Gastro-entérologie féline
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Renaud Dumont
L’entérite lymphoplasmocytaire (LPE) est une affection fréquente chez le chat, dont la prévalence augmente fortement avec l’âge. Sa distinction avec le lymphome gastro-intestinal de bas grade à cellules T (LGITL) peut être délicate puisque ces deux entités partagent de nombreuses anomalies cliniques, biologiques et histologiques. Un nouveau consensus de l’American College of Veterinary Internal Medicine (ACVIM)1 apporte un éclairage global sur ces deux affections et met en exergue les éléments clés permettant de faciliter leur diagnostic et leur distinction en pratique.
Étiopathogénie
Plusieurs éléments supportent l’hypothèse que LPE et LGITL représentent deux extrémités d’un même continuum plutôt que deux entités distinctes. En effet, l’inflammation chronique est un facteur favorisant l’oncogenèse, et jusqu’à 60 % des chats atteints de LGITL présentent des lésions inflammatoires concomitantes. L’implication des virus de la leucémie féline (FeLV) et de l’immunodéficience féline (FIV) dans le développement des lymphomes gastro-intestinaux de bas grade reste à ce jour indéterminée. Bien que certaines études aient prouvé la présence de matériel génétique du FeLV au sein de biopsies intestinales, aucun lien de causalité n’a été clairement démontré.
Données épidémiologiques et cliniques
Il n’existe à ce jour aucun élément épidémiologique ou clinique pathognomonique permettant de différencier avec certitude une LPE d’un LGITL chez le chat, puisque les présentations cliniques très polymorphes de ces deux affections sont similaires, y compris lors de l’absence de signe clinique. Bien que les chats atteints de LGITL soient significativement plus âgés que ceux atteints de LPE (âges médians de 13 et 8 ans, respectivement), les étendues des âges d’apparition se chevauchent très largement (4-20 ans pour le LGITL, 1,3-16 ans pour la LPE). Le LGITL semble cependant peu fréquent chez les chats de moins de 8 ans. La perte de poids est le signe clinique le plus fréquent lors d’entéropathie chronique chez le chat. Les anomalies cliniques les plus fréquentes (abattement, perte de poids, hyporexie, polyphagie, vomissements, diarrhée et, plus rarement, constipation) sont indifféremment retrouvées en cas de LPE et de LGITL. L’examen clinique peut être normal ou révéler un épaississement diffus des anses digestives. La palpation d’une masse ou de nœuds lymphatiques volumineux oriente préférentiellement vers un lymphome digestif de haut grade, un autre processus tumoral, une fibroplasie sclérosante éosinophilique ou une infection granulomateuse. Bien que tous les segments gastro-intestinaux puissent être concernés par une LPE ou un LGITL, ce dernier est rapporté plus fréquemment au sein de certaines portions : jéjunum, iléon, duodénum, estomac et côlon, par ordre décroissant.
Examens biologiques
Les analyses biologiques ne permettent pas de distinguer LPE et LGITL, bien que l’hypocobalaminémie soit plus fréquente lors de LGITL. La réalisation de certains examens biologiques (analyse biochimique, hémogramme, analyse d’urine et coproscopique, mesure de la thyroxinémie totale) reste cependant indispensable pour exclure d’autres affections fréquentes du chat. L’hypoalbuminémie (14 à 100 % des cas) représente l’anomalie biologique la plus fréquente lors d’entéropathie chronique chez le chat, mais reste discrète dans la majorité des cas. Une augmentation de la concentration sérique de la lipase pancréatique spécifique est fréquemment observée mais ne reflète pas systématiquement la présence d’une pancréatite sous-jacente. Une hypocobalaminémie est rencontrée dans 18 à 80 % des cas et est significativement plus fréquente lors de LGITL. Bien qu’une diminution de la concentration sanguine des folates ou de la cobalamine apporte des informations sur la localisation de l’atteinte intestinale (début de l’intestin grêle et iléon, respectivement), leur absence ne permet jamais d’exclure une maladie digestive.
Imagerie médicale
L’échographie abdominale est un outil majeur dans l’approche diagnostique. Elle permet d’évaluer l’architecture de la paroi gastro-intestinale, d’identifier la localisation anatomique concernée, d’observer l’aspect et la taille des nœuds lymphatiques mésentériques, tout en examinant le reste des organes abdominaux. Ce dernier avantage est particulièrement intéressant dans le cas des triades félines. Les anomalies échographiques des entéropathies chroniques sont bien caractérisées et l’épaississement pariétal diffus représente l’anomalie la plus fréquente. Les nœuds lymphatiques jéjunaux sont significativement plus larges, plus ronds et plus hypoéchogènes lors de LGITL que de LPE. De même, la présence d’un épanchement abdominal discret est plus souvent associée au LGITL (45 % contre 14 % pour les LPE). Il existe néanmoins de nombreuses similitudes échographiques entre les anomalies observées lors de LPE et de LGITL. Par ailleurs, certaines maladies gastro-intestinales peuvent se manifester sans aucune modification échographique. Par conséquent, cet examen indispensable dans la démarche diagnostique n’offre aucun critère fiable pour distinguer LPE et LGITL.
Ponction à l’aiguille fine et analyse cytologique
L’analyse cytologique constitue une étape essentielle après la découverte d’une masse, d’une adénomégalie ou d’une organomégalie abdominale pour exclure d’autres affections. En revanche, l’analyse cytologique de la paroi gastro-intestinale ou d’un nœud lymphatique mésentérique ne permet pas de discriminer LPE et LGITL, en raison d’une grande similitude de la morphologie cellulaire chez ces deux entités et de la présence d’une inflammation concomitante lors de nombreux cas de LGITL.
Biopsies et analyse histologique
La réalisation de biopsies de la paroi gastro-intestinale reste à ce jour le gold standard pour le diagnostic et la distinction d’une LPE et d’un LGITL. Aucune étude n’a clairement identifié la supériorité diagnostique des échantillons transpariétaux prélevés par laparotomie comparativement aux biopsies endoscopiques. En effet, une mauvaise technique de prélèvement peut affecter la qualité des biopsies et donc l’interprétation diagnostique pour les deux méthodes. De plus, comme l’ensemble des cas de LPE et de LGITL présentent une infiltration de la lamina propria (tissu conjonctif qui tapisse l’épithélium digestif), des biopsies qualitatives de la muqueuse prélevées par endoscopie peuvent aboutir au diagnostic sans la nécessité d’obtenir des biopsies de l’intégralité de la paroi. Les deux principales exceptions concernent les infiltrations du jéjunum (principal segment intestinal concerné par les LPE et les LGITL) et une atteinte des organes extradigestifs.
Une analyse histologique est indispensable pour diagnostiquer et différencier une LPE et un LGITL, mais un prélèvement adéquat des biopsies, une préparation rigoureuse des échantillons et une lecture standardisée des lésions sont nécessaires pour une interprétation diagnostique fiable. Certains patterns de distribution cellulaire, comme une infiltration massive et une perte d’architecture de la lamina propria, un épithéliotropisme marqué, un gradient au sein de la lamina propria et la présence de nid/plaques intraépithéliaux sont très évocateurs d’un LGITL. Cependant, malgré un prélèvement et un traitement optimal des échantillons, certains cas restent ambigus et nécessitent d’avoir recours à des examens plus spécifiques, comme l’immunohistochimie et le test de clonalité.
Colorations spéciales et immunohistochimie
L’immunohistochimie utilise des anticorps spécifiques pour reconnaître et fixer des déterminants antigéniques, appelés épitopes, qui permettent la détection au microscope de biomarqueurs de différenciation et prolifération. Cette technique permet de différencier les infiltrations cellulaires monomorphiques (clones cellulaires) et mixtes (stimulation antigénique lors d’inflammation). Cependant, son interprétation reste délicate puisqu’une inflammation concomitante est retrouvée dans certains cas de LGITL. En outre, une stimulation antigénique chronique peut conduire à une prolifération lymphocytaire monoclonale. La fraction de prolifération cellulaire peut également être évaluée par l’expression du Ki-67, protéine du noyau dont l’expression maximale survient pendant la phase M de la mitose. Enfin, deux études récentes démontrent une expression importante de STAT5 dans les cas de LGITL2,3.
Test de clonalité
L’évaluation de la clonalité par analyse PCR sur les biopsies intestinales peut constituer une étape importante dans l’investigation des entéropathies chroniques. Le test est basé sur l’amplification d’une région génomique spécifique des lymphocytes codant pour les récepteurs à des antigènes (TCR pour les lymphocytes T, IGH pour les lymphocytes B). Un profil monoclonal (ou oligoclonal) est attendu en cas de LGITL, et un profil polyclonal est attendu en cas de LPE. Cependant, certains biais techniques et cas atypiques ne suivent pas cette règle et rendent l’interprétation du test de clonalité difficile. En effet, clonalité n’est pas synonyme de malignité puisque des expansions clonales bénignes ont été décrites secondairement à des infections, des inflammations intestinales chroniques et en réaction à certains médicaments. Le test de clonalité doit donc être interprété à la lumière des données cliniques, histologiques et immunohistochimiques, mais jamais seul.
Conclusion
À ce jour, aucun test diagnostique seul ne permet de distinguer avec certitude LPE et LGITL. Le diagnostic final s’appuie donc sur l’obtention d’un faisceau de preuves comprenant les données épidémiologiques et cliniques, les résultats d’analyses biologiques, les anomalies échographiques, les analyses histologiques et immunohistochimiques, et le test de clonalité.
Témoignage
Valérie Freiche (A 88), PhD, DESV-IM, présidente de l’European Society of Comparative Gastroenterology
Il existe un continuum entre LPE et LGITL
Les entéropathies chroniques félines (ECF) sont très fréquentes chez le chat âgé de plus de 8 ans. Les deux entités les plus complexes à différencier sont, d’une part, les entéropathies lymphoplasmocytaires (LPE) et, d’autre part, les lymphomes intestinaux de bas-grade à petites cellules T (LGITL). Au cours des vingt dernières années, l’augmentation de l’incidence des LGITL a été majeure selon toutes les données bibliographiques. Après dix années en quête de collaborations, j’ai eu l’honneur d’être reçue en 2015 par le Pr Olivier Hermine (Institut Imagine, Hôpital Necker-Enfants Malades). Notre travail commun a d’abord permis une nouvelle caractérisation des entéropathies chroniques félines, puis de démontrer qu’elles constituent un modèle spontané des très rares lymphoproliférations gastrointestinales indolentes à petites cellules T chez l’homme.
Ces nouveaux critères ont confirmé l’existence d’un continuum entre LPE et LGITL et validé l’activation de la voie JAK-STAT lors de LGITL, ce qui pourrait ouvrir de futures perspectives thérapeutiques pour les animaux de compagnie. Un séquençage comparatif du microbiote a été réalisé de même qu’un Whole Genome/Virome Sequencing, dont les données devraient être disponibles dans les prochains mois.
Ces publications ont permis ma contribution, en tant que co-chair (avec ma collègue Sina Marsilio, UC Davis, Californie), à l’ACVIM statement qui vient d’être publié. Un travail d’équipe passionnant qui souligne à quel point les collaborations vétérinaires internationales et les travaux de recherche communs de médecins et chercheurs sont essentiels et bénéfiques aux deux espèces : un immense pan du Concept One-Health qui méritera d’être porté au cours des prochaines années. Tirons les enseignements du passé !