Veille sanitaire
DOSSIER
Auteur(s) : Chantal Béraud
Les bouleversements climatiques entraînent une redistribution mondiale des maladies. Ces problématiques épidémiologiques nécessitent une collaboration internationale entre les chercheurs et les acteurs de terrain. Au-delà de leurs missions habituelles, les vétérinaires praticiens devront en assurer de nouvelles, comme la gestion de la faune sauvage.
La théorie d’un monde idéal est simple à établir : c’est celle d’un être humain sage vivant dans un environnement suffisamment préservé, laissant de la place à une cohabitation harmonieuse avec l’ensemble du vivant. Mais la situation mondiale réelle est tout autre, comme le décrit un travail d’analyse1 du ministère chargé de l’Agriculture intitulé « La lutte contre les maladies animales dans le contexte du changement climatique ». La carte qui y est publiée décrit « les principales maladies émergentes répertoriées mondialement, pour lesquelles une corrélation avec ledit changement climatique est établie2, soit, pour la zone Europe (conséquence notamment de la sécheresse et des mégafeux), les maladies émergentes suivantes : fièvre catarrhale ovine, influenza aviaire, fièvre de la vallée du Rift, encéphalite à tiques, fièvre du Nil occidental (West-Nile), peste porcine africaine, peste équine ».
De l’épidémiologie pour tous
Adapter l’approche épidémiologique des maladies animales face aux changements globaux (climatiques, transports, modes de vie...) : c’était justement en partie le thème des journées scientifiques annuelles3 organisées par l’Association pour l’étude de l’épidémiologie des maladies animales (AEEMA), les 1er et 2 juin 2023. Sa présidente, Barbara Dufour (A 80), vétérinaire de formation, également vice-présidente d’Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF), explique que, pour faire face aux maladies émergentes ou réémergentes, il faut organiser une lutte collective en y associant tous les acteurs, dont ceux de terrain (groupements de défense sanitaire, laboratoires, praticiens…). « Le but de l’AEEMA, complète-t-elle, est que les chercheurs puissent échanger avec eux au sujet des dernières connaissances et modèles acquis. En bref, faire de l’épidémiologie pour tous ! »
Une approche francophone
Et de poursuivre : « Comme les maladies n’ont pas de frontières, l’AEEMA favorise aussi des échanges de savoir internationaux, puisque certains pays ont déjà combattu, et même éradiqué avec succès, certaines maladies qui émergent ou réémergent ailleurs dans le monde. Mais nous avons une particularité : tous nos membres sont de langue francophone. » Pour donner des exemples concrets de l’intérêt de tels échanges, on peut prendre le cas de l’influenza aviaire. « Connaître ce qui se passe au nord de l’Europe permet de se projeter sur ce qui risque de se dérouler ensuite plus au sud de l’Europe », commente Barbara Dufour. De la même façon, les vétérinaires français savent qu’il leur faut toujours surveiller d’éventuelles survenues de cas de rage, puisqu’il existe encore des renards enragés notamment en Roumanie et en Hongrie.
La situation dans l’Hexagone
Sans en dresser une liste exhaustive, voici quelques autres maladies – dont certaines sont des zoonoses4 – pour lesquelles il faut actuellement rester vigilant en France : « La maladie de Lyme progresse dans de nombreuses régions. Dans l’est de la France, il y a aussi l’encéphalite à tiques, énumère Barbara Dufour. La fièvre du Nil occidental (West-Nile) est une maladie virale qui affecte certains oiseaux et mammifères, dont les chevaux et l’humain. La présence de moustiques infectés dans le sud de la France est maintenant très fréquente. » Concernant la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, il y a déjà eu une présence avérée d’infections humaines en Espagne et des sérologies positives dans le cheptel corse. Quant à la fièvre de la vallée du Rift, elle est présente à Mayotte. « Les praticiens français doivent aussi faire attention aux détenteurs de NAC non autorisés. Je rappelle, par exemple, que l’on a trouvé il y a quelques années un cas de rage sur une chauve-souris frugivore qui avait été importée illégalement d’Amérique du Sud. Donc, il convient de dire non au trafic illégal d’animaux en veillant au respect strict de la convention de Washington », ajoute Barbara Dufour.
Le rôle des vétérinaires français
Manuelle Miller, chargée de programme élevage, santé animale et santé publique vétérinaire chez AVSF, confirme que les praticiens ont, en métropole, « plusieurs rôles majeurs à jouer : celui de détection et de signalement auprès des autorités sanitaires, et aussi d’information et de prévention auprès du grand public. Cela recouvre des conseils d’hygiène de base, des précautions à prendre durant les voyages (ne pas entrer en contact avec des animaux errants, ne pas ramener un petit chien mignon trouvé dans une décharge – plusieurs cas de rage en provenance du Maghreb ayant été ainsi introduits en France). Aider à la prévention des zoonoses là-bas contribue à lutter contre leur arrivée en France puisque les pathogènes transportés n’ont plus de frontières ! »
Le climat joue un rôle important
Les changements climatiques en cours sont-ils pour autant la cause actuelle de tous ces maux ? « Non, certifie Barbara Dufour. Certes, si l’hiver est très froid (de - 5 °C à - 10 °C ), de petits rongeurs, des larves ou des tiques infectés vont mourir. En revanche, avec un hiver doux, davantage d’animaux infectés survivent et infectent effectivement à leur tour les nouvelles générations. Mais il existe aussi d’autres facteurs responsables de cette fabrique de maladies.» Quant au second défi à relever en France, il s’agit, toujours selon Barbara Dufour, de « la gestion de la grande faune sauvage, car elle n’a plus de grands prédateurs. Par exemple, les chevreuils, outre qu’ils contribuent à la déforestation en détruisant les jeunes arbres, nécessitent de faire l’objet d’une régulation de population ». Car, dès qu’une espèce devient trop dominante – et c’est aussi valable pour l’humain – elle empêche d’autres espèces d’être présentes sur son territoire. Et les déséquilibres s’enchaînent…
Témoignage
Barbara Dufour (A 80)
Professeure émérite en maladies réglementées, zoonoses, épidémiologie à l’Enva, présidente de l’AEEMA et vice-présidente d’AVSF
La biodiversité végétale conditionne les santés
Certaines espèces porteuses d’agents pathogènes peuvent plus facilement émerger si l’on diminue la biodiversité végétale. En effet, quand il n’y a plus suffisamment de concurrence interespèces animales dans la microfaune sauvage, cela favorise l’apparition d’une espèce surdominante, dont certains microrongeurs, avec, entre autres, les tiques à problèmes qui les accompagnent (maladie de Lyme, encéphalite à tiques…). Donc, oui, le défi de la santé est bien de l’ordre du One Health, puisque santé humaine et animale dépendent aussi de la santé végétale. C’est pourquoi l’agroécologie devrait prendre des lettres de noblesse en France si l’on veut pouvoir faire face aux défis environnementaux présents et à venir. Car, si on ne fait rien, on pourrait par exemple imaginer qu’un virus comme celui de Puumala (dont l’hôte naturel est le campagnol roussâtre) continuera son expansion en France. Pour l’heure, la maladie humaine qui en découle n’est pas trop sévère (syndrome grippal d’été), mais ce type de problème pourrait s’amplifier et s'aggraver.
Témoignage
Sophie Le Dréan-Quénec’hdu (N 93)
Praticienne en canine à Melesse (Ille-et-Vilaine) et présidente de la commission faune sauvage de la SNGTV
La gestion des populations sauvages infectées : un grand défi pour le vétérinaire
En raison notamment des changements climatiques, il y a des maladies nouvelles émergentes ou réémergentes, dont une partie sont des zoonoses, auxquelles les vétérinaires français sont déjà ou seront confrontés. L’aire de répartition des moustiques et autres arthropodes vecteurs change depuis plusieurs années. Au niveau de la faune sauvage, on peut observer une progression vers le nord des cas de West-Nile. Mais le climat n’est bien sûr pas le seul responsable : les échanges commerciaux et touristiques sont une cause majeure des modifications de la répartition des maladies animales. Par exemple, la mode actuelle des American Bully – du fait qu’une partie de ces chiens sont importés des États-Unis – conduit à une augmentation importante des cas de brucellose canine. Le praticien vétérinaire a donc bien des rôles à jouer : information et formation des propriétaires, vigilance épidémiologique et mise en place de mesures de biosécurité dans sa clinique et dans les élevages qu’il suit. Ce sont normalement des sujets que la profession maîtrise bien. En revanche, comment allons-nous gérer les maladies de la faune sauvage, ça, c’est un vrai défi à relever, comme on l’a vu avec l’influenza aviaire hautement pathogène. Car les mesures de type prophylaxie sanitaire avec des abattages plus ou moins massifs ont montré leurs limites en matière d’efficacité, de faisabilité et d’éthique.
Entretien
Manuelle Miller (N 09)
Chargée de programme élevage, santé animale et santé publique vétérinaire chez Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF), Manuelle Miller explique pourquoi la lutte contre les maladies se joue nécessairement à une échelle planétaire.
Contre les zoonoses, agissons aussi aux Suds1 !
Quelles actions menez-vous contre les maladies émergentes ou réémergentes, par exemple en Asie ?
Aujourd’hui, l’Asie du Sud-Est est considérée comme un « hot spot » d’émergence potentielle, du fait de fortes populations d’êtres humains et d’animaux, d’un climat qui se prête bien au maintien des pathogènes, avec de potentielles survenues de zoonoses capables de franchir les barrières d’espèces. C’est pourquoi, par exemple, nous agissons au Cambodge depuis plus de trente ans. Dans ce pays, 80 % de la population vit en milieu rural1.
Quelle est la présence vétérinaire sur place ?
Il n’y a quasiment aucun praticien privé installé à son compte en milieu rural. Les services vétérinaires publics sont localisés, au mieux, au niveau d’un district (l’équivalent d’un département en France) et n’ont pas les moyens de couvrir un territoire. C’est la raison pour laquelle nous y formons des auxiliaires communautaires de santé animale (Acsa) pour reconnaître les premiers symptômes des maladies, apporter les premiers soins, faire de la prévention (administration de traitements préventifs), etc.
Pouvez-vous donner un exemple de lutte contre une zoonose ?
Il y a douze ans, quand le Cambodge a été confronté à de l’influenza aviaire, nous avons dispensé différents conseils d’élevage et de biosécurité. Comme ne pas laisser les volailles divaguer en toute liberté, en construisant de petits poulaillers, où tous les visiteurs n’accèdent pas. Des clôtures évitent aussi les contacts avec des prédateurs et d’autres oiseaux. Et les abreuvoirs ne sont plus laissés accessibles à la faune sauvage. Il y a également aujourd’hui une meilleure gestion de l’introduction de nouvelles volailles et de meilleures conditions d’isolement des animaux malades. Enfin, des campagnes de vaccinations (non généralisées) contre l’influenza et la maladie de Newcastle ont aussi été menées. Grâce à ce genre d’actions2, les taux de mortalité dans les élevages ont très fortement chuté.
Quelles sont les conséquences du changement climatique au Cambodge ?
C’est le changement de la répartition dans le temps et en volume de la pluviométrie (mousson) qui pose le plus de problèmes, puisque s’alternent désormais des risques de sécheresse et d’inondations. Le taux d’hygrométrie variant, on s’attend à une répartition géographique autre de certaines maladies à l’avenir. Donc, clairement, des défis existent, mais nous espérons pouvoir y faire face, notamment grâce au maintien d’un petit élevage de type familial et au maillage actuel de 9 000 Acsa (dont 2 700 formés par AVSF). Dernière note d’optimisme : comme l’Organisation mondiale de la santé animale travaille actuellement pour faire gagner en légitimité ce statut d’Acsa au niveau international, cela laisse espérer que de plus en plus de pays s’engageront dans des protections animales et humaines si évidemment nécessaires… à tous !
1. Dans le milieu de la coopération internationale, il est usuel de parler « des Suds » pour souligner la diversité des contextes et faire une opposition moins franche entre « Nord » et « Sud », opposition nette qui n’existe d’ailleurs pas dans la réalité géographique et politique.
2. Les praticiens peuvent soutenir AVSF en proposant dans leurs cliniques à leurs clients de faire des microdons (bitly.ws/NYgj).
A retrouver aussi les vidéos du cycle de conférences One Health réalisé par 1Health, dont fait partie La Semaine Vétérinaire et L'Obs : https://www.1seulesante.fr/edition2023