Diététique
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Mylène Panizo Conférencière Maud Clavel1, titulaire du certificat d’études spécialisées de diététique canine et féline, consultante en nutrition au centre hospitalier vétérinaire (CHV) Frégis (Paris) Article rédigé d’après la webconférence « Prise en charge nutritionnelle du patient cancéreux », organisée par le CHV Frégis, en partenariat avec Hill’s et SantéVet, le 11 avril 2023.
La cancérologie concerne en moyenne 10 % des consultations en médecine vétérinaire généraliste, nombre en augmentation en raison de l’allongement de l’espérance de vie des animaux de compagnie et de leur médicalisation croissante. Outre son rôle fondamental dans la prévention des tumeurs, l’alimentation occupe une place centrale dans la prise en charge du patient atteint d’un cancer.
Liens entre l’état corporel et les cancers
L’obésité se définit comme un poids supérieur à 20 % du poids optimal de l’animal. Elle correspond à une note d’état corporel (NEC) comprise entre 7 et 9/9. En plus des risques d’apparition de certaines maladies bien connues (diabète, troubles ostéo-articulaires, atteinte cardio-respiratoire…), l’obésité augmente de 33 % le risque de tumeurs. En effet, le tissu graisseux maintient un état inflammatoire chronique permanent et délétère pour l’organisme. Des études ont démontré que la prévalence des tumeurs mammaires chez les chiennes stérilisées obèses est la même que celle constatée chez les chiennes non stérilisées ayant un état corporel optimal (NEC = 5/9)2,3,4,5,6,7.
Lorsque l’animal est atteint d’un cancer, sa NEC au moment du diagnostic est un facteur pronostique. Les taux de morbidité et de mortalité augmentent si la NEC est supérieure à 6 (surpoids voire obésité) ou si, à l’inverse, l’animal est cachectique (NEC de 1 à 3).
Évaluation de l’état corporel du patient cancéreux
La détermination de la NEC comprend la pesée, la palpation (côtes, muscles) et l’observation visuelle de l’animal. Ces trois étapes permettent d’évaluer la masse grasse et la masse maigre, et de vérifier qu’il n’y ait pas un facteur tiers influençant le poids (épanchement abdominal par exemple).
La cachexie, qui se définit comme la perte de masse grasse et de masse maigre, révèle un amaigrissement chronique et une dénutrition protéique. Quatre zones anatomiques permettent de repérer une fonte musculaire : les fosses temporales, les épines scapulaires, la charnière thoraco-lombaire et la zone fémorale. La présence d’escarres (due à un décubitus prolongé) est également un signe de dénutrition, en particulier au niveau des hanches.
La perte musculaire visible est le reflet de l’état interne des muscles (myocarde, diaphragme…). Un animal cachectique souffre d’une diminution des capacités cardio-respiratoires, digestives et immunitaires.
En cancérologie, la cachexie est fréquente mais pas systématique. Elle peut être un syndrome paranéoplasique (détournement du métabolisme énergétique par la tumeur, syndrome inflammatoire chronique, stress oxydatif…) et/ou une conséquence des traitements anticancéreux (troubles digestifs, altération du goût et de l’odorat, douleur…).
Lors de la consultation, il est très important d’interroger le propriétaire sur le régime alimentaire de son animal (nature, quantité, variabilité, friandises), son mode de distribution et l’activité de l’animal.
Les objectifs nutritionnels du patient cancéreux
Pour tout animal atteint d’une tumeur, l’objectif est de maintenir un poids optimal voire de prendre du poids (en cas de maigreur). Il est très important de ne pas laisser la cachexie s’installer car elle est irréversible. La première étape pour répondre aux objectifs nutritionnels est de calculer le besoin énergétique (BE) de l’animal.
Chez le chat, on utilise la formule suivante : BE = 70 x poids idéal de l’animal x K1 x K2 x K3 x K4.
Chez le chien : BE = 130 x PV0,75 x K1 x K2 x K3 x K4.
K1 correspond à la race (varie entre 1 à 1,25), K2 à l’activité (entre 0,8 et 1,2), K3 à la stérilisation (0,8) et K4 à la pathologie (entre 0,8 et 2). Le coefficient K4 d’un animal atteint d’un cancer varie entre 1 et 2.
Le BE d’un animal cancéreux est donc supérieur à celui d’un animal sain. La ration apportée doit donc être complète (couvrir les besoins essentiels), hyperénergétique et très appétente.
L’aliment doit contenir entre 30 et 50 % de lipides dans la matière sèche et entre 30 et 50 % de protéines. En effet, les lipides sont une source importante d’énergie, les protéines constituent un facteur d’appétence (surtout chez le chat). Elles facilitent l’anabolisme musculaire et luttent contre l’amyotrophie. La qualité des protéines est tout aussi importante que leur quantité (certaines ont un rôle immunomodulateur, ralentissent la croissance tumorale et stimulent le système immunitaire).
L’aliment doit être pauvre en fibres (car celles-ci diminuent la digestibilité) et en glucides (sa teneur est actuellement controversée).
L’alimentation idéale pour un animal cancéreux
Les aliments qui correspondent aux critères précédemment cités sont les gammes hyperdigestibles (utilisées en gastro-entérologie), convalescences et l’alimentation ménagère.
Il est fondamental de s’adapter au mode alimentaire de l’animal en lui proposant le même type de ration (alimentation humide, sèche, mixte ou ménagère) pour ne pas changer ses habitudes.
L’aliment doit être appétent (arôme, goût, texture) : il est conseillé de privilégier une alimentation humide et de tiédir les repas. Il est très important de fractionner ces derniers, pour que l’animal puisse ingérer un volume plus important afin de couvrir son BE.
Il est déconseillé de mélanger l’aliment aux médicaments afin d’éviter les aversions alimentaires, en particulier chez le chat. Il est préférable d’utiliser un seul type de friandise, dédié uniquement à la prise de médicaments (fromage, sardines par exemple).
Il importe cependant de ne pas oublier que le bon aliment pour un animal cancéreux est un aliment qu’il accepte. L’objectif est la prise alimentaire, même si ce n’est pas l’aliment prescrit en première intention.
Il convient de privilégier la prise alimentaire spontanée. Si l’anorexie risque de se prolonger, il est conseillé de mettre en place une sonde d’œsophagostomie. Il faut cependant en discuter avec le propriétaire, qui pourrait considérer cela comme un acharnement thérapeutique.
Chez un animal dysorexique, il est important de s’assurer que la douleur et l’inconfort (nausées, vomissements) sont bien pris en charge. Le jeûne intermittent n’est pas recommandé chez le chat (risque de développement d’une lipidose hépatique). Chez le chien, il peut être envisagé pour diminuer les effets secondaires en post-chimiothérapie, uniquement pour certains protocoles qui induisent des troubles digestifs marqués. Le jeûne prolongé entraîne en effet une diminution de la capacité digestive, pouvant provoquer une translocation bactérienne et un dysfonctionnement multi-organes.
L’utilisation des orexigènes dépend de l’état clinique de l’animal et de sa maladie. Les corticoïdes, le diazépam (attention à l’action sédative), la gabapentine (effet orexigène variable) ou la mirtazapine peuvent être prescrits.
L’accompagnement et le suivi sont très importants. L’animal ne doit pas consommer moins de deux tiers de son BE. Si c’est le cas, il faut recommander une consultation de suivi et tenir compte du souhait du propriétaire (faire plaisir à son animal, en fin de vie notamment).
Place des compléments alimentaires
En médecine vétérinaire, peu de compléments ont fait leurs preuves. Ceux qui assurent des bénéfices démontrés en cancérologie vétérinaire sont les suivants :
- Les oméga-3, acides gras à longue chaîne (EPA, DHA) : ils sont contenus principalement dans l’huile de poissons des mers froides, ils doivent être donnés à hauteur de 5 % de la matière sèche. Ils ont des propriétés anti-inflammatoires et sont un facteur d’appétence. Même si certaines études sont contradictoires, les bénéfices ont été constatés sur la prise pondérale ou sur la stabilisation du poids, sur l’amélioration de l’immunité et de la qualité de vie, sur la diminution de la vitesse de croissance tumorale et de la dissémination métastatique. Les oméga-3 peuvent être associés à la vitamine E (action antioxydante).
- L’extrait du mycélium du champignon Coriolus versicolor est riche en polysaccharopeptides, il inhibe la croissance tumorale en activant l’apoptose et joue un rôle orexigène. Il est prescrit à la dose de 100 mg/kg/j chez le chien et le chat.
- Les pré- et probiotiques : il manque des études sur le sujet mais ils semblent apporter du confort digestif et palier une dysbiose induite par la tumeur et/ou par les traitements.