« Nous avons besoin en France d'une forme légale de GS-441524 pour guérir la PIF » - La Semaine Vétérinaire n° 2001 du 01/09/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2001 du 01/09/2023

Entretien

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

Diane Addie, consœur écossaise expatriée en France, est l’une des spécialistes mondiales de la péritonite infectieuse féline (PIF), qu’elle étudie depuis plus de trente ans. Le point sur les avancées des connaissances sur cette maladie.

Vous cherchez une solution pour soigner la PIF depuis plus de trois décennies. Vous avez travaillé d’emblée avec les éleveurs félins et les propriétaires de chats malades. Quelles sont les leçons de cette expérience unique de partage ?

Ayant refusé de faire de l’expérimentation sur les chats, ma carrière s'est ancrée sur une collaboration volontaire avec des vétérinaires et des propriétaires de chats, qui ont partagé leurs informations cliniques avec moi, ainsi qu’avec tous les scientifiques internationaux qui ont contribué à mes recherches. J’ai commencé mes travaux sur les coronavirus félins à la fin des années 1980. Auparavant, presque toutes les recherches sur la péritonite infectieuse féline étaient effectuées à l'aide de coronavirus félin (FCoV) cultivé en laboratoire, administré à des chats de laboratoire. Ce que l’on ne savait pas alors, c'est que ces travaux donneraient des résultats trompeurs. D’une part, en utilisant un type de virus anormal (le FCoV de type II, qui est une chimère des coronavirus félin et canin, alors que la plupart des infections naturelles sont dues au type I, qui est purement félin) et d’autre part, parce que le virus était souvent administré par injection, une voie iatrogène, non naturelle. Dans le monde réel, les chats s'infectent en partageant le bac à litière d’un chat infecté par le FCoV.

Quelles découvertes sur le virus avez-vous faites ?

On croyait autrefois qu'il existait deux coronavirus chez le chat : l’un, entérique, qui restait dans l'intestin, l’autre, systémique, qui causait la PIF, nommés respectivement coronavirus entérique félin, FECV (Feline enteric coronavirus) et FIPV (Feline infectious peritonitis virus). J'ai commencé ma recherche en rassemblant deux groupes de chats de maison : l’un avec des antécédents de « coronavirus entérique » (c'est-à-dire des diarrhées chez les chatons et les chats) et le second groupe avec des antécédents de PIF clinique. Au bout de quelques années, nous avons constaté qu'il n'y avait absolument aucune différence statistique dans le nombre de chats qui développaient la PIF selon leur provenance : il y avait autant de cas de PIF dans le groupe « contrôle » FECV que dans le groupe PIF. Ma conclusion fut qu'il n'y avait pas deux virus différents.

Qu’est-ce qui explique le passage d’une forme bénigne à une forme grave ?

Je crois maintenant que la raison pour laquelle la PIF se développe est principalement la charge virale : plus les chats sont infectés par le virus, plus la PIF est susceptible de se développer. Une conclusion partagée par l'école vétérinaire d'Utrecht qui, en analysant la séquence génétique de diverses souches de coronavirus, a découvert que les séquences virales se regroupaient géographiquement, plutôt que selon qu'elles causaient ou non la PIF.  Par la suite, le Comité international de taxonomie des virus a renommé le virus « coronavirus félin », en abrégé FCoV.

Quelles sont vos découvertes sur l’excrétion du virus ?

Nous avons mis en évidence sur le terrain (contrairement aux résultats en situation expérimentale) qu’une augmentation des titres d'anticorps FCoV n’était pas prédictive de la survenue d’une PIF clinique. Le virus est excrété pendant de nombreux mois et il existe des chats porteurs infectés de manière subclinique. Cette découverte de terrain va à l’encontre d’une expérience avec un FCoV de type II menée chez des chats de laboratoire, dans laquelle le virus n'était excrété que pendant environ deux semaines, sans qu’aucun portage chronique d'infection par le FCoV de type II n'ait jamais été démontré.

Nous avons également montré que le phénomène d’exacerbation de la maladie dépendante des anticorps (ADE, pour antibody-dependant enhancement), courant lors d'expositions répétées au FCoV en laboratoire (généralement lorsque des personnes tentaient de développer des vaccins contre la PIF), était un artefact qui ne se produisait pas chez les chats infectés de manière naturelle. L'explication de cette observation est que la plupart des chats développent une réponse immunitaire naturelle robuste qui empêche le développement de la PIF, mais n'empêche pas la réinfection. Malheureusement, l'immunité aux virus à ARN est rarement stérilisante, et les scientifiques qui ont affirmé que les vaccinations COVID empêcheraient la transmission du virus auraient dû le savoir.

Vous avez découvert récemment un lien avec entre portage et entérite chronique. Quel est-il ?

Une théorie sur l'état de porteur, dans laquelle les chats sont infectés de manière persistante, était que les coronavirus existaient en tant que quasi-espèces, échappant constamment au système immunitaire. Mais nous avons montré qu'en fait, les chats porteurs excrétaient exactement le même type de virus pendant des années. Nous pensons aujourd’hui que le virus trouve une niche antigénique chez le chat porteur, que sa réponse immunitaire ne reconnaît pas. Une découverte importante est que le FCoV joue un rôle pour certains chats atteints d'entérite chronique ou de maladie inflammatoire de l'intestin : nous avons démontré qu'un traitement antiviral oral (GS-441524, qui est un analogue de nucléoside antiviral) de courte durée (une semaine) permet d’éliminer le virus avec la guérison de ces chats1. L’effet le plus remarquable, après l'élimination du FCoV, est la normalisation de la consistance et de la fréquence d’émission des fèces de chats qui étaient incontinents, depuis parfois plusieurs années.

Vous avez toujours privilégié pour le diagnostic le taux d’anticorps, une méthode qui a connu des détracteurs. Quels sont aujourd’hui les avantages de cette analyse ? Où doit-elle être réalisée pour être fiable ?

Le plus grand avantage d'une sérologie FCoV est qu'un taux d'anticorps FCoV négatif – à condition que le test soit d'une bonne sensibilité – peut rapidement exclure un diagnostic de PIF. Cependant, une sérologie FCoV positive seule ne doit jamais être utilisée pour diagnostiquer la PIF, le test FCoV RT-PCR d'un épanchement ou d'une aspiration à l'aiguille fine est beaucoup plus spécifique. Il importe de rappeler qu'un test d'anticorps FCoV positif n'équivaut pas à un diagnostic de PIF, car de nombreux chats en bonne santé, ou des chats atteints de maladies autres que la PIF, ont des anticorps FCoV.

Certains tests d'anticorps FCoV peuvent être effectués en clinique vétérinaire en moins d'une heure, ce qui est un test de dépistage utile, sous réserve d’une bonne sensibilité, ce qui est le cas pour le FCoV Immunocomb (Biogal, Israël) et le Speed F-Corona (Virbac)2. Si, pour une raison quelconque, vous doutez du résultat du test que vous réalisez ou pensez que le résultat est un faux négatif, vous pouvez envoyer l’échantillon sérologique au laboratoire de l'École nationale vétérinaire d'Alfort pour confirmation. Il propose également des tests FCoV RT-PCR, tout comme le laboratoire vétérinaire Scanelis (Toulouse).

Pour diagnostiquer la PIF en toute confiance, les épanchements de chats atteints de PIF humide peuvent être envoyés à l'un ou l'autre de ces laboratoires pour un test FCoV RT-PCR. La présence d'ARN viral dans un épanchement est presque définitivement un diagnostic de PIF. Pour diagnostiquer la PIF non effusive, je recommande le test FCoV RT-PCR sur cytoponction à l'aiguille fine échoguidée des ganglions lymphatiques mésentériques (qui sont généralement hypertrophiés dans les cas de PIF)3.

Pour diagnostiquer en toute sécurité l'entérite associée au FCoV, soumettez un échantillon fécal sans litière (qui peut inhiber le test RT-PCR) à l'un des deux laboratoires mentionnés ci-dessus : ils évalueront la charge virale, qui est étonnamment faible dans l'entérite chronique au FCoV de l’adulte, mais généralement élevée pour l'entérite FCoV du chaton. Certains laboratoires commerciaux ne rapportent que des résultats positifs ou négatifs, ce qui est moins utile que d'être informé de la charge virale. Je ne recommande pas l'utilisation de tests d’immunochromatographie rapide détectant les antigènes FCoV en interne en raison de leur faible sensibilité4.

Quelles sont les pistes thérapeutiques et préventives actuellement efficaces contre la PIF ?  

En 2019, le professeur Niels Pedersen a publié sur l’efficacité thérapeutique du GS-441524, ce qui a tout changé : la PIF est devenue guérissable, alors qu’elle était pratiquement incurable, même si j'avais connu un certain succès avec l'interféron félin oméga et le méloxicam, et l'immunostimulant polyprényl quand je pouvais m’en procurer. Cependant, jusqu'à ce que nous disposions d'un antiviral spécifique contre le FCoV, la plupart de mes cas étaient en rémission plutôt que guéris. Mes collègues et moi avons récemment publié qu'une réduction constante, jusqu’à la valeur normale, de la protéine de phase aiguë, la glycoprotéine acide alpha-1 (AGP) permet de distinguer la rémission de la guérison5. Il est possible qu'une réduction constante similaire de la sérum amyloïde A (SAA) soit également un marqueur de guérison, mais aucune publication ne l’atteste à ce jour.

Nous avons également démontré que les chats traités avec la forme orale du GS-441524 étaient moins susceptibles de connaître une récidive de PIF que ceux traités avec des injections de GS-441524 ou de remdesivir. Le molnupiravir (EIDD, MK 4482, Lagevrio, Merck) a également été utilisé pour traiter avec succès la PIF6.

Trouver un médicament antiviral efficace a changé la donne pour la prévention de la PIF : nous savons maintenant qu'une brève cure de 4 à 7 jours d'un antiviral oral pour arrêter l'excrétion du FCoV prévient la PIF.

Quels progrès restent à accomplir ?

L'éducation est probablement le progrès le plus important qui doit être fait : trop souvent, la maladie est surdiagnostiquée, ou au contraire - non reconnue.

Le rôle du FCoV dans la diarrhée chronique nécessite également beaucoup plus de travail et j'espère publier bientôt plus sur ce sujet. J'ai la chance de collaborer avec un éminent gastro-entérologue vétérinaire aux États-Unis.

Ici, en France, nous avons besoin d'une forme légale de GS-4415247 : comme au Royaume-Uni et en Australie où le laboratoire de préparation Bova a négocié avec les autorités pour permettre aux vétérinaires d'avoir un accès légal à leurs comprimés.

Sites web utiles

- Site fondé et animé par Diane Addie, depuis lequel il est possible de télécharger l'algorithme de diagnostic de la PIF: http://www.catvirus.com

- Chaîne YouTube du Dr Addie : http://www.youtube.com/user/DrDianeDAddie

- Laboratoire de Sophie Le Poder, EnvA pour les tests anticorps FCoV et la RT-PCR : http://www.vet-alfort.fr/services-cliniques/biopole-laboratoire-d-analyses/laboratoire-de-biologie-veterinaire

- Laboratoire de Corine Boucraut-Baralon pour réaliser la RT-PCR pour détecter le FCoV : http://www.scanelis.com 

- Test anticorps FCoV Immunocomb : http://www.kitvia.com/tests-de-diagnostics

- Les associations de vétérinaires européens FVE et FEVACA ont organisé le 4 juillet un webinaire sur la question de la PIF avec des informations actualisées : urlz.fr/ns98

  • 1. Addie DD., Bellini F., Covell-Ritchie J., et al. Stopping feline coronavirus shedding prevented feline infectious peritonitis. Viruses. 2023;15(4):818. urlz.fr/ns7c
  • 2. Addie DD., Le Poder S., Burr P., et al. Utility of feline coronavirus antibody tests. Journal of Feline Medicine and Surgery. 2015;17(2):152-62. urlz.fr/ns7G
  • 3. Dunbar D., Kwok W., Graham E., et al. Diagnosis of non-effusive feline infectious peritonitis by reverse transcriptase quantitative polymerase chain reaction from mesenteric lymph node fine needle aspirates. Journal of Feline Medicine and Surgery. 2019;21(10):910-21.
  • 4. Vojtkovská V., Lukešová G., Voslářová E., et al. Direct detection of feline coronavirus by three rapid antigen immunochromatographic tests and by real-time PCR in cat shelters. Veterinary Sciences. 2022;9(2):35. 
  • 5. Addie DD., Silveira C., Aston C, et al. Alpha-1 acid glycoprotein reduction differentiated recovery from remission in a small cohort of cats treated for feline infectious peritonitis. Viruses. 2022;14(4):744.  urlz.fr/ns8m
  • 6. Roy, M., Jacque, N., Novicoff, W., et al. Unlicensed molnupiravir is an effective rescue treatment following failure of unlicensed GS-441524-like therapy for cats with suspected feline infectious peritonitis. Pathogens. 2022;11(10):1209. urlz.fr/ns8I
  • 7. En France, les stocks existants de remdésivir sont la propriété de Santé publique France et réservés à l’usage pour la médecine humaine. Il n’est pas envisagé de rétrocession pour un usage vétérinaire, selon l’Anses.  Dans le cadre des travaux du Comité de suivi du médicament vétérinaire, un projet d’essai clinique sur l’usage du GS-441524 est en cours de réflexion avec l’école vétérinaire de Toulouse.