Des avancées françaises pour la vaccination contre la peste porcine africaine - La Semaine Vétérinaire n° 1987 du 28/02/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1987 du 28/02/2023

echerche

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Un candidat vaccinal a été identifié par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, avec une utilisation possible par voie orale créant ainsi un précédent à une vaccination de masse des sangliers. La mise au point d’un vaccin mobilise aussi d’autres équipes de recherche dans le monde. 

La recherche sur la vaccination contre la peste porcine africaine (PPA) progresse. En France, un candidat vaccinal a été identifié lors d’expérimentations menées par l’unité de virologie immunologie porcines de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) de Ploufragan-Plouzané-Niort dans le cadre de son mandat de laboratoire national de référence (LNR). La découverte est le fruit du hasard : lors d’un essai d’inactivation de la souche1 Georgia 2007/1 par un traitement thermique (60 °C, deux heures), les scientifiques ont obtenu une souche atténuée, nommée ASFV-989, qui s’est avérée très prometteuse pour la protection clinique et virologique des porcs. Les premiers résultats ont été publiés dans la revue Viruses2 en décembre 2022. D’une part, il est apparu que la souche confère une protection clinique parfaite : tous les porcs « vaccinés » ont survécu à un challenge infectieux, sans aucun signe clinique et ce, dès quinze jours post-inoculation, que cette dernière soit introduite par voie oro-nasale (ON) ou intramusculaire (IM). D’autre part, au niveau virologique, il n’y a quasiment pas de détection de la souche Georgia chez les porcs immunisés et soumis à un challenge infectieux.

Des étapes franchies vers une éventuelle production industrielle

Côté innocuité, l’administration de la souche atténuée par la voie IM a été associée à un nombre limité d’euthanasies liées à la dégradation de l’état de santé (perte de poids, difficultés respiratoires et gonflement des articulations) entre 10 et 14 jours post-inoculation (3 porcs sur 17, taux de survie global de 82 %). Pour la voie ON, tous les porcs ont survécu à l’inoculation. Une fièvre passagère associée à un retard de croissance a été observée après inoculation. L’analyse des réponses immunitaires a montré une séroconversion entre J7 et J11 (voie IM ou ON), ainsi qu’une réponse à médiation cellulaire à partir de J13 (puis confirmée à J27) plus élevée pour les animaux inoculés par voie ON. La virémie après inoculation de la souche atténuée était 100 à 1 000 fois inférieure à celle obtenue après une infection par le virus Georgia.

Face à ces bons résultats, un brevet a été déposé. Depuis ces premières expérimentations, d’autres étapes ont déjà été franchies, explique Olivier Bourry, vétérinaire virologue et responsable adjoint au LNR, interrogé sur la suite des recherches. « Notre souche avait été initialement produite sur des macrophages alvéolaires porcins, ce qui implique de devoir sacrifier un animal pour produire le milieu de culture. Nous avons réussi à adapter la souche pour qu’elle puisse se multiplier sur une lignée de cellules d’origine porcine », explique-t-il. Au-delà de l’aspect éthique, il s’agit bien entendu d’un passage obligé pour une éventuelle production industrielle. « La réévaluation de la souche adaptée sur lignée a confirmé son efficacité, et a même montré une meilleure innocuité pour les deux voies d’immunisation, IM et ON », précise-t-il.

Des recherches internationales

La France n’est pas le seul pays dans la course au vaccin contre la PPA. Plusieurs équipes de recherche en Europe y travaillent, notamment au Royaume-Uni, en Allemagne et en Espagne, a indiqué Olivier Bourry. Si d’autres approches vaccinales ont été testées par le passé, la plupart des équipes ont aujourd’hui la même approche de vaccin vivant atténué. Des équipes chinoises étudient également cette question, mais les informations sur leurs recherches sont moins accessibles. Outre-Atlantique, des recherches sont particulièrement actives aux États-Unis : c’est d’ailleurs le premier pays à avoir franchi l’étape d’essais sur le terrain… au Vietnam. « Les équipes américaines de l’Agricultural Research Service de l’United States Department of Agriculture travaillent sur différentes souches dont une qui est très proche de la nôtre au niveau génomique3 (∆MGF). Elle a été brevetée en 2015 et est actuellement exploitée par un laboratoire pharmaceutique en vue du développement d’un vaccin. Au Vietnam, d’autres souches sont au stade d’essais de terrain dont l’ASFV-G-∆I177L. À la différence de la première, celle-ci n’a pas été produite sur une lignée cellulaire d’origine porcine, mais sur des macrophages de porcs. Les premiers essais sur le terrain ont donc été réalisés dans un cadre un peu plus précoce, avec des exigences moindres que celles demandées en Europe, en lien avec la situation sanitaire du pays vis-à-vis de la PPA. » Au Vietnam, fin janvier 2023, le ministre de l’Agriculture4 annonçait d’ailleurs qu’un vaccin pourrait être déployé dès février sur l’ensemble du territoire.

Répondre aux exigences de la réglementation

Pour Olivier Bourry, il faudra encore attendre entre cinq et dix ans avant d’arriver à un vaccin sur le terrain en Europe. « Avant, ce sera difficile avec les standards d’exigence au niveau européen. Il faut en passer par toutes les études demandées dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché : études sur l’innocuité, sur la capacité de transmission de la souche vaccinale, de réversion… en conditions expérimentales puis en conditions réelles. Il ne faut pas oublier les délais d’instruction pour les autorisations de mise sur le marché, tout comme les délais pour la production. En parallèle, il faudra également que la réglementation européenne autorise l’usage de la vaccination, dont celle pour les sangliers qui nécessite également des études spécifiques. » En Europe de l’Ouest, c’est cette vaccination qui pourrait être envisagée, étant donné que les méthodes de gestion traditionnelle ont montré leur efficacité sur les quelques foyers de maladies détectés en élevage de porcs, souligne le chercheur, sauf si la situation sanitaire devenait plus défavorable. La vaccination des sangliers serait alors un bon outil complémentaire de contrôle de la maladie afin de faire baisser la pression d’infection chez les porcs d’élevage. En revanche, en Europe de l’Est ou en Asie, la vaccination des porcs domestiques semble un outil important dans la maîtrise de la maladie.

La situation dans le monde 

En Europe1, 17 pays sont actuellement touchés par la peste porcine africaine (dont la Russie). Pour l’instant, la maladie sévit surtout en Europe de l’Est, mais son incursion en Allemagne puis en Italie continentale fait resurgir le risque d’introduction en France, après une première menace qui avait touché la Belgique. Rappelons que la Belgique avait réussi à éradiquer la maladie de son territoire en deux ans. En Italie, le virus a été détecté dans deux zones : aux environs de Rome et surtout dans le Piémont, avec des derniers cas de sangliers détectés à 61 km de la frontière française. En Italie du Nord, le virus circule activement au sein des populations de sangliers, avec un rapprochement des individus positifs vers la France au-delà des zones clôturées. Une diffusion vers le nord et l’est est également constatée. 

En Europe, tous les cas de peste porcine africaine appartiennent au génotype II (souches apparentées à la souche Georgia 2007).

La maladie sévit également dans les Caraïbes, en République dominicaine et en Haïti depuis 2021. Les Antilles françaises restent épargnées comme la Guyane.

En Asie2, la peste porcine africaine est présente dans presque vingt pays dont la Chine et l’Asie du Sud-Est.

1. Plateforme Épidémiosurveillance santé animale. Bulletin hebdomadaire de veille sanitaire internationale du 28 mars 2023. bit.ly/3UOALBT.

2. African swine fever (ASF) situation update in Asia and Pacific. Food and Agriculture Organization of the United Nations; 2023. bit.ly/41EkpOZ.

  • 1. Souche isolée en 2007 chez un porc domestique en Géorgie (Caucase).
  • 2. Bourry O., Hutet E., Le Dimna M., et al. Oronasal or Intramuscular Immunization with a thermo-attenuated ASFV strain provides full clinical protection against Georgia 2007/1 challenge. Viruses. 2022;14(12):2777.
  • 3. O’Donnell V., Holinka L.G., Gladue D.P., et al. African swine fever virus Georgia isolate harboring deletions of MGF360 and MGF505 genes is attenuated in swine and confers protection against challenge with virulent parental virus. J Virol. 2015;89(11):6048-56.