L’état de finance des étudiants en lien avec le mal-être - La Semaine Vétérinaire n° 1991 du 26/05/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1991 du 26/05/2023

.Enquête ENV 

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Dans son nouveau focus tiré de l’enquête sur la santé mentale des élèves des quatre écoles nationales vétérinaires, Vétos-Entraide explore les rapports entre l’état de finance des étudiants et leur état psychologique. Il permet de rendre compte de profils d’étudiants à risque, qui s’avèrent en lien avec la voie de recrutement.

La situation financière des étudiants vétérinaires impacte-t-elle l’état mental des étudiants et le déroulé de leur cursus ? C’est tout l’objet du nouveau focus1 de l’association Vétos-Entraide issu de l’enquête menée en 2022 sur la santé mentale des étudiants des quatre écoles nationales vétérinaires (ENV). « La précarité des jeunes est en augmentation depuis une dizaine d’années et ce n’est pas acceptable, y compris dans les écoles publiques vétérinaires », souligne l’association. Plus de 800 réponses ont pu être exploitées, ce qui représente environ 25 % des étudiants présents dans les ENV. Si l’analyse des données ne permet évidemment pas de valider de liens de cause à effet, ce nouveau focus thématique a au moins le mérite de mettre en lumière une population étudiante relativement peu connue et de soulever des questions sur les aides mises à leur disposition. Ainsi, une partie de la population étudiante vétérinaire nécessite-t-elle un appui financier pour leurs études supérieures. En moyenne, 31,6 % des étudiants de l’enquête sont boursiers, avec des variations suivant les écoles : 18 % de boursiers à l’ENV d’Alfort (ENVA), 40 % à l’ENV de Toulouse (ENVT), 34 % à Oniris à Nantes et 33 % à VetAgro Sup à Lyon. Ces pourcentages diffèrent plus ou moins de ce qui est effectivement observé dans les écoles2. Près de 15 % des étudiants sont concernés par un emprunt pour payer leurs études, dont environ 5 % de boursiers, avec aussi des différences suivant les écoles : 17 % d’emprunteurs à l’ENVA, 11 % à l’ENVT, 18 % à Oniris et 9 % à VetAgro Sup3. Des différences significatives sont constatées selon la voie de concours. Le taux de boursiers est plus élevé pour les étudiants issus du concours C (50 %) et du concours B (41 %) par rapport au concours A (26 %). Il y a moins de chance d’être emprunteur pour les étudiants du concours A, et plus pour ceux du concours B. Ces données posent la question des origines sociales des étudiants suivant la voie de concours.

Des jobs étudiants fréquents

L’enquête permet d’explorer aussi indirectement la situation financière des étudiants puisqu’elle interroge sur les jobs étudiants et surtout le nombre d’heures que les élèves y consacrent. Ainsi, 15 % des répondants ont déclaré travailler plus de 6 heures par semaine durant la période scolaire (et 6 % plus de 10 heures), 12,4 % entre 3 et 6 heures, 8,8 % moins de 3 heures et 18,9 % ponctuellement. Soit 55,1 % qui travaillent pour une moyenne de 4 h 30 par semaine. Il ressort des différences très significatives entre les écoles : c’est à l’ENVA et à VetAgro Sup que l’on trouve le plus d’élèves avec un job étudiant dont la charge de travail est supérieure à 6 heures par semaine. On retrouve les mêmes tendances pour les jobs hors période scolaire : 56,7 % des répondants ont indiqué travailler pendant les vacances ; près de 30 % des répondants travaillent entre un et deux mois, 16,4 % entre deux et quatre semaines ; la moyenne est de 38,7 jours de travail par an.

Il n’y a pas de détail sur la finalité du job étudiant choisi, ni s’il touche au secteur vétérinaire, mais certaines données peuvent éventuellement suggérer un lien avec les finances. Ainsi, le profil d’étudiant qui travaille le plus (plus de 6 heures par semaine ; période scolaire) est moins représenté parmi les élèves issus du concours A, et au contraire plus représenté pour les concours C et B. De plus, les étudiants emprunteurs, boursiers ou non, ont plus souvent un job étudiant pendant la période scolaire que les autres, avec un nombre d’heures travaillées plus élevé. Les différences suivant les promotions ne sont pas si parlantes, bien qu’on constate une surreprésentation des dernières années (A6) ainsi que des internes pour les jobs étudiants à plus de 10 heures par semaine. 

Des effets négatifs

En ce qui concerne les liens statistiques, les résultats s’avèrent assez variables. Il n’y a pas de lien significatif entre l’emprunt ou le fait d’être boursier, et le sentiment de tristesse, la confiance en soi, l’image corporelle et la confiance en l’avenir. En revanche, les profils emprunteurs et boursiers s’estiment moins intelligents et ont moins d’enthousiasme. Ils s’avèrent également plus représentés parmi les élèves qui ont déjà fait un burn-out, ou encore les élèves à qui ont été prescrits pour la première fois des anxiolytiques ou des antidépresseurs depuis le début de la scolarité. Le fait d’avoir un emprunt ne modifie pas l’estime de soi (peur de devenir un « mauvais vétérinaire »). À noter que les élèves emprunteurs et boursiers mangent moins suffisamment et moins équilibrés que les autres.

L’influence d’un job sur l’état mental des étudiants est un plus parlant étant donné qu’il y a eu une question spécifique à ce sujet. Ainsi, sur un peu plus de 400 étudiants avec un emploi salarié en période scolaire, presque 35 % ont répondu que ce job avait un impact très négatif (manque de sommeil et de temps libre) sur eux (notes 4 et 5 sur 5). Ce sont 28 % des étudiants avec un job hors période scolaire qui ont répondu que ce dernier avait un impact très négatif.

Il n’y a toutefois pas de liens statistiques entre le fait d’avoir un job étudiant et les paramètres relatifs à un l’état mental. Ainsi, il n’y a pas de différence significative entre les élèves avec ou sans job pour la tristesse, la confiance en soi, l’image corporelle, le sentiment d’être intelligent et l’enthousiasme. C’est la même chose pour la confiance en l’avenir, les idées noires, le burn-out ou la peur de devenir un mauvais vétérinaire. Il y a des liens en revanche entre certains de ces paramètres et le fait d’avoir un job hors période scolaire. Le sentiment d’être intelligent, l’image corporelle et l’enthousiasme sont diminués chez les étudiants qui travaillent durant toutes les vacances scolaires.

Entre autres résultats aussi : le fait de penser que son travail (en période scolaire) a un fort impact négatif sur soi est significativement lié avec la peur de devenir mauvais vétérinaire. Le fait de penser que son travail (hors période scolaire) a un impact négatif sur soi est significativement lié avec la tristesse, la confiance en soi, la confiance en son avenir, les idées noires, le burn-out, ou encore la prise d’antidépresseurs ou anxiolytiques.

Notons également qu’il y a une corrélation négative entre la charge de travail du job étudiant et l’assiduité aux cours magistraux et le travail personnel.

Attention à la dette étudiante

Pour l’association Vétos-Entraide, il faut accorder « une attention particulière » à quatre catégories d’étudiants : ceux issus des concours B ou C qui ont un job étudiant durant l’année scolaire ou les vacances ; ceux des concours B ou C avec un emprunt étudiant ; ceux avec un emploi salarié de plus de 6 à 10 heures par semaine sans lien avec le secteur d’activité vétérinaire ; et ceux qui travaillent pendant toutes les vacances scolaires. Il serait bon de s’inspirer des propositions émises dans un rapport sénatorialde 2021 sur les conditions de vie étudiante. Dans ce rapport, il était notamment ressorti que 26 % des étudiants n’avaient pas assez d’argent pour couvrir leurs besoins mensuels. Plusieurs liens relatifs aux aides financières sont mis en avant dans le rapport, sans aucun doute très utiles car regroupés dans un même document, pour les étudiants concernés par des difficultés financières. On y trouve notamment des liens pour simuler son budget étudiant. L’association préconise de lancer une enquête nationale sur les prêts souscrits par les étudiants, une dette pouvant avoir des conséquences majeures, prévient Vétos-Entraide. « L’exemple des pays anglo-saxons doit mener à une grande sagesse et une totale humilité. » Ce sujet est d’autant plus d’actualité que la nouvelle école vétérinaire française est un établissement privé dont les frais de scolarité s’élèvent à plus de 90 000 euros pour six années d’études. Pour comparaison, dans les ENV, ces frais sont d’un peu plus de 15 000 euros (environ 2 500 euros l’année à taux plein ; 1 875 euros à taux réduit).

D’autres données utiles

Une enquête exploratoire sur le même sujet avait déjà été menée en 2013 par une étudiante vétérinaire dans le cadre de sa thèse de fin d’exercice*. Elle s’était penchée sur le cas des étudiants de l’école nationale vétérinaire d’Alfort en 2011-2012. Les résultats font très fortement écho au travail de Vétos-Entraide et apportent une grille de lecture des données de l’enquête de l’association. Ils mettent notamment en lumière des populations d’étudiants particulièrement à risque : ceux qui se sont vus refuser leur demande de bourse (ou bourse supprimée – c’est l’effet seuil), qui apparaissent « globalement le plus dans des situations de difficulté économique ». Et ceux ne recevant pas de versements parentaux, parmi lesquels on trouve notamment des boursiers d’échelon intermédiaire à élevé.

* Cadinot A. Situation financière, sociale des étudiants de l’ENVA, ses répercussions sur les études et sur les premiers pas de la vie active. Thèse d’exercice [Médecine vétérinaire]; 2013. bit.ly/3Iqag0J.

  • 1. Document n° 5 : Budget et niveau de vie étudiants, financement des études et travail complémentaire au cours des études vétérinaires dans les quatre écoles nationales vétérinaires françaises. bit.ly/41TzJq8.
  • 2. 19 % de boursiers à l’ENVA (toutes promotions confondues), 34,9 % à l’ENVT, 31 % à Oniris à Nantes et 27,5 % à VetAgro Sup à Lyon (données pour l’année 2022-2023, communiquées par les écoles, hors internes).
  • 3. Les données réelles du terrain ne sont pas connues.
  • 4. Lafon L. Rapport sur les conditions de la vie étudiante en France (1) sur l’accompagnement des étudiants : une priorité et un enjeu d’avenir pour l’État et les collectivités. Sénat; 2021. bit.ly/41KL0ZK.