Thérapeutique
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Tanit Halfon
Selon une autosaisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, il reste encore de grandes marges de progression dans l’usage des antiparasitaires externes pour les ruminants. Au-delà des bonnes pratiques professionnelles, avancer sur le sujet implique une mobilisation administrative et politique.
La gestion des parasites est le quotidien du vétérinaire rural. Mais l’approche thérapeutique évolue avec la prise en compte croissante des effets négatifs des substances actives antiparasitaires dans la nature. Cela a été rappelé au cours de la session sur l’environnement de l'édition 2023 des journées nationales des groupements techniques vétérinaires. Comme l'ont présenté Sophie Barreteau, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), et Monique L’Hostis, ancienne enseignante en parasitologie d’Oniris (Loire-Atlantique), cet enjeu a fait l'objet d'une autosaisine1 qui s'est focalisée spécifiquement sur les risques pour l’environnement, mais aussi pour l’humain, des antiparasitaires externes (APE), de type bain, douche et pulvérisation (BDP), pour les ruminants. Plusieurs constats ont motivé ce travail qui a débuté en 2018 : (ré)émergence de maladies vectorielles, hausse de la gale psoroptique chez les ruminants, défauts d’efficacité pour certains agents de myiases, hausse des traitements externes sous forme de bains, douches et pulvérisations2… Le tout avec des molécules dont le résumé des caractéristiques du produit (RCP) est ancien, et donc avec des risques pour l’environnement et l’utilisateur qui ont été évalués selon d’anciennes lignes directrices. De fait, les notices des médicaments sont assez pauvres en recommandations, sur les modalités d’usage, les équipements de protection individuelle ou encore la gestion des reliquats.
Des données limitées…
Le travail mené pour cette saisine a montré qu'il existait des données montrant des effets néfastes de ces molécules sur l’humain. Par exemple, il est observé un taux plus élevé de maladies professionnelles liées aux pesticides chez les professionnels du secteur agricole, ou des associations avec des déficits neurodéveloppementaux à la suite d’exposition de mélanges de pesticides. Par ailleurs, concernant le risque d’exposition, la principale voie est l’absorption cutanée, bien que les expositions imprévues (chute dans le bain…) soient également une source importante de contamination. À l’usage, il apparaît en outre que les professionnels ne sont pas forcément bien sensibilisés au risque d’exposition, et l’efficacité des équipements de protection individuelle n’a pas été testée dans les conditions d’utilisation sur le terrain pour des applications de type bains, douches et pulvérisations. Cela dit, il n’existe pas de modèles d’exposition disponibles pour une évaluation des risques pour l’être humain vis-à-vis des APE (à la différence des produits phytosanitaires et biocides).
... surtout pour les effets sur l’environnement
Pour l’environnement, les données sont encore plus pauvres : il n’y a pas non plus de modèles d’exposition pour les APE, et seulement deux accidents sont documentés de contamination de cours d’eau en Australie et au Royaume-Uni. En revanche, on connaît la longue persistance de ces molécules dans l’environnement, dont les produits de dégradation peuvent rester plus longtemps que la molécule mère. Et il y a des effets écotoxiques documentés sur les espèces non cibles, notamment pour les pyréthrinoïdes dont on reconnaît bien aujourd’hui les effets néfastes sur les arthropodes terrestres, invertébrés et vertébrés aquatiques.
En raison de ce manque de données, les recommandations formulées par l’Anses relèvent du « bon sens », ont expliqué les deux intervenantes, avec deux piliers : la limitation du recours aux APE (impliquant le respect de mesures de prévention et de biosécurité dans les élevages) et l’utilisation raisonnée et prudente de ces molécules. L’enjeu est double : d’une part, protéger les utilisateurs et l’animal traité, et d’autre part, protéger l’environnement. Dans cette optique, des efforts sont à prévoir du côté des pratiques des professionnel. Des recommandations concernent aussi les institutions : cela passerait notamment par l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques, la révision des RCP ou le lancement d’un plan Écoantiparasito porté par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, étant entendu qu’il viserait toutes les espèces animales et tous les antiparasitaires. D’autres mesures seraient à prendre à un niveau européen, notamment mutualiser les évaluations des substances actives quelles que soient les réglementations. L’ensemble des recommandations seront accessibles dans le rapport qui sera prochainement rendu publique sur le site de l’Anses.