DOSSIER
Auteur(s) : Par Caroline Driot
Depuis une dizaine d’années, les cliniques dédiées à la prise en charge des urgences connaissent un succès d’affluence. Une évolution en phase avec les exigences croissantes des propriétaires et les nouvelles aspirations des praticiens, en quête d’équilibre entre travail et vie privée. Zoom sur quelques établissements au succès bien établi.
Ouvertes en horaires décalés pour certaines, 24 heures sur 24 pour d’autres… Ces dix dernières années, l’essor de cliniques consacrées à la prise en charge des urgences vétérinaires est significatif dans les grandes agglomérations et leurs périphéries.
L’offre crée la demande
À Toulouse (Garonne), Maxence de Jouvencel (T 99) a été pionnier dans ce domaine. « À l’origine, les vétérinaires de l’agglomération toulousaine étaient réunis dans un tour de garde. Le système fonctionnait plutôt bien, malgré des difficultés d’organisation en cas d’indisponibilité de dernière minute et des prestations assez inégales selon les cliniques, se souvient-il. En tant que jeune diplômé, j’assurais les gardes de plusieurs confrères. Jusqu’au jour où je leur ai proposé de créer une structure ouverte en horaires décalés, uniquement dédiée aux urgences. »
Première clinique du genre en France, Vet-Urgentys ouvre ses portes en janvier 2004. Le concept est simple : les urgences et rien d’autre. Pas de vente de médicaments ni d’aliments, pas de vaccination ni de chirurgie de convenance. Les propriétaires sont systématiquement renvoyés vers leurs vétérinaires traitants pour le suivi médical. Les résultats ne se font pas attendre : « Conscients que nous n’étions pas concurrents mais complémentaires, les confrères ont très vite adhéré au concept. Mon premier prévisionnel tablait sur 1 750 admissions par an, on en a fait le double dès la première année ! », détaille Maxence de Jouvencel. Entre 2004 et 2022, l’évolution a suivi une hausse continue pour parvenir à 13 000 admissions annuelles, ce qui a motivé plusieurs déménagements, puis l’ouverture d’une seconde structure à l’est de l’agglomération toulousaine début 2023. « C’est un marché d’offres, analyse-t-il. La demande augmente avec la capacité d’accueil, si l’on arrive à conserver les standards de qualité. »
Confiance et déontologie
À Marseille (en 2010) et à Toulon (en 2012), les cliniques du groupe Vétérinaires 2 Toute urgence ont également connu un succès immédiat. Il faut dire que les fondateurs entretenaient d’excellentes relations avec leurs confrères marseillais et toulonnais, dont ils assuraient déjà la continuité des soins par un service d’urgences à domicile1.
Depuis, le groupe a ouvert des cliniques à Lyon, Montpellier, Aix-en-Provence et Rennes. Partout, les clients affluent. Pour Philippe Labarthe (Liège 05), l’un des associés, cette réussite tient d’abord à la concertation préalable et aux relations entretenues avec les confrères délégant leurs urgences. Un mot d’ordre : confiance et déontologie. « Pour moi, nos vrais clients, ce sont les vétérinaires, affirme-t-il. Lors d’une nouvelle implantation, nous leur présentons notre projet et les services proposés. Cela permet de répondre aux questions en amont et d’assurer une mise en place efficace. » Les conventions de permanence et de continuité des soins établies entre les vétérinaires référents, d’une part, et les structures d’urgences, d’autre part, formalisent et précisent les modalités de prise en charge des animaux. En aval, des comptes rendus de consultation sont systématiquement envoyés aux vétérinaires traitants. Libérés de la charge des gardes, ces derniers apprécient le service rendu. « Les confrères nous remercient pour la qualité de vie retrouvée. Et en ces temps de recrutement difficile, référer ses gardes à une structure spécialisée constitue un argument pour les praticiens en recherche de personnel. »
Compétence
Au-delà de la confiance entre vétérinaires, le succès des cliniques d’urgences repose sur la satisfaction des clients, et donc sur la compétence du personnel. « Nous exerçons spécifiquement en urgence, nous travaillons en équipe et échangeons sur les cas difficiles, souligne Philippe Labarthe. Les jeunes diplômés apportent de nouveaux protocoles de prise en charge, les seniors leur expérience. La simplicité des échanges et le partage de connaissances permettent à tous de monter en compétence. » Julianne Pommier (T 07), responsable du service d’urgences de la clinique Mermoz Vet à Lyon (Rhône) confirme : « Nos prises en charge ont beaucoup évolué depuis dix ans, sous l’impulsion de vétérinaires qui aiment les urgences et les soins intensifs. Nous travaillons également sur la standardisation et la formalisation des procédures, ce qui permet une gestion harmonisée des cas. »
Disponibilité et efficacité
Autre motif de satisfaction pour les clients : la disponibilité et l’efficacité du personnel. Car, de manière générale, auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) et secrétaires ont pour consigne de ne pas perdre de temps au téléphone et de faire venir tout propriétaire inquiet. Aux urgences « vraies » (10 à 20 % des urgences2) s’ajoutent ainsi les urgences psychologiques – inquiétude du propriétaire face à l’inconfort de son animal – ou de convenance pour ceux qui ne peuvent pas se rendre en consultation aux horaires classiques. Alors, parfois, c’est l’embouteillage en salle d’attente ! « Les délais de prise en charge des animaux dépassent rarement deux heures, tempère Julianne Pommier. En médecine humaine, les gens sont habitués à passer des heures aux urgences »… et à ne rien payer à la sortie. Pour éviter les mauvaises surprises, les tarifs des consultations et soins d’urgences vétérinaires sont systématiquement annoncés en amont de la prise en charge. Malgré ces précautions, les impayés demeurent fréquents, et sont plus difficiles à recouvrir auprès de ces clients de passage.
Équilibre financier
La santé financière des cliniques et des services d’urgences constitue l’un des piliers de leur pérennité. Pour les établissements ouverts 24 heures sur 24, une prise en charge intégrée des cas permet, entre autres, de bénéficier des retombées des gardes. « Nous proposons une prise en charge complète en interne des patients critiques, plutôt qu’un transfert systématique et immédiat vers le vétérinaire traitant, explique Arthur Reynaud (Liège 10), associé à la clinique Sainte-Anne à Sorgues (Vaucluse). Si, à la suite d’un accident de la voie publique, une ostéosynthèse s’avère nécessaire, nous suggérons de la réaliser à la clinique. C’est d’abord une question de qualité des services proposés, de respect de l’animal et de son propriétaire. En outre, cela nous permet d’assurer l’équilibre économique de notre service d’urgences. » Qu’en disent les clients et les vétérinaires référents ? « Dans tous les cas, le client est libre de son choix. Quant aux confrères, notre mode de fonctionnement est clairement précisé dans la convention de permanence et continuité des soins », déclare-t-il.
Fidéliser le personnel
Autre condition sine qua non de la pérennité : le recrutement. Internat, clinicat, accueil de stagiaires… permettent d’attirer les candidats motivés par le caractère non routinier des urgences, et la flexibilité des plannings. À Toulouse, Maxence de Jouvencel se félicite d’un turnover relativement faible : « Nos salariés restent en moyenne trois à quatre ans, contre six mois en moyenne sur des postes similaires dans des structures équivalentes. » Lui aussi souligne l’intérêt d’une gestion intégrée des cas : « Contrairement aux urgences des centres hospitaliers vétérinaires assurées par des internes, avec pour mission de maintenir les animaux en vie jusqu’à l’arrivée des spécialistes le lendemain matin, nous proposons des consultations abouties et une prise en charge pragmatique des patients. Les pyomètres, dilatation-torsion de l’estomac ou hernies diaphragmatiques, par exemple, sont opérés par les urgentistes : c’est plus formateur et valorisant pour eux. »
Former son équipe
À la fois source de motivation et gage de compétence, la formation continue des équipes soignantes fait l’objet d’une attention particulière au sein des cliniques d’urgences. Par exemple, issu du rapprochement en octobre 2022 d’AdomVet et de VetoAdom, Emergence3 propose des formules adaptées à ses 150 urgentistes exerçant à domicile, ou dans leurs nouvelles « Maisons des urgences » (voir témoignages de Marie Rouit et Julie Monot). La formation « Back to basics » vise à rafraîchir les connaissances et à donner confiance aux vétérinaires récemment diplômés ou en reconversion. Quant à la formule « Upgrade yourself », elle aborde les différentes facettes de la profession d’urgentiste, des bases pratiques et théoriques de la médecine d’urgence, au développement personnel, en passant par la gestion des relations et l’acquisition de la confiance en soi. Mais, au-delà de la formation, la fidélisation du personnel nécessite également, et encore plus qu’ailleurs, de prêter une attention particulière à l’ambiance de travail : « Évoluer dans une équipe soudée et heureuse de venir travailler, c’est primordial, juge Maxence de Jouvencel. Car même si c’est un mode d’exercice passionnant et gratifiant, vétérinaires et ASV font face à des situations difficiles et à un rythme de travail parfois intense. »
Marie Rouit (A 16)
Cofondatrice de la Maison des urgences vétérinaire (Maisons-Alfort [Val-de-Marne])
Les consultations à domicile ne permettent pas de répondre à toutes les situations
J’ai commencé à travailler comme vétérinaire urgentiste chez VetoAdom en 2016, et je me suis associée en 2021. Au cours de mes régulations téléphoniques au centre d’appels, j’ai pris conscience que les consultations à domicile ne permettaient pas de répondre à toutes les situations. D’où l’idée d’ouvrir une clinique pour accueillir les urgences nécessitant une prise en charge chirurgicale ou une hospitalisation. La Maison des urgences vétérinaires a ouvert ses portes à Maisons-Alfort, en avril 2022. Nous pensions drainer une clientèle locale, mais nous avons rapidement été débordés par des clients venus de toute l’Île-de-France. En un mois, nous avons atteint le niveau d’affluence que nous pensions atteindre au bout de cinq ans ! Cela a motivé l’ouverture de deux autres Maisons des urgences, à Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne) et à Taverny (Val-d’Oise) en décembre 2022. En pratique, les appels des propriétaires sont toujours renvoyés vers le standard de VetoAdom, qui les oriente, selon les cas, vers une prise en charge à domicile ou vers la Maison des urgences vétérinaires la plus proche.
Julie Monot (A 14)
Associée cogérante chez VetoAdom (Île-de-France)
Les urgences attirent des profils variés et de tous âges
Un burn-out m’a fait envisager une reconversion professionnelle. Avant de renoncer définitivement à la pratique vétérinaire, j’ai eu envie d’essayer un autre mode d’exercice. Travailler comme urgentiste m’a redonné le sentiment d’être utile et de rendre service. J’apprécie la diversité des consultations, qui exige d’être adaptable et réactive. Chargée du recrutement et de la formation chez VetoAdom/Maison des urgences vétérinaires, je constate que nous attirons des profils variés et de tous âges. Des jeunes diplômés, motivés par la perspective d’un poste non routinier et donc formateur, et rassurés par le soutien de vétérinaires seniors en cas de besoin. Mais aussi des confrères plus âgés, qui effectuent des vacations d’urgences en complément d’autres projets professionnels : lancement d’une autoentreprise, voire à la retraite. Le salaire n’est plus la motivation première : les candidats veulent de la flexibilité, afin de pouvoir organiser leur travail en fonction de leur vie personnelle et pas l’inverse.
Laurent Brun (L 93)
Associé à la clinique Sainte-Anne, Sorgues (Vaucluse)
L’obligation de permanence et continuité des soins était vécue comme une contrainte par nos confrères
Avant l’ouverture du service d’urgences de la clinique, nous faisions partie d’un tour de garde avec une quinzaine de vétérinaires de la zone. Nous nous retrouvions une fois par an pour établir le planning de gardes. À cette époque, l’obligation de permanence et continuité des soins était vécue par la plupart des participants comme une contrainte. En 2014, avec mon premier associé et un aide longue durée, nous avons quitté ce système pour gérer nos propres urgences. Il fallait assurer, car un retour en arrière n’était pas envisageable. Ce service s’est rapidement étendu aux confrères en faisant la demande, et nous sommes très vite montés en puissance. Depuis 2014, la clinique est ouverte 24 heures sur 24. Notre croissance s’est faite par vagues, avec l’arrivée de nouvelles cliniques nous référant leurs urgences. Aujourd’hui, neuf vétérinaires se relaient pour assurer les urgences, et nous drainons une clientèle allant de Carpentras à Orange.
La permanence et continuité des soins
L’activité d’urgence est intimement liée aux obligations de permanence et de continuité des soins (PCS). La permanence des soins correspond à « la possibilité de répondre à une demande de soins à un animal en péril, à tout instant ». Chaque vétérinaire en tant qu’individu n’est pas tenu à la permanence des soins. C’est une obligation déontologique imposée à la profession dans son ensemble envers les propriétaires d’animaux. Il est du rôle de l’Ordre de l’organiser et de vérifier que cette mission de « service au public » est accomplie. La continuité des soins correspond au suivi des animaux précédemment confiés au vétérinaire traitant par les propriétaires et les éleveurs. C’est une obligation déontologique imposée au praticien envers sa clientèle.
Entre sens du devoir et épuisement professionnel
En 2005 déjà, 72 % des vétérinaires se disaient stressés par la continuité des soins, et 77 % considéraient que cette obligation détériorait leur qualité de vie personnelle1. Plus récemment, une étude, réalisée en 2019 par le conseil régional de l’Ordre des vétérinaires de Nouvelle-Aquitaine, s’est intéressée au ressenti des praticiens en matière de PCS2. Parmi les points positifs cités par les vétérinaires interrogés figuraient notamment le bien-être animal et le sentiment d’accomplir son devoir. Pour les points négatifs, 77 % d’entre eux soulignaient le déséquilibre entre travail et vie privée, et 67,5 % évoquaient un sentiment de corvéabilité. Les impayés, les difficultés de recrutement et l’agressivité du public étaient également signalés parmi les critères de pénibilité dans l’organisation de la PCS. Enfin, le rapport Truchot3 sur la santé au travail des vétérinaires (2022) identifie les gardes de nuit comme un « point de crispation majeur », source d’épuisement professionnel et de dégradation de la vie personnelle.
1. Lesage A. Aspects juridiques des urgences vétérinaires. Thèse d’exercice [Médecine vétérinaire]. Toulouse: École nationale vétérinaire de Toulouse; 2011.
2. Buquet J. La permanence et continuité des soins. La Semaine Vétérinaire n° 1798, du 16 février 2019.
3. Truchot D, Andela M., Mudry A. La santé au travail des vétérinaires : une recherche nationale. Rapport de recherche pour le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires et l’association Vétos-Entraide; 2022.
En cas d’urgence, merci de composer le…
La régulation téléphonique est au cœur de la gestion des urgences. Externalisée, elle permet au personnel des cliniques de se décharger totalement de la réception des appels, de se consacrer pleinement aux soins, mais aussi de déléguer l’annonce des tarifs de consultation aux clients. Un point apprécié par l’équipe soignante autant que par les propriétaires qui préfèrent aborder les considérations financières avec des intervenants détachés de la prise en charge médicale. La régulation téléphonique internalisée permet une gestion plus fine du flux des arrivées, en fonction des consultations en cours. Les auxiliaires spécialisés vétérinaires ou secrétaires ont généralement pour consigne de ne pas perdre de temps au téléphone et de faire venir tout client inquiet… en évitant de fixer des rendez-vous à une heure précise, sous peine de se voir reprocher ensuite d’éventuels retards par les clients.
Profession : praticien hospitalier urgentiste
Stress, désorganisation du planning… Pour les cliniques vétérinaires « de jour », l’arrivée d’une urgence représente rarement un motif de réjouissance. Dans certaines structures ouvertes 24 heures sur 24, praticien hospitalier urgentiste assure spécifiquement la prise en charge des urgences durant les horaires d’ouverture. Cette organisation permet d’accueillir les urgences dans de bonnes conditions, celles de la clientèle et des confrères voisins si nécessaire.