Nutrition
FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Victoria Auffray Cet article est le dernier1,2 d’une série de trois sur la nutrition des abeilles.
La gestion alimentaire des colonies d’abeilles présente de nombreux avantages. Elle permet de pallier le manque de ressources de l’environnement et les carences (manque de pollen, de nectar, soutien en cas de climat défavorable). Elle améliore également les performances d’une colonie (développement optimal et nombre d’individus suffisant en période charnière, préparation à l’hivernage, obtention de colonies populeuses pour les diviser et produire de nouveaux essaims). Enfin, elle soutient une colonie affaiblie par une maladie ou des pertes d’individus. Dans cette optique, diverses méthodes sont possibles.
Adapter la méthode au contexte
La transhumance, déplacement des ruches au rythme des floraisons particulières (orangers en Espagne, par exemple), permet de diversifier les ressources dans le temps et de prévenir les trous de miellée, d’augmenter le nombre de récoltes et d’élaborer des miels monofloraux prisés des consommateurs. Cette pratique est toutefois controversée car le transport sur de longues distances affaiblit les abeilles et les désoriente.
La réimplantation d’une diversité végétale – par des mélanges de plantes nectarifères ou pollinifères – dans l’environnement du rucher (haies, bandes fleuries) offre des floraisons successives sur une période de temps la plus longue possible.
La complémentation directe à la ruche, ou nourrissement, consiste en l’apport direct dans la ruche de support protéique, glucidique ou mixte. Elle peut se faire dans plusieurs contextes :
- au début du printemps, quand le temps est médiocre, pour renforcer la ruche afin qu’elle puisse élever le couvain avant les premières floraisons ;
- en fin de saison, pour avoir des abeilles fortes, prêtes à affronter la période froide ;
- lorsqu’une colonie montre des signes de déclin ou que les stocks sont faibles.
Pour complémenter de façon efficace, il convient de bien connaître la situation de ses ruches et l’état des lieux de leurs réserves, afin de proposer le complément le plus adapté.
Complémenter en glucides avec du miel, du sirop…
La complémentation glucidique permet de prévenir une disette et de préserver une colonie l’hiver, mais aussi de stimuler la ponte de la reine, dans le but d’augmenter le nombre d’individus avant une miellée.
Le miel représente la source idéale pour les abeilles, car il est très digeste et riche. Cependant, il présente quelques inconvénients : son coût est élevé ; il peut être vecteur de maladies, comme les loques, la nosémose ou l’ascosphérose (maladie fongique) ; et mal conservé ou trop vieux, il peut s’avérer indigeste. Il favorise également les comportements de pillage et d’agressivité des abeilles, mettant en danger les ruches à proximité.
Une autre solution est le sirop, composé globalement de 25 % d’eau et de 75 % de glucides. Il contient des proportions variables de saccharose, de fructose, de glucose et autres sucres. On note deux origines principales. Les sirops issus de la canne à sucre ou de la betterave, qui sont très proches de la composition du miel et plus facilement assimilables par les abeilles. Ils contiennent une majorité de saccharose qui, après réaction enzymatique, est hydrolysé en glucose et en fructose. Les sirops issus d’amidon hydrolysé (de blé, de maïs…) comportent plus de sucres complexes et sont donc moins bien assimilés par les abeilles. Ils restent bien tolérés, et leur coût est plus modéré. L’apiculteur peut fabriquer son propre sirop, mais les procédés plus aléatoires les rendent moins sûrs que ceux du commerce.
… ou avec de la pâte à sucre
Le sirop permet de mimer l’effet nectar : il encourage les abeilles à élever le couvain et à chercher du pollen, et relance la ponte de la reine au tout début du printemps. L’apport recommandé est d’un à deux litres une ou deux fois par semaine pendant trois semaines. En période automnale, il peut réamorcer une dernière ponte pour obtenir une population d’abeilles d’hiver suffisante pour la survie de la colonie. L’administration doit être méticuleuse car le sirop attire les fourmis.
Le sucre peut être apporté sous une forme solide, le candi, une pâte de sucre finement broyée qui ne durcit pas, contenant 80 % de saccharose de betterave et enrobé de sirop de glucose. Consommé plus lentement par les abeilles, il n’a pas d’effet stimulant et présente, à la différence du sirop, l’avantage de pouvoir être utilisé en période froide (< 10 °C). Il n’engendre pas d’effet pillage. Il est donc tout indiqué pour les périodes de disette hivernale, après pesée de la ruche pour évaluer les réserves de la colonie. Rarement stocké, il présente peu de risques quant à l’adultération mais l’excédent doit être retiré, par précaution, au printemps. L’apport idéal est d’environ 1 kg par mois et par ruche.
Complémenter en protéines
L’apport de protéines peut permettre de maintenir ou d’augmenter l’élevage du couvain quand la quantité ou la qualité du pollen dans l’environnement sont insuffisantes. Pour l’instant, peu de spécialités et d’études sont disponibles.
Les suppléments polliniques correspondent au pollen ou pain de pollen (également appelé pain d'abeilles). Ils sont idéals car, en plus d’apporter des protéines, ils fournissent lipides et vitamines, et sont appétants. Congelé ou séché, après récolte grâce à des trappes, le pollen se conserve jusqu’à deux ans, mais se détériore vite. Il peut être acheté dans le commerce mais son origine et sa qualité, de même que son statut sanitaire, doivent être parfaitement connus au risque d’introduire des maladies.
Le pain d’abeilles, très nutritif et digeste, se conserve mieux que le pollen frais. Il doit être récolté sur des colonies fortes, ayant un nombre suffisant de butineuses pour compenser le manque (et un environnement favorable à la récolte), en retirant quelques cadres. Les risques sont les mêmes que pour le pollen frais, les cadres doivent être très bien conservés (dans une pièce fraîche voire au congélateur) pour éviter le développement de la fausse teigne de cire (Galleria mellonella), qui le rend inutilisable.
Les substituts polliniques sont des aliments protéinés contenant ou pas du pollen, sous forme de pâte ou de poudre (donnée telle quelle ou mélangée à du sirop). Les protéines qu’ils contiennent sont issues de la farine de soja ou de la levure de bière (plus attractive). Un minimum de 15 % de pollen serait requis pour que leur effet soit bénéfique. Ces substituts sont déjà très utilisés aux États-Unis mais peu développés en France. Leur influence sur la physiologie et sur la nutrition des colonies est encore méconnue mais représente un nouveau levier pour améliorer la nutrition des colonies.
Des enjeux d’avenir
Piller de bonne santé des ruches et de productivité, la gestion du volet nutrition est à ce jour essentielle dans une exploitation apicole. Elle passe par une connaissance de la physiologie et des besoins des abeilles, ainsi que des conséquences en cas de carence ou de famine, pour identifier les problèmes et réagir rapidement. Aujourd’hui, les connaissances manquent encore sur ce sujet, et de nombreuses questions subsistent : les expérimentations nous permettront-elles de valider les méthodes de complémentation protéique ? Est-il vraiment intéressant d’ajouter vitamines, levure de bière, extraits végétaux ou encore pré-/probiotiques aux apports de sucre et de protéines ? L’intelligence artificielle nous permettra-t-elle un jour d’optimiser encore plus la gestion de la nutrition des colonies ? Les études menées dans les prochaines années devraient apporter quelques réponses.
L’adultération du miel
La complémentation des ruches doit être réalisée avec précaution. En effet, l’apport de sucre, notamment de sirop, en période de miellée peut être responsable d’une fraude, appelée « adultération ». Si les abeilles sont nourries au sirop pendant une miellée forte, ou juste avant, elles stockent directement le sirop dans les alvéoles (car elles n’en ont pas besoin dans l’immédiat), il se retrouvera donc mélangé au miel, le dénaturant par l’adjonction d’un produit de moindre valeur. Cette pratique est à proscrire.
L’adultération peut être détectée aisément en laboratoire.