Cellules souches mésenchymateuses et gingivostomatite féline, la recherche avance - La Semaine Vétérinaire n° 1997 du 07/07/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1997 du 07/07/2023

Innovation thérapeutique

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Deux récentes publications apportent de nouveaux éléments scientifiques encourageants sur l’utilisation des cellules souches mésenchymateuses dans le traitement des chats atteints de gingivostomatite qui sont réfractaires aux traitements classiques.

La gingivostomatite chronique féline pourrait, dans les années à venir, bénéficier d’une nouvelle solution thérapeutique relativement simple d’application, les cellules souches mésenchymateuses (CSM). On savait déjà qu’il s’agissait d’une piste prometteuse de traitement. Aujourd’hui, une nouvelle étude rétrospective1 de l’Université vétérinaire de Californie (UC Davis), publiée en avril 2023 dans Frontiers in Veterinary Science, vient conforter cette hypothèse. Cette université est pionnière sur le sujet : en 2016 et 2017, les résultats de deux essais cliniques avaient été publiés pour une première évaluation à court terme. L’objectif était d’évaluer les effets de CSM dérivées du tissu adipeux, autologues et allogéniques. Sur les 14 chats recrutés réfractaires à une extraction dentaire, 9 avaient répondu positivement au traitement (réponses complètes et partielles), sans rechute pour aucun des chats testés. Ces premières données suggéraient aussi un effet plus rapide et marqué des cellules autologues2. Dans la nouvelle étude d’UC Davis, l’objectif était d’avoir des données d’efficacité et d’innocuité à plus long terme.

Une amélioration clinique dans 60 % des cas

Trente-huit chats ont pu être suivis. Tous avaient eu une extraction dentaire complète six mois auparavant ; aucun des chats ne présentait de comorbidités (FeLV, FIV, néoplasie). Le traitement a consisté en deux injections de CSM d’origine adipeuse à un mois d’intervalle : 17 chats ont été traités avec des cellules allogéniques, et 21 avec des cellules autologues. La période de suivi a oscillé entre deux et neuf ans. Au moment du suivi, 16 d’entre eux étaient décédés. Un bémol toutefois : une grande majorité des patients n’a pas été suivie par les équipes de l’université : 29 détenteurs ont répondu à l’enquête à distance (par mail ou téléphone) et 7 seulement ont été revus dans les hôpitaux.

L’analyse des données montre une nouvelle fois des effets positifs. Avant le traitement, tous les patients étaient caractérisés par un niveau de gravité clinique de la maladie de 6 ou plus (sur 10) et près de 60 % avaient un niveau de gravité de 10. Après le traitement3, seuls 19 % des patients étaient caractérisés par un niveau de gravité de 10, et près de 60 % avaient un niveau entre 1 et 5. Soit un taux de réponse positive de 65,5 % (19 sur 29). Ce taux était plus marqué pour les chats ayant reçu des CSM autologues (71,4 %, versus 60 % pour les CSM allogéniques) sans que la différence soit significative. Pour près de 60 % des chats, l’amélioration clinique a été durable après le traitement (17 sur 29, dont 9 autologues et 8 allogéniques dans les 36 à 108 mois suivant le traitement) ; pour 18 %, l’amélioration a été transitoire ; pour 24 %, il n’y a eu aucune amélioration.

Un point d’étape à six mois

Pour les 7 chats vus en clinique, tous ont été caractérisés par une amélioration clinique (score SDAI4) marquée par rapport à la situation avant traitement, et 5 aussi par rapport au premier suivi six mois après le traitement. L’état clinique à six mois est apparu comme un facteur prédictif de la réponse à long terme.

Concernant l’innocuité, des effets indésirables ont été observés pendant ou immédiatement après le traitement dans près de 35 % des cas, avec surtout des effets généraux (46 %) de type vomissements, diarrhées, hausse de la fréquence respiratoire. Globalement, il y a eu davantage d’effets négatifs avec les cellules autologues qu’allogéniques (69 % vs 31 %). Malgré tout, l’étude ne signale que 3 chats avec des effets graves pendant le traitement, dont une détresse respiratoire ayant amené à une intervention médicale et l’arrêt de l’injection du produit. Aucun décès n’a été rapporté, ni effets secondaires persistants à long terme. Au final, près de 91 % des détenteurs ont indiqué être prêts à envisager un nouveau traitement si besoin.

Pour les chercheurs d’UC Davis, ces données sont encourageantes, et permettent d’envisager de proposer ce traitement pour les chats qui n’ont pas répondu à l’extraction dentaire. Dans cette optique, un suivi à six mois pourrait être un « point de contrôle standard » pour appuyer le pronostic. D’autres études, de plus grande envergure, restent toutefois nécessaires, notamment pour corréler le score clinique SDAI avec la réponse au traitement. Ce score pourrait aussi être amélioré, en intégrant notamment d’autres biomarqueurs (taux de cellules T CD8+, interleukines, calicivirus, etc.) pour mieux évaluer le chat, et adapter le suivi. Des questions restent ouvertes pour le meilleur usage de cette nouvelle thérapie, par exemple juste après l’extraction dentaire.

Des développements cliniques en France

Ces bons résultats ne suffisent pas encore pour rédiger des recommandations dans le but d’une généralisation d’usage sur le terrain. Mais cela pourrait rapidement évoluer : en France, l’entreprise Vetbiobanks s’est spécialisée dans les cellules souches mésenchymateuses pour le secteur vétérinaire (chien, chat, cheval). Les recherches en cours visent les maladies inflammatoires et immunitaires, avec l’objectif de développer des médicaments. Pour le chat, les recherches sur la gingivostomatite sont aussi en cours avec une première étude pilote5 publiée dans le Journal of Small Animal Practice, en décembre 2022. Par rapport aux études d’UC Davis, l’entreprise a évalué les effets d’une administration unique de cellules mésenchymateuses néonatales. Huit chats réfractaires au traitement (chirurgical et médical) ont été inclus dans l’étude, avec un suivi fait jusqu’à six mois. Une amélioration clinique a été notée, avec de fortes disparités suivant les individus (mais l’amélioration clinique a été supérieure à l’effet placebo). À six mois, 5 chats n’avaient plus aucun traitement médical associé, et 3 recevaient une dose réduite. Si les recherches se poursuivent pour le chat, celles concernant le chien pour le traitement de l’arthrose sont plus avancées. Selon l’entreprise, le développement clinique de leur médicament cellulaire à base de cellules souches néonatales pour le traitement de l’arthrose est très avancé et devrait être terminé avant la fin de l’année, ouvrant la voie à un dépôt prochain d’autorisation de mise sur le marché.

  • 1. Soltero-Rivera M., Sterling H., Andrew Blandin A. et al. Mesenchymal stromal cell therapy for feline chronic gingivostomatitis: Long term experience. Front Vet Sci. 2023;10:1171922. urlz.fr/mwx9
  • 2. Quimby J. M., Borjesson D. L. Mesenchymal stem cell therapy in cats: Current knowledge and future potential. ISFM. 2018. urlz.fr/mwxd. Les cellules autologues sont issus du patient ; les cellules allogéniques proviennent d’un individu de la même espèce.
  • 3. Pas de réponse à cette question pour huit participants.
  • 4. Stomatitis disease activity index. Score basé sur l’appétit, le niveau d’activité, le comportement de toilettage et le confort.
  • 5. Febre M., Saulnier N., Roux P. et al. Placenta-derived mesenchymal stromal cells as a treatment for refractory chronic gingivostomatitis in cats: eight cases (2018). JSAP. 2022. urlz.fr/mwBb