Le bien-être au travail, le nouveau graal - La Semaine Vétérinaire n° 1995 du 23/06/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1995 du 23/06/2023

Vie de la profession

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Michaella Igoho-Moradel

Alors qu'il s'agit d'un enjeu majeur pour les entreprises, une enquête menée par MSD Santé animale confirme une attente forte des vétérinaires mais aussi des auxiliaires en matière de qualité de vie au travail.

Le bien-être au travail, nouveau graal dans l’exercice vétérinaire ? Cette problématique préoccupe particulièrement le laboratoire MSD Santé animale, qui a lancé plusieurs initiatives internes pour améliorer la qualité de la vie professionnelle de ses collaborateurs. Il s’attaque désormais à ce sujet concernant les vétérinaires et les auxiliaires spécialisés. Les résultats de sa première enquêtesur le bien-être en structure vétérinaire ont été présentés à la presse le 13 juin dernier à la Maison des vétérinaires à Paris. « Notre étude vient identifier les enjeux clés des équipes vétérinaires et permet d’ouvrir la discussion sur les solutions, les initiatives, les évolutions qui pourraient favoriser le renouvellement de la pratique vétérinaire des années à venir », indique David Lussot (N93), directeur Engagement client et développement chez MSD Santé animale France.

Que révèle cette enquête ? Elle rappelle d’abord que la profession vétérinaire fait actuellement face à des défis majeurs : pénurie de main-d’œuvre, charge de travail élevée, niveaux de stress et de responsabilité importants… Ces problématiques peuvent avoir des conséquences graves, allant jusqu’au suicide. « Les perceptions diffèrent selon les activités. Les vétérinaires veulent plus d’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Le manque de temps libre impacte clairement leur niveau de satisfaction. Tandis que les auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) pointent le faible niveau de rémunération, le manque reconnaissance, l’absence de formation et le travail morcelé dans la journée », expose Julie Membot, responsable RSE chez MSD Santé animale France. Comme d’autres secteurs, la démarche Qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) est un enjeu important pour la profession. Une table ronde a permis d’échanger sur les leviers disponibles pour favoriser le mieux-être au sein des cliniques vétérinaires.

Un métier passion

Les vétérinaires tirent de leur métier beaucoup de satisfaction. Seuls 16 % des répondants seraient prêts à quitter la profession quand ce chiffre monte à 41 % pour les ASV. Bien que les revenus et la situation financière soient des éléments importants, une bonne relation d’équipe leur paraît indispensable. Des facteurs qui expliquent un taux de départ important pour les ASV, quels que soient les âges. 41 % des répondants estiment travailler plus d’heures qu’ils ne le souhaiteraient. « Quel que soit le nombre d’heures effectuées, la perception du stress et un épuisement général pèsent sur la qualité de vie au travail », constate Julie Membot. Pour les vétérinaires, la relation d’équipe est un point très satisfaisant mais moins important que le travail. « Le critère qui va impacter le plus la perception QVCT est le fait d’avoir une méthode saine pour faire face au stress. L’atmosphère de la clinique est importante pour les ASV et un peu moins pour les vétérinaires. Les ASV sont plus en attente de collaboration au sein de la structure. Quand les vétérinaires visent une qualité des soins et une satisfaction client », poursuit Julie Membot. Les vétérinaires répondants ne regrettent pas d’avoir choisi cette profession, mais majoritairement ne recommanderaient pas ce métier. Car malgré la passion pour leur activité, vétérinaires comme ASV indiquent être épuisés par leur travail et font face à des problèmes émotionnels comme l’anxiété, la dépression ou l’irritabilité.

La peur de l’erreur, deuxième stresseur

Chez les jeunes diplômés, la peur de l’erreur2 est le deuxième stresseur de la profession derrière la recherche d’un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, comme l’a révélé le rapport du professeur Didier Truchot sur la santé au travail des vétérinaires3. « Nous sommes la première profession à mettre la peur de l’erreur comme deuxième stresseur. Les méthodes de recrutement des étudiants en sont peut-être la cause car le parcours n’apprend pas à se tromper, à gérer l’erreur et à l’accepter. Nous n’avons pas encore trouvé toutes les solutions. Tandis que les médecins ont assimilé cette notion comme faisant partie de leur profession. Ils travaillent sur ce sujet dès les premières années d’études. Il existe des plateformes sur lesquelles les déclarations des erreurs sont obligatoires et analysées avec beaucoup de bienveillance. On apprend aux médecins qu’ils feront des erreurs », constate Corinne Bisbarre, membre du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, responsable de la commission sociale et de l’entraide confraternelle. Selon elle, cette nouvelle génération est le fruit des projections de ses parents, qui ont évité de la confronter à un certain nombre de frustrations. Faire face à l’échec n’est donc pas toujours évident. « La profession doit mener un travail de fond sur cette notion, notamment au sein des cliniques. Il est nécessaire d’accompagner les vétérinaires et de le faire avec bienveillance. Il faut partager les erreurs, les reconnaître et montrer aux jeunes que des erreurs, on en a tous fait ! » Signe que ce sujet fait son chemin au sein de la profession, une chambre des erreurs sera installée au congrès 2023 de l’AFVAC. Autre source de stress pour les vétérinaires et les ASV, le travail morcelé. « Cette problématique n’est pas spécifique à la profession. Nous avons des sollicitations tout le temps. Les voies de communication sont nombreuses. Les solutions sont dans l’organisation interne du travail. Il faut s’appuyer sur les ASV, prévoir des temps libres pour gérer ce qui n’est pas prévu et absorber l’urgence qui arrive. Certains médecins généralistes limitent les urgences dans la journée. Il faut apprendre à dire non à certaines choses », poursuit Corinne Bisbarre.

La formation ouvre le champ des possibles

Le mal-être au travail est-il une fatalité pour la profession ? À en croire les résultats de l’enquête menée par MSD Santé animale, la moitié des répondants déclare détenir la recette potentielle pour gérer le stress. Ce facteur est un enjeu majeur aussi bien pour les vétérinaires que pour les ASV. Pourtant, les répondants ont peu de connaissances sur les solutions disponibles pour améliorer leur qualité de vie au travail. Or, la démarche QVCT regorge d’actions au service des entreprises et de leurs collaborateurs. La formation est l’une de ces solutions. Les employeurs vétérinaires le perçoivent d’ailleurs de plus en plus, en encourageant leurs ASV à monter en compétences. « Aujourd’hui, l’ASV participe au développement de la clinique. La profession s’oriente vers des formations plus certifiantes. La formation est un élément de reconnaissance, de motivation individuelle et d’équipe. Aujourd’hui, 500 ASV suivent des formations en conseils et techniques de soins permettant l'obtention  d'un certificat de qualification professionnelle (CQP). Un autre CQP sur la conduite et la gestion des équipes d’ASV va construire des compétences en animation. Ce CQP permet d’apporter cette reconnaissance qui manque et fidélise l’ASV dans la clinique. Les premiers retours sont positifs, cela permet de répartir la charge de travail et d'améliorer la qualité du travail », explique Karine Rossetto-Brion, directrice générale d’APForm.

Des compétences générales nécessaires

Et si pour les vétérinaires, une clé du problème venait justement de leur formation ? Pour Laurence Deflesselle, directrice d’Oniris, il vaut mieux prendre le mal à la racine et cibler des compétences génériques, c’est-à-dire des « soft skills » qui complètent les compétences métiers. « Les étudiants ont peur de l’erreur et souffrent du syndrome de l’imposteur. […] Notre socle de maquette pédagogique est fondé sur un important nombre de connaissances et une charge conséquente. Nous nous sommes inspirés du modèle mis en place notamment en Amérique du Nord en tentant d’introduire, avec une acceptabilité moindre, d’autres cours au-delà de la médecine et de la chirurgie des animaux. Les étudiants ont conscience qu’être vétérinaire nécessite d’apprendre d’autres choses comme la cohésion d’équipe, la gestion du stress ou encore le management d’une entreprise de ce type. Tous les vétérinaires de la clinique, même les salariés, ont un rôle de leader à prendre. » Pour confronter au plus tôt les étudiants à la réalité du terrain, les écoles nationales vétérinaires ont introduit un certain nombre d’outils, comme des cours de communication clinique pour gérer des situations difficiles avec l’intervention de comédiens. Elles ont également développé un « business game » autour de la gestion et du fonctionnement d’une clinique, complètement opérationnel cette année. « Nous tentons de favoriser la culture intergénérationnelle avec des rencontres avec des vétérinaires praticiens. Le troisième axe est la rénovation de notre recrutement. Nous sommes allés trop loin dans la sélection hyperacadémique, qui ne laissait pas la place à des aspects de personnalités. Il faut veiller à ce que les jeunes ne fantasment pas trop. Nous cherchons à avoir une sélection qui mesure la maturité des candidats et leur appétence sur des dilemmes éthiques auxquels ils peuvent être confrontés. La voie post-bac facilite cela », analyse Laurence Deflesselle.

L’écoute empathique, une des solutions

L’écoute empathique fait également partie des leviers à mobiliser. C’est l’un des rôles de l’association Vétos-Entraide, qui constitue un espace d’écoute pour les vétérinaires, les ASV et leurs familles. « Écouter, ce n’est pas entendre. Parler est un besoin et écouter est un art. Cela est décrit par les six attitudes de Porter. Autrement dit, les postures que l’on va avoir en écoutant quelqu’un : le jugement-évaluation, l’interprétation, le soutien, l’investigation, la suggestion et la compréhension. Ces attitudes sont prises instinctivement. Nous pouvons avoir une attitude d’empathie, sans jugement, qui peut être bénéfique pour respecter le point de vue de la personne et ne pas aller au-delà de ce qu’elle exprime. Cette écoute est à la fois une solution individuelle et systémique », estime Laurence Crenn, présidente de l’association Vétos-Entraide. L’écoute empathique est aussi une solution pour dépasser les clivages entre générations. « Il y a une vraie fracture générationnelle à laquelle il va falloir s’atteler. Apprendre à se parler avec bienveillance et respecter les points de vue. La nouvelle génération aime son métier », lance de son côté Corinne Bisbarre. « La profession souffre encore de cette image du vétérinaire viril qui va répondre à toutes les sollicitations. Il faut libérer la parole, car le mal-être reste quelque chose de tabou. […] Quand on fait l’expérience de cette écoute, on pose les bases d’une communication plus facile et plus saine. On respecte la manière de voir des autres », surenchérit la présidente de Vétos-Entraide. « En communication managériale, on parle de l’ascenseur relationnel pour se rapprocher du collaborateur et être le plus en phase possible. Il faut sortir de sa zone de confort et de ce qu’on pense être la bonne façon de travailler », ajoute Isabelle Hastings, consultante QVCT et Prévention des risques psychosociaux. À son tour, Laurent Perrin, président du Syndicat National des Vétérinaires d'Exercice Libéral (SNVEL), rappelle que cette écoute empathique doit également permettre de prendre en compte les besoins des clients. « De la même façon que l’ancienne génération ne doit pas imposer une vision à la nouvelle génération, les jeunes vétérinaires doivent respecter celle des clients. Il y a un véritable enjeu d’écoute et de nombreux sujets éthiques se régleront de cette façon. Il faut conserver en ligne de mire le service au client. Nous avons un métier reconnu et respecté parce que nous avons ce contact client, il doit être un facteur d’épanouissement et non de stress. »

LA QVCT, plus qu’une notion une obligation

La démarche Qualité de Vie et Conditions de travail (QVCT) n’est pas une notion à la mode. Il s’agit avant tout d’une obligation réglementaire comme l’a rappelé Isabelle Hastings, consultante QVCT et Prévention des risques psychosociaux. L’article 4121 du code du travail stipule que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Les différents accords nationaux interprofessionnels (ANI) vont donner des pistes de réflexion voire des solutions sur la QVCT et la prévention des risques psychosociaux (RPS). « La démarche QVCT favorise un environnement de travail satisfaisant dans lequel les collaborateurs peuvent trouver du sens. L’enjeu principal est d’assurer la santé des collaborateurs. Ce n’est pas uniquement une absence de maladie mais un état global de bien-être physique, psychologique et social. La performance peut être améliorée. Il y a aussi une question d’attractivité, les collaborateurs sont les meilleurs ambassadeurs de la profession », explique Isabelle Hastings.

Quelle approche QVCT privilégier ?

« Il faut d’abord chercher la racine des facteurs de risque pour comprendre ce qui se passe, et se pencher sur le contenu et l’organisation du travail. Les solutions doivent être adaptées à l’environnement et impliquer les collaborateurs pour connaître leurs besoins », détaille Isabelle Hastings, consultante QVCT et Prévention des risques psychosociaux. Des actions sont possibles au niveau de la clinique : amélioration des pratiques managériales (favoriser le monitoring entre vétérinaires pour la prise de décision, favoriser la montée en compétences des ASV, transparence sur les règles du planning, prendre soin des vétérinaires stagiaires…), bien penser le contenu du travail (réfléchir sur l’environnement du travail, les outils à la disposition des collaborateurs (podcasts, des applications pour favoriser la relaxation, méditation et aide au sommeil, la gestion du stress), davantage de digitalisation pour simplifier la gestion administrative des cliniques…

  • 1 MSD Santé animale a adapté au marché français le baromètre développé aux États-Unis par MSD Animal Health concernant la qualité et les conditions de vie au travail dans les entreprises vétérinaires. Une enquête a été réalisée entre le 12 septembre et le 9 octobre 2022 à destination de vétérinaires et d’auxiliaires spécialisés français pour mesurer le bien-être en structure vétérinaire. 1 181 réponses effectives ont reçu dont 54 % issues de personnel non vétérinaire et 46 % de vétérinaires.
  • 2 Voir dans ce numéro de La Semaine Vétérinaire, p. 38-40.
  • 3 Voir La Semaine Vétérinaire, n°1971. urlz.fr/mon8.