Réglementation
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Tanit Halfon
La prochaine loi d’orientation et d’avenir agricoles ne sera pas celle qui fera avancer le dossier de la biologie vétérinaire. En attendant, à l’Ordre, un consensus a été acté.
Cela fait presque dix ans que le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) a pris position sur le fait que l’acte de biologie vétérinaire était un acte vétérinaire (avis de décembre 2015, voir encadré). On connaît la suite : aucun cadre officiel spécifique n’a pu être instauré afin de garantir les standards qualité et organisationnels (cahier des charges des établissements, qualification des vétérinaires…) des activités de biologie vétérinaire à des fins privées. Il n’y a pas de définition juridique du laboratoire de biologie vétérinaire, ni du contour exact des actes de biologie. Il existe toutefois quelques garanties1 : par exemple, l’arrêté du 22 juillet 2015 précise que les tests de sensibilité aux antibiotiques sont à réaliser dans des laboratoires vétérinaires selon des méthodes standardisées et validées. En même temps, le secteur de la biologie vétérinaire s’est progressivement transformé avec l’arrivée de mastodontes : des multinationales avec fonds d’investissement associés. Non sans remous2,3,4. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Lors de son discours de début d’année 2023, Jacques Guérin, président du CNOV, formulait le vœu « qu’enfin la biologie vétérinaire puisse trouver sa base législative […] Elle ne peut rester dans le vide juridique dans lequel elle a été reléguée depuis bientôt dix ans5. L’occasion de la loi d’orientation et d’avenir agricoles doit être saisie à cet effet ». Malheureusement, c’est encore raté. Interrogé, il déclare que « la biologie vétérinaire ne fait pas partie des thématiques portées par la loi d’orientation et d’avenir agricoles. Aujourd’hui, j’en déduis que nous n’aurons pas de véhicule législatif ».
Des premiers pas en 2016
Fin juin 2016, l’Ordre avait entrepris un premier travail de recensement6 des laboratoires et des compétences vétérinaires associées, avec l’objectif de régulariser la situation : inscription des vétérinaires y exerçant au tableau de l’Ordre, tout comme « à terme » des laboratoires. Ces derniers effectuant des actes vétérinaires devraient donc répondre aux règles relatives aux sociétés telles que définies dans l’article L241-17 du Code rural et de la pêche maritime. Outre l’inscription à l’Ordre, il y a également toutes les règles sur la répartition du capital social, des droits de vote, et sur le profil des détenteurs qu’il convient de respecter. Rappelons que, côté établissements de soins vétérinaires, ce sont ces mêmes règles qui sont au centre du conflit entre l’Ordre et certains groupes – le Conseil d’État doit rendre prochainement sa copie sur le sujet.
Un mois plus tôt, en mai 2016, le président de l’Ordre, Michel Baussier, adressait un courrier7 aux vétérinaires, leur rappelant l’importance de savoir à qui sont confiées ses analyses en externe. « Il convient, quand on est praticien, de s’interroger, en termes de responsabilité assumée, sur les compétences vétérinaires du laboratoire auquel le prélèvement est adressé », écrivait-il. Dans ce cadre, il y a le choix entre laboratoires privés et publics départementaux ou régionaux, mais des situations posent question : « Les laboratoires publics semblent avoir bien rempli leurs missions en termes de qualifications professionnelles présentes et notamment de compétences vétérinaires adaptées. Toutefois, il semble que des inquiétudes sérieuses puissent se faire jour dans certains de ces laboratoires publics départementaux ou régionaux par carence de diplômes de vétérinaires et donc de compétences adaptées à la médecine des animaux. Par exemple, certains laboratoires proposeraient même aujourd’hui, en toute illégalité mais surtout en toute incompétence, des autopsies réalisées en l’absence de tout vétérinaire ! »
Les limites de l’inscription à l’Ordre
Il rappelait également l’interdiction d’envoyer ses prélèvements à des laboratoires de biologie humaine. En effet, la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale a acté que l’activité des laboratoires de biologie médicale porte exclusivement sur des prélèvements d’échantillons biologiques issus d’un être humain ; il s’agit d’un acte de médecine (article L6211-1 du Code de la santé publique). « L’interrogation sur la légalité de la situation est certes une chose, mais ce qui est le plus important est le questionnement sur la qualité du service rendu, laquelle découle nécessairement, dans ce domaine, de compétences vétérinaires spécialisées. Or bon nombre de résultats rendus par ces laboratoires de proximité sont dignes de faire partie d’un véritable bêtisier… »
Aujourd’hui, « ce qui a été fait est de s’assurer de l’inscription à l’Ordre des vétérinaires qui font des diagnostics vétérinaires », indique Jacques Guérin. Pour le reste, plusieurs réunions de travail ont permis de clarifier ce que devrait contenir une « loi de biologie vétérinaire », avec un consensus : « À terme, nous envisageons que certains laboratoires ne soient pas inscrits au tableau de l’Ordre. Il est notamment difficile d’imposer aux sociétés d’envergure internationale d’entrer dans le cadre des sociétés d’exercice vétérinaire visées par l’article L241-17 du Code rural et de la pêche maritime. Je ne souhaite pas que ces sociétés n’aient que pour seule alternative de s’installer hors de France. Ce que nous demandons, c’est d’avoir dans ces sociétés au moins un vétérinaire désigné responsable des activités de biologie, de la qualité des prestations proposées et qu’il soit sous l’autorité de l’Ordre des vétérinaires en tant que le levier de modération de l’activité de biologie vétérinaire de la société. »
Il poursuit : « Il y a aussi la problématique des laboratoires vétérinaires départementaux. Aujourd’hui, ils ont une base pour réaliser des contrôles officiels, pour autant les directeurs ne sont pas forcément tous vétérinaires. De plus, une partie de leurs activités est concurrentielle avec les mêmes problématiques générales que les laboratoires privés de biologie vétérinaire. » Pour Jacques Guérin, il faudra aboutir à une solution qui engloberait tous les pans de la biologie vétérinaire. Dans ce cadre, la question de la formation vétérinaire est essentielle.
Dépasser le statu quo
Pour l’Ordre, l’enjeu est donc de clarifier sans simplifier la problématique, ni restreindre le développement du secteur. « Dans les laboratoires, il y a des compétences non vétérinaires qui sont utiles. C’est cette dualité que nous devons essayer d’articuler dans l’objectif d’avoir une biologie vétérinaire innovante. » Les enjeux ne sont pas d’ordre capitalistique, soutient-il. « Si le choix de la société est d’être inscrit à l’Ordre se pose la question des tiers investisseurs. Aujourd’hui, aucun dossier n’a montré d’irrégularité. Sur ce point, la décision du Conseil d’État pour les établissements de soins vétérinaires permettra d’encore mieux cerner les enjeux réglementaires pour les laboratoires de biologie vétérinaire. » Et l’indépendance ? « Cette dernière n’est pas spécifique à la biologie vétérinaire. Dès lors qu’il est dit qu’un vétérinaire doit être à la base du diagnostic vétérinaire, cela signifie qu’il doit disposer de son indépendance dans le choix de l’analyse et des procédures qui conduisent à établir un diagnostic vétérinaire. Il n’y a pas de problématiques particulières à la biologie vétérinaire même si des flux d’investissements sont constatés. »
Quelle est la suite ? « Une ouverture possible, que j’entrevois, est maintenant de porter le dossier en sollicitant directement des parlementaires, souligne-t-il. Mais force est de constater que nous sommes actuellement dans un statu quo, dans lequel l’absence de cadre législatif et réglementaire empêche d’avancer. Je crains que ce sujet me survive à la présidence du Conseil national. »
Un acte vétérinaire
L’acte de biologie vétérinaire*, soit l’acte qui est réalisé à partir d’un prélèvement issu du corps d’un animal, doit être considéré comme un acte vétérinaire, comme cela est défini dans l’article L 243-1 du Code rural et de la pêche maritime. « Ces actes ne peuvent donc, sauf dispositions légales, être effectués que par un vétérinaire en exercice remplissant les conditions de l’article L241-1. Les autres personnes qui réaliseraient de façon habituelle de tels actes sont susceptibles d’enfreindre la loi en exerçant illégalement la médecine et la chirurgie des animaux », avait notifié l’Ordre dans un avis de décembre 2015.
* Ordre national des vétérinaires. Activités réservées : bit.ly/3AeGwPH