. À cela s’ajoute un bilan financier assez catastrophique : pour la période 2021-2022, les pertes économiques sont estimées à 1,1 milliard d’euros environ (montant des indemnisations sanitaires et économiques).

Ces traumatismes posent la question de l’attractivité de la filière et du renouvellement des générations d’éleveurs. Selon la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, près de 15 % des éleveurs de volailles auraient arrêté leur activité en Vendée.

Les recommandations des députés

Une fois les constats établis, les députés ont établi 40 recommandations dans un contexte de possible endémisation de l’influenza aviaire sur le territoire, impliquant donc un risque présent toute l’année et non plus saisonnier. Il faut « apprendre à vivre avec le virus », ont-ils écrit. Pour ce faire, ils proposent deux niveaux d’actions : des mesures de court terme pour la gestion de crise et d’autres à long terme avec l’optique d’évoluer vers « des filières résilientes et durables ». Ces préconisations vont dans le sens du plan d’action2 annoncé fin juillet 2022 par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Mais le rapport met en avant, et c’est tout l’intérêt d’un travail parlementaire, des points de crispation associés à la gestion de crise. Les députés se positionnent pour un assouplissement supplémentaire de la mise à l’abri concernant les systèmes de plein air et les circuits courts. Rappelons que la politique3 de la mise à l’abri avait déjà évolué en 2021 vers une adaptation des conditions de claustration selon les systèmes d’élevage. Pour les députés, il faut encore affiner et personnaliser ce point. Ils s’interrogent sur le rôle des élevages de plein air dans la diffusion virale et en appellent à mobiliser la recherche pour évaluer l’efficacité des mesures de mise à l’abri sur la propagation du virus.

Pour un modèle familial

La vaccination est jugée indispensable et est aussi l’occasion de parler du maillage vétérinaire. Celui-ci apparaît insuffisant dans de nombreux départements pour mener des campagnes de vaccination, amenant à donner l’autorisation à d’autres professionnels de vacciner si besoin. « À plus long terme, la question du maillage vétérinaire doit faire l’objet de travaux approfondis ». Sur le long terme justement, la question de fond soulevée est le modèle souhaitable pour l’élevage avicole de demain. Dans ce cadre, les rapporteurs prennent position pour un modèle de production « différent du modèle intensif », ce dernier étant associé à « des risques importants en matière de biosécurité et contredit les aspirations citoyennes pour une agriculture plus durable et ancrée dans les territoires ». « Les modèles industriels ont sans doute contribué à la diffusion internationale du virus – quand ces modèles n’en sont pas à l’origine tout simplement », notent les députés. De fait, ils se positionnent pour un modèle familial avec une diversité des élevages, dont le plein air, moins denses, plus autarciques et mieux répartis sur le territoire. En cohérence également avec les attentes citoyennes tout comme les politiques publiques qui vont dans le sens de plus de bien-être animal. Au final, face aux « nombreuses controverses et incertitudes qui subsistent sur les causes de l’épidémie », les députés appellent à avancer collectivement, et proposent d’organiser des journées d’étude, avec le ministre, pour favoriser le dialogue et la recherche de solutions collectives.

  • 1. Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement par la commission des affaires économiques sur la grippe aviaire et son impact sur les élevages. bit.ly/3KQLHKx.
  • 2. Halfon T. Branle-bas de combat contre une nouvelle crise d’influenza aviaire. La Semaine Vétérinaire n° 1956 du 6 septembre 2022. bit.ly/41nPqXe.
  • 3. Arrêté du 29 septembre 2021 relatif aux mesures de biosécurité applicables par les opérateurs et les professionnels liés aux animaux dans les établissements détenant des volailles ou des oiseaux captifs dans le cadre de la prévention des maladies animales transmissibles aux animaux ou aux êtres humains. JORF n° 0228 du 30 septembre 2021. bit.ly/3KKQwF6.