DOSSIER
Auteur(s) : Élodie Pasquier et Caroline Prouillac
Prescrire de la phytothérapie en santé animale implique une démarche personnelle de la part du vétérinaire praticien qui ne dispose pas d’un arsenal suffisant en la matière.
Du grec « phyton » pour « plante » et de « therapeia » pour « remède », la phytothérapie est définie comme « le traitement ou la prévention des maladies par l’usage des plantes »1. Pratique thérapeutique très ancienne, elle repose de nos jours sur l’utilisation de plantes qualifiées de médicinales. Ces plantes trouvent leur place au sein de l’arsenal thérapeutique en tant que médicaments dès lors que ceux-ci sont employés pour soigner ou prévenir une maladie. L’usage de compléments alimentaires à base de plantes sans allégation thérapeutique ne peut donc relever de la phytothérapie au sens strict du terme. Le vétérinaire qui souhaite recourir à la phytothérapie a donc deux possibilités : utiliser les médicaments à base de plantes possédant une Autorisation de mise sur le marché (AMM) ou prescrire des préparations magistrales à base de plantes en application du principe de la cascade. À ce jour, les médicaments phytothérapeutiques sont peu nombreux sur le marché (9 AMM). Afin de faciliter le dépôt de demande d’AMM par les laboratoires, le décret n° 2013-472 permet un allègement du dossier et s’applique aux médicaments dont l’innocuité et l’usage traditionnel en France ou dans l’Union européenne depuis au moins dix ans peuvent être démontrés par les données de la littérature. L’analyse de cette dernière et l’établissement des preuves d’efficacité et d’innocuité restent toutefois délicats, car le nombre d’études est parfois limité et leurs résultats peu comparables.
Un intérêt conséquent des vétérinaires
La phytothérapie est pourtant proposée par le plan EcoAntibio 2 comme une thérapeutique pouvant permettre de limiter la prescription d’antibiotiques dans le cadre de lutte contre l’antibiorésistance2. En parallèle, dans son rapport relatif à l’état des lieux des alternatives aux antibiotiques en vue de diminuer leur usage en élevage, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) reste prudente quant aux données scientifiques d’efficacité disponibles. Elle suggère la nécessité de mettre en place une recherche expérimentale adaptée à la mise en évidence d’effets de faible intensité et avec une méthodologie permettant de démontrer les effets sur des bases scientifiques solides3. Des enquêtes menées ces dernières années en Europe ont montré un intérêt conséquent des vétérinaires pour la phytothérapie4,5. En France, les données sur son utilisation en clinique vétérinaire demeurent peu nombreuses. D’après l’annuaire ROY, on estime qu’en 2017 environ 1 % des vétérinaires proposaient de la phytothérapie dans leur clinique6. Face à ces constats, une enquête a été réalisée auprès des vétérinaires praticiens en vue de faire un point sur l’utilisation de la phytothérapie en pratique vétérinaire, en particulier dans le domaine des maladies infectieuses. Ce travail a également pour objectifs secondaires d’identifier les motivations et les freins à cet usage.
L’usage de la phytothérapie varie selon la tranche d’âge
La proportion de vétérinaires déclarant recourir à la phytothérapie est importante, puisque 85 % ont répondu l’utiliser dans leur pratique en clinique. Ce résultat est à prendre avec précaution car les vétérinaires pratiquant la phytothérapie ont pu être plus enclins à répondre à l’enquête. Par ailleurs, le questionnaire ne dissociait pas l’usage des aliments complémentaires de l’usage des médicaments à base de plantes. Il est possible qu’une partie des répondants considèrent l’utilisation des compléments alimentaires comme de la phytothérapie. Chez nos voisins européens, les chiffres sont proches. En 2005, dans une enquête similaire menée en Autriche, en Suisse et en Allemagne, 75 % des praticiens interrogés déclaraient utiliser la phytothérapie en clinique4. Plus récemment, en 2022, une enquête espagnole a mis en évidence que 80,3 % des vétérinaires pour animaux de compagnie interrogés avaient recours aux plantes pour soigner5. Dans l’étude menée en France, l’usage de la phytothérapie semble varier selon la tranche d’âge considérée. Les plus de 50 ans sont les plus nombreux à avoir recours à la phytothérapie (33 % du total des répondants), suivis des praticiens âgés de 30 à 40 ans (32 %) puis de ceux de 40 à 50 ans (26 %). Les moins de 30 ans ne sont en revanche que 9 % à utiliser les plantes en clinique. L’âge du praticien reflète aussi son expérience en clinique. Les jeunes vétérinaires font peut-être le choix de baser leurs premières années de pratique sur la médecine conventionnelle, davantage enseignée et maîtrisée que les autres possibilités thérapeutiques. Après plusieurs années en clinique, les vétérinaires plus expérimentés ont sûrement davantage le souhait de diversifier leur pratique, par intérêt personnel ou pour répondre à des problématiques rencontrées au fil des situations cliniques. Mais quelle que soit la tranche d’âge, le recours à la phytothérapie semble surtout occasionnel, la majeure partie des répondants ayant indiqué l’utiliser de temps en temps (figure 1).
Des clés de motivation
Les deux principales clés de motivation identifiées dans l’enquête sont le fait de pallier le manque de médicaments « conventionnels » sur le marché (antiviraux par exemple) et le faible nombre voire l’inexistence d’effets secondaires pour l’animal. L’attrait personnel pour la phytothérapie est également un facteur de motivation fort chez les répondants alors que celui de la clientèle pour les médecines complémentaires est moyennement motivant chez la plupart (figure 2). Les raisons qui poussent les vétérinaires à recourir à la phytothérapie peuvent varier selon les pays : dans les pays germanophones, la forte adhésion des propriétaires à ce type de prise en charge, liée notamment à un intérêt croissant pour la nature, est en effet une motivation importante4. En Espagne, c’est la complémentarité d’action avec les traitements allopathiques qui apparaît comme le principal bénéfice5. Par ailleurs, en France, les résultats montrent que les praticiens ayant recours à la phytothérapie sans éprouver d’attrait particulier pour cette thérapeutique sont ceux qui sont plutôt motivés par l’absence d’effets secondaires pour l’animal et l’intérêt de la clientèle (facteurs identifiés comme des clés de motivation forte chez 22 % des répondants dans les deux cas).
Mais aussi des freins majeurs
Débuter en phytothérapie peut amener le praticien à faire face à certaines problématiques. Dans l’enquête, la réalisation des préparations magistrales est une difficulté jugée forte chez 34 % des répondants. Viennent ensuite la détermination des posologies (chez 29 % des répondants) et l’accès aux formations (chez 27 % des répondants). En comparaison, la disponibilité des produits phytopharmaceutiques et le fait de proposer un traitement différent aux propriétaires apparaissent comme des difficultés secondaires, jugées fortes chez seulement 12 % et 13 % des praticiens respectivement. Les répondants, qui avaient la possibilité d’évoquer d’autres sources de difficultés rencontrées sur le terrain, ont souvent souligné la question de l’observance des traitements. Le manque d’appétence des préparations magistrales peut, selon eux, rendre leur administration compliquée, en particulier chez le chat. Chez la minorité de praticiens qui n’utilisent pas la phytothérapie (15 % du total des répondants), le premier frein identifié est le manque de connaissances (figure 3) qui peut être relié au niveau d’apprentissage en formation initiale. En effet, 87 % des vétérinaires interrogés n’ont pas suivi d’enseignement en phytothérapie lors de leurs études. L’intégration des médecines complémentaires au sein des programmes universitaires vétérinaires tend pourtant à se démocratiser.
Un lien entre formation initiale et pratique clinique
En 2000, une étude menée auprès de 27 universités américaines avait montré que moins d’un tiers d’entre elles incluaient l’enseignement des médecines alternatives dans leur programme, bien que les étudiants aient montré un réel intérêt pour celles-ci7. Dix ans plus tard, une étude similaire menée dans 26 universités américaines, 2 canadiennes, 3 australiennes et 3 européennes montraient cette fois que la moitié d’entre elles avaient intégré une formation en médecines complémentaires, dont la phytothérapie8. Dans notre enquête, notons que 89 % de ceux qui ont suivi des cours sont issus d’une école française. Ce résultat reste cependant à nuancer par le fait que la majorité des répondants ont fait leurs études en France. Enfin, formation initiale et pratique en clinique semblent avoir un lien : 94 % de ceux qui ont été formés en école ont répondu avoir recours à la phytothérapie, dont 28 % très souvent. Côté formation continue, là encore 69 % des répondants n’ont pas suivi de cours en phytothérapie. Les autres ont majoritairement suivi les formations proposées par le laboratoire Wamine® et le diplôme inter-écoles (DIE) de phytothérapie. Créé en 2018, ce diplôme comprend environ cent vingt heures de formation, réparties en quatre modules allant des principes généraux de la phytothérapie à l’élaboration d’un traitement adapté en médecine vétérinaire. Il s’agit de la seule formation diplômante en France en phytothérapie et dédiée à la santé animale.
Le manque de preuves scientifiques
L’autre principal frein est le manque de preuves scientifiques sur lesquelles appuyer le choix des plantes et des posologies mais aussi sur leur innocuité. La recherche en phytothérapie moderne se développe : en 2015, la plateforme de recherche scientifique PubMed comptait plus de 25 000 publications relatives à la phytothérapie, comprenant des essais cliniques, des revues systématiques et des méta-analyses de plantes9. Mais ces articles sont pour la grande majorité appliqués à la médecine humaine, et dans le domaine de la phytothérapie vétérinaire le nombre de publications est bien inférieur. Selon le Dr Barbara Fougere, membre du Collège australien des thérapies vétérinaires intégratives, « la rareté relative des essais cliniques rigoureux en médecine vétérinaire est principalement due au fait que, par rapport au secteur pharmaceutique, l’industrie des plantes médicinales pour animaux de compagnie est petite et peut rarement se permettre les dépenses considérables d’un essai clinique ». En outre, la recherche scientifique sur les plantes médicinales est complexe. Il existe, par exemple, une variabilité importante de la teneur en principes actifs d’une même espèce de plante selon son origine géographique, son mode de culture ou encore sa méthode de préparation, qui peut engendrer une difficulté à standardiser les extraits utilisés dans les études. Rappelons aussi que la phytothérapie est basée sur la notion du totum de la plante (l’effet est obtenu grâce à l’action synergique d’un ensemble de substances et non par celle d’une seule substance), qui complexifie encore la recherche. Tous ces éléments contribuent à une frilosité de la part des laboratoires à investir dans les demandes d’AMM, au bénéfice de la mise sur le marché de nombreux compléments alimentaires dont la procédure de commercialisation est moins contraignante et exigeante.
La phytothérapie pour traiter des infections d’origine bactérienne
Certains facteurs semblent fortement liés : parmi ceux qui considèrent le manque de preuves comme un frein majeur, 58 % déclarent craindre les échecs de traitement. Le manque de reconnaissance par la communauté scientifique y participe également, avec parfois la crainte d’être perçu comme moins légitime au sein de la profession. La sensibilité personnelle du praticien est aussi à prendre en compte, une clé de motivation pour certains pouvant être perçue pour d’autres comme un frein. Dans notre enquête, une partie des vétérinaires considère l’approche en phytothérapie, avec la possibilité de prendre en charge l’animal dans sa globalité, comme stimulante, tandis que d’autres voient cette démarche intellectuelle différente comme une difficulté. L’enquête menée en Suisse, en Autriche et en Allemagne avait révélé que l’utilisation de la phytothérapie pour la prise en charge des infections était rare4. Parmi les vétérinaires interrogés dans le cadre de l’enquête lancée en France, qui ont déclaré prescrire des traitements à base de plantes, 51 % ont répondu y avoir recours pour traiter des infections (tous types d’infection confondus). Les trois indications principales citées par les répondants sont les infections respiratoires, les cystites bactériennes et les infections cutanées (figure 4) ; le coryza étant l’indication la plus fréquemment rapportée toutes réponses confondues. Pour leur prise en charge, le cyprès (dans le cas du coryza) et la canneberge (dans le cas des cystites bactériennes) semblent faire consensus chez les répondants.
Un traitement complémentaire
La plupart du temps, en cas d’infection bactérienne ou virale, la phytothérapie n’est pas prescrite comme traitement unique. Elle est associée à un traitement antibiotique classique (figure 5), ce qui peut donc rendre difficile l’évaluation de son efficacité en tant qu’anti-infectieux. L’antibiorésistance est globalement perçue comme un enjeu important qui concerne directement la profession (figure 6). L’intérêt porté à cette problématique est sensiblement le même dans les différentes tranches d’âge. Or, si les moins de 30 ans ont été sensibilisés à l’antibiorésistance durant leurs études, ce n’est probablement pas le cas des praticiens plus âgés. Cela peut témoigner, au-delà d’une communication importante à ce sujet ces dernières années, d’une réalité de terrain à laquelle est confrontée la profession. En revanche, si 39 % des répondants savent que la phytothérapie fait partie des alternatives retenues dans le dernier plan Eco Antibio, la question de son intérêt pour limiter la prescription d’antibiotiques semble plus clivante (figure 7). Notons que les plus concernés par la problématique de l’antibiorésistance sont également les plus nombreux à penser que la phytothérapie est une alternative intéressante aux antibiotiques (chez 28 % des répondants), voire très intéressante (chez 22 % des répondants).
En résumé...
La phytothérapie semble donc trouver sa place dans l’arsenal thérapeutique des vétérinaires interrogés dans l’enquête, y compris pour le traitement des infections. La volonté d’élargir les options thérapeutiques et l’absence d’effets secondaires constituent les principales clés de motivation. Le manque de connaissances, en partie lié au niveau de formation initiale, est cependant un frein important. Le développement de la phytothérapie en médecine vétérinaire, qui soulève des enjeux sociétaux, économiques et scientifiques, est encouragé ces dernières années pour la lutte contre l’antibiorésistance. Mais la médecine vétérinaire moderne se doit d’être basée sur les preuves ; en ce sens, il apparaît essentiel que la recherche scientifique vienne éclairer l’usage traditionnel des plantes pour permettre au praticien d’élaborer un traitement de phytothérapie adapté basé sur l’innocuité et l’efficacité.
Méthodologie
L’enquête a été diffusée par le biais de la liste des abonnés de La Semaine vétérinaire. Les professionnels ciblés sont donc des vétérinaires ayant une activité canine pure ou mixte en France. Le questionnaire a été adressé sous la forme d’un formulaire en ligne accessible pendant une période de neuf semaines, du 10 mars au 12 mai 2023. Au total, 264 vétérinaires ont répondu, majoritairement des femmes (74 %). Les praticiens exerçant une activité canine pure sont les plus nombreux (76 %). Les plus de 50 ans sont les plus représentés dans notre enquête (34 %), suivis des praticiens âgés de 30 à 40 ans (31 %) puis de ceux de 40 à 50 ans (25 %). Les jeunes vétérinaires de moins de 30 ans sont en minorité et ne représentent que 10 % des répondants.