Choix thérapeutique
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Sur la base d’un modèle théorique de comportement, une enquête qualitative australienne a mis en lumière la complexité de l’acte de prescription des antibiotiques. Plusieurs solutions ont été suggérées pour améliorer les pratiques et éviter les prescriptions inutiles.
Quels sont les déterminants de prescription des antibiotiques en médecine vétérinaire des animaux de compagnie ? C’est tout l’objet d’un article* australien paru dans la revue Antibiotics en février dernier. Pour explorer la question, une équipe de scientifiques affiliés à l’école vétérinaire de Melbourne (Australie) a mené des entretiens individuels avec une vingtaine de vétérinaires australiens. L’objectif était d’identifier des facteurs influençant la décision de ne pas prescrire des antibiotiques ou de les retarder. La méthode d’analyse utilisée s’est basée sur la théorie du comportement planifié d’Icek Ajzen. Selon cette théorie, les comportements individuels peuvent être associés à trois types de croyance : les croyances comportementales qui correspondent au fait de prendre en considération les conséquences, positives ou négatives, de ses actes ; les croyances normatives correspondant à la pression sociale perçue ; et les croyances de contrôle correspondant à la perception qu’a l’individu de la difficulté ou facilité de réalisation d’un comportement. Ces croyances sont influencées par un ensemble de facteurs individuels et extérieurs. Si on ne peut pas exclure des différences contextuelles, et pourquoi pas culturelles, avec le secteur vétérinaire français, les résultats sont tout de même une source intéressante pour réfléchir à ses propres pratiques. Le grand enseignement de cette enquête est que le choix de ne pas prescrire (et donc de prescrire) n’est pas uniquement dicté par des arguments scientifiques.
Des facteurs multiples associés à la prise de décision
Parmi les facteurs identifiés qui influencent la prise de décision sont notamment ressortis la perception du vétérinaire vis-à-vis du risque d’antibiorésistance ; la charge de travail élevée et le manque d’énergie associée ; l’expérience clinique qui accompagne le développement de la confiance en soi et l’amélioration de ses compétences communicationnelles ; la culture d’entreprise favorable aux changements de pratiques ; l’habitude de prescription ; ou encore les préjugés des clients dont peuvent souffrir les vétérinaires jeunes et les femmes. Fait intéressant cité par les auteurs : l’effet fatigue a été quantifié en médecine humaine au Danemark. Il a été montré qu’il y avait 25 % plus de chance qu’un médecin généraliste prescrive des antibiotiques lors de sa quatrième heure de consultation, par rapport à sa première. Parmi les facteurs extérieurs qui participent à la prise de décision, entre autres, la situation socio-économique du détenteur de l’animal, le fait d’être assuré, ou son niveau de connaissance en santé. Ainsi, une anecdote le confirme : un des vétérinaires a indiqué le rôle positif des médecins locaux qui ont sensibilisé leur patientèle aux bonnes pratiques d’antibiothérapie, facilitant le discours du vétérinaire en consultation. La relation avec le client contribue également aux choix de prescription : par exemple, un détenteur dépassé par la maladie de son animal (notamment gestion d’une diarrhée) peut faire pencher la balance en faveur des antibiotiques. Autre facteur : l’existence de lignes directrices, ce qui va sécuriser le choix du prescripteur vis-à-vis du client de ne pas en administrer.
Une peur des conséquences
En ce qui concerne les croyances comportementales, la crainte de voir l’animal se détériorer et de ne pas répondre aux attentes des propriétaires ressortent plus particulièrement des entretiens. Des vétérinaires décrivent que prescrire des antibiotiques est « une solution de facilité », pour éviter des discussions fastidieuses avec des clients difficiles et, plus globalement, face au risque d’avoir des effets collatéraux sur la réputation de clinique (bashing sur les réseaux sociaux, agression, plainte auprès de l’Ordre), voire sur le chiffre d’affaires. En clair, il s’agit d’éviter les conflits et de se protéger. Pour des vétérinaires, la non-prescription peut être vue comme un combat perdu d’avance, étant donné que les propriétaires convaincus de l’intérêt des antibiotiques pourraient s’en procurer chez un autre vétérinaire. Avec pour potentielle conséquence la perte d’un client insatisfait, notamment dans des zones à fort maillage vétérinaire. Dans certains cas, un traitement pourrait être retardé, sous réserve de surveiller l’évolution clinique, mais cela implique d’avoir confiance en son client, affirment les vétérinaires interrogés : confiance dans le fait qu’il suivra les recommandations et qu’il comprendra ce choix. Face à une situation clinique grave, et un détenteur aux moyens financiers limités, les vétérinaires peuvent être poussés à donner des antibiotiques. De manière générale, la mécanique associée aux croyances comportementales trouve plus sa place face à une situation clinique peu claire.
Une influence de l’environnement de travail
La perception de conséquences négatives d’une non-prescription est particulièrement flagrante dans un exemple exploré lors de l’enquête, celui de l’abcès sous-cutané du chat. Vingt vétérinaires sur les 22 interrogés choisissent de prescrire des antibiotiques, alors que ce n’est généralement pas nécessaire, sous conditions d’un bon état général de l’animal et de soins locaux. Parmi les raisons évoquées, certains évoquent le manque de compétences des détenteurs d’animaux pour faire les soins, ou le sentiment de sécurité conféré par la prescription.
En ce qui concerne les croyances normatives, la décision apparaît influencée par les attentes des clients, mais aussi les attentes et comportements des collègues de travail et des employeurs. Avoir des collègues qui vont dans le sens d’un usage raisonné facilite les bonnes pratiques, tout comme avoir des auxiliaires spécialisés vétérinaires convaincus également de cette approche, car ils sont perçus comme un soutien. La crainte d’un reproche ordinale est une raison qui peut pousser à la prescription.
Du côté des croyances de contrôle, certaines situations apparaissent comme défavorables à la non-prescription : par exemple, être en fin de semaine et débordé complique la conduite d’examens complémentaires. Ce lien entre prescription et manque de temps a été établi en médecine humaine. En outre, les vétérinaires peuvent se sentir obligés de donner quelque chose face à des propriétaires qui sont décrits comme souvent demandeurs de médicaments pour leur animal malade, et aussi « en échange » de frais de consultation. Être face à une situation clinique pas très claire, avec des animaux en souffrance, des détenteurs aux contraintes financières limitées et dans l’incapacité de réaliser des soins à la maison, pousse à la prescription d’antibiotiques.
Se former à la communication
Malgré tout, la prescription inutile d’antibiotique n'est pas une fatalité. Pour les vétérinaires interrogés, il y a des leviers d’amélioration des pratiques. D’abord, informer les clients, par exemple avec des campagnes d’affichage. Ensuite, consolider la formation des vétérinaires sur le sujet, initiale et continue. La formation en communication, notamment suivant les premières années d’obtention de son diplôme, serait un plus. Cela a d’ailleurs montré son intérêt en médecine humaine, ont souligné les auteurs de l’étude : en Allemagne, une formation aux techniques de communication des médecins généralistes a amené à une réduction des prescriptions inutiles d’antibiotiques dans le cadre d’infections des voies respiratoires supérieures. Former les vétérinaires ne suffit pas, c’est tout le personnel qui doit l’être et engagé, pour qu’une véritable culture d’entreprise se mette en place. Parmi les autres propositions, il y a celle de pouvoir disposer de guidelines, suivre les consommations réelles d’antibiotiques dans les cliniques vétérinaires. À noter que le fait que les détenteurs soient assurés et la disponibilité d’alternatives aux antibiotiques (dans les entretiens, les vétérinaires décrivent notamment l’exemple des probiotiques qui permettent de gérer efficacement les diarrhées aiguës) ont facilité le choix de ne pas prescrire d’antibiotiques. Pour les auteurs, la connaissance des facteurs influençant la prise de décision individuelle facilite l’identification de solutions pour améliorer les pratiques.