Élevage porcin
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
La récente relaxe d’éleveurs porcins sur la pratique de la caudectomie des porcelets pose la question de la faisabilité de son arrêt. À ce stade, les recherches sont toujours en cours pour améliorer les connaissances sur les facteurs d’apparition de la caudophagie en élevage. Le point avec Philippe Le Coz, vétérinaire en filière porcine et président de la commission porcine de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires.
En 2018 était lancé un plan national « caudectomie »1, avec l’objectif de réduire la caudophagie, et donc la pratique de la caudectomie en élevage porcin. Dans ce cadre, quelles actions ont été menées ?
Ce plan s’inscrit dans la réglementation européenne qui interdit la caudectomie en routine2. Il était nécessaire car le règlement s’avère difficile d’application. Le plan est construit sur deux axes : des actions d’encouragement d’une part et des actions de recherche d’autre part. Pour le premier axe, des fiches techniques3 ont pu être élaborées sur le sujet, afin d’informer et de sensibiliser les éleveurs. Elles mettent à leur disposition des indicateurs pour mesurer les comportements de caudophagie au sein de leur élevage et noter les lésions des queues. Elles conseillent sur les mesures d’isolement et de soins des animaux. Mais il apparaît que la réceptivité des éleveurs peut encore être améliorée, et la diffusion de l’information continue sur le terrain. Il faut comprendre en effet que, pour eux, la caudectomie est une pratique naturelle car efficace pour gérer la caudophagie, qui reste un comportement très fréquent dès lors que les porcs sont élevés en groupe.
Le deuxième axe du plan est la recherche appliquée, avec l’idée d’avoir des essais expérimentaux couplés à des essais en conditions de terrain. Les chambres d’agriculture de Bretagne ont été et sont toujours très actives sur cette question. Leurs travaux ont montré qu’il était absolument nécessaire de multiplier les études car, si le rôle des objets manipulables, en particulier de la paille, est indiscutable, d’autres facteurs sont encore à découvrir en particulier en post-sevrage où très souvent les comportements de caudophagie commencent déjà. D’autres essais vont démarrer prochainement dans des élevages conventionnels. À ce stade nous ne connaissons que partiellement les facteurs de risques associés à la caudophagie ; certains éléments déclencheurs restent encore à évaluer. On pourrait citer, par exemple, la déstabilisation sanitaire liée à un épisode infectieux dans un groupe, ou la modification du microbiote intestinal à la suite d’un changement de formule alimentaire.
Qu’est-ce qui freine la réduction voire l’arrêt de la caudectomie ?
Pour l’éleveur, c’est rédhibitoire d’arrêter quelque chose qui fonctionne. De plus, on fait face à un dilemme éthique : est-il préférable d’avoir une douleur assez courte – la caudectomie – sur un grand nombre de très jeunes d’animaux ? Ou est-il préférable d’avoir seulement quelques animaux en grande souffrance mais qui le seront sur une plus longue période, avec un risque d’infection grave pour certains ? Avec les données dont nous disposons actuellement, nous ne sommes pas capables de trancher cette question. Nous sommes loin d’être des mauvais élèves en France : la pratique de la caudectomie est mondiale, et peu ont réussi à s’en passer. Par ailleurs, soigner une queue mordue reste compliqué : en tant que vétérinaires, nous manquons d’outils pour le faire correctement et soulager l’animal, ce qui freine également l’arrêt de la caudectomie par les éleveurs.
Ne peut-on pas justement s’inspirer des pays qui ont interdit cette pratique, comme la Finlande (2003) ou la Suède (2009) ?
Les systèmes d’élevage, les bâtiments, sont différents des nôtres ; cela va de pair avec un autre modèle économique. Dans ces systèmes, un certain niveau de caudophagie est toléré. Mais cela montre effectivement qu’il est possible d’arrêter.
Quel est l’impact des systèmes d’élevage sur le comportement de caudophagie ?
L’espace contraint de l’élevage en groupe, avec une densité élevée d’animaux, rend difficile la fuite d’un porc qui serait attaqué par un autre. Mais le phénomène de caudophagie est observé également dans d’autres configurations, y compris dans des systèmes paillés avec une moindre densité. En revanche, il est vrai que les systèmes de plein air sont plus adaptés pour éviter ces comportements. Le sujet reste donc complexe pour la filière porcine française.
Quelle est la place du vétérinaire dans l’arrêt de la pratique ? Quelles sont les solutions disponibles ?
Les vétérinaires peuvent accompagner les éleveurs qui voudraient s’engager dans des essais d’arrêt de la caudectomie. Les fiches techniques donnent des indications à ce sujet. Aujourd’hui, l’objectif est vraiment de multiplier les essais sur le terrain. L’enjeu sera de pouvoir arriver à définir un taux acceptable de caudophagie dans nos systèmes d’élevage. Considérant bien entendu que tous les autres paramètres d’élevage sont bien respectés (accès à l’eau, enrichissement du milieu de vie…).
Des éleveurs relaxés
Deux éleveurs associés de l’Allier avaient été poursuivis, l’association L.214 Éthique et animaux et la Société de protection animale se portant partie civile, pour des actes de mauvais traitement sur leurs animaux, dont la pratique systématique de la coupe de queues*. Condamnés en première instance, ils ont finalement été relaxés en appel pour la caudectomie. Dans le jugement, le président de la cour d’appel de Riom s’est permis toutefois d’écrire que la caudophagie s’inscrivait dans un système d’élevage intensif, un choix de la France pour garantir la souveraineté alimentaire, mais qui « constitue par lui-même un mauvais traitement aux animaux concernés ».
* Cour d’appel de Riom. CV/NC, minute n° 234, du 26 avril 2023. Arrêt correctionnel. urlz.fr/mkXs.