Expression
EXPRESSION
Auteur(s) : Propos recueillis par Chantal Béraud
Un potentiel développement à une plus grande échelle de l’élevage en plein air implique notamment d’apprendre à mieux gérer la cohabitation essentielle entre faune domestique et faune sauvage. Quelles solutions envisager pour adapter les élevages ?
Charlotte Dunoyer (A 84)
Directrice scientifique SABA (Santé et bien-être des animaux) à l’Anses
Les bouleversements s’enchaînent…
Le contexte actuel des changements climatiques entraîne des modifications de températures, de paysages, de biodiversité, des migrations de populations humaines et animales. Avec des conséquences aussi en termes de santé (extension possible de maladies vectorielles, introduction de nouvelles maladies, potentielle transformation de maladies non encore zoonotiques en maladies zoonotiques…). C’est pourquoi les filières d’élevage ont assurément à répondre à de nouveaux questionnements : comment adapter les bâtiments ? Et si l’on développe l’élevage de plein air, comment lutter efficacement contre le passage ainsi facilité de maladies inter-espèces ? Par exemple, les Anglais ont, dans le passé, procédé à des campagnes massives d’extermination des blaireaux, pensant ainsi limiter le risque d’exposition des bovins à la tuberculose. Mais cela n’a pas fonctionné. C’est pourquoi, le laboratoire de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) spécialisé sur la faune sauvage, à Nancy, participe à la mise au point d’un vaccin contre la tuberculose. Solution qui reste cependant compliquée à mettre en œuvre, car il faut développer un appât distribué dans la nourriture qui convienne aux blaireaux, et à eux seuls.
Sophie Le Dréan-Quénec’hdu (N 93)
Présidente de la Commission environnement-faune sauvage de la SNGTV
De nombreux défis au développement du plein air
Pour développer l’élevage en plein air, il faut trouver une cohabitation possible entre la faune domestique et la faune sauvage. Jusqu’à présent, nous avons beaucoup essayé de séparer ces deux mondes mais cela ne marche pas. Et pour lutter contre la transmission de maladies (notamment les zoonoses) inter-espèces, on a tendance à tuer les populations sauvages incriminées. Outre le fait que cela ne fonctionne pas très bien, cela pose désormais de plus en plus de questions d’ordre éthique… Pour résumer, on ne peut pas tuer tous les oiseaux sauvages pour supprimer le risque de grippe aviaire ! Le défi actuel à relever est d’imaginer de nouvelles mesures à mettre en place pour améliorer la biosécurité. Comme il n’est pas possible de créer des no man’s lands autour de tous les élevages de plein air, il faudra réfléchir à des barrières naturelles, comme des haies, et revoir notre stratégie de vaccination… Une autre solution consiste à chercher des espèces résistantes à certaines maladies. Et les filières d’élevage devront également trouver des consensus collectifs pour déterminer quels niveaux de risque elles sont prêtes à accepter.
Barbara Dufour (A 80)
Professeure émérite en maladies contagieuses, zoonoses, réglementation sanitaire et épidémies
Ne pas délivrer de faux messages
Appliquer des mesures de biosécurité à des élevages en plein air reste souvent compliqué. Je me souviens de porcs en élevage alternatif atteints de brucellose porcine, car des lièvres étaient parvenus à passer sous leurs doubles clôtures ! Il faut donc du grillage fin, bien enterré… Actuellement, je trouve que le débat sur les conditions d’élevage est trop caricatural. Généralement, le consommateur pense que les labels sont toujours signes de qualité, que l’élevage en plein air est systématiquement mieux qu’en bâtiment. Mais la réalité est plus complexe : il y a du bon et du mauvais élevage en bâtiment, comme il y a du bon ou du mauvais élevage en plein air ! Il faudrait donc dire au consommateur que ces questions sont plus complexes. Côté vétérinaire, il est en tout cas certain que le développement du plein air pose de nouvelles questions en termes de santé et de bien-être animal. Par exemple, il est vrai que des porcelets nés dans des cases de mise-bas en plein air peuvent être la proie des corneilles. Mais il est aussi vrai qu’un porc respire moins bien s’il vit en bâtiment au-dessus d’émanations d’ammoniac !