Antibiorésistance
PHARMACIE
Auteur(s) : Michaella Igoho-Moradel
L’Agence nationale de sécurité sanitaire a élaboré une liste de 11 couples bactérie/famille d’antibiotiques à surveiller en priorité chez les animaux du fait des enjeux majeurs en santé humaine. Cette expertise s’inscrit dans le cadre de la préparation du plan national Écoantibio 3.
Il s’agit de la première liste d’agents pathogènes prioritaires résistants aux antibiotiques élaborée à l’échelle française. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a dévoilé le 14 septembre dernier, son avis relatif à l’élaboration d’une liste de 11 couples bactérie/famille d’antibiotiques d’intérêt prioritaire dans le contrôle de la diffusion de l’antibiorésistance de l’animal aux humains. Cinq couples (Enterobacterales/carbapénèmes, Enterobacterales/C3G-C4G, Staphylococcus aureus/méticilline, Enterobacterales/fluoroquinolones et Enterobacterales/polymyxines) sont classés hautement prioritaires. Cette approche est complétée par un certain nombre de recommandations visant à améliorer la surveillance de ces couples. Les vétérinaires-praticiens sont identifiés comme des maillons incontournables de la chaîne.
Enterobacterales/carbapénèmes en tête
Le couple Enterobacterales/carbapénèmes arrive en première position dans le groupe des cinq classés hautement prioritaires. Le groupe d’experts de l’agence rappelle qu’actuellement, les carbapénèmes ne sont pas testés en routine par les laboratoires d’analyses vétérinaires lors de la réalisation des antibiogrammes, étant donné qu’ils ne sont pas autorisés en médecine vétérinaire. Pourtant, l’agence recommande d’organiser « une surveillance de cette résistance chez les animaux de production et les animaux de compagnie/de loisirs, avec l’ajout systématique des carbapénèmes au panel d’antibiotiques testés par les laboratoires vétérinaires ». Ces résultats ne seront pas communiqués au vétérinaire prescripteur, mais collectés à des fins de surveillance (lire interview). De même, l’Anses appelle à la vigilance en ce qui concerne l’augmentation de la prévalence du Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (Sarm) dans le secteur animal, « les animaux pouvant jouer un rôle de porteurs transitoires et être impliqués dans la dissémination et la persistance du Sarm dans la population humaine ». Des enquêtes ponctuelles pourraient être mises en place. Autre proposition, l’agence recommande une amélioration de la surveillance des cinq couples bactérie/famille d’antibiotiques hautement prioritaires par le séquençage du génome entier des bactéries concernées, « afin d’identifier et d’évaluer l’importance quantitative des liens épidémiologiques entre les bactéries résistantes aux antibiotiques isolées des animaux et celles responsables d’infections chez les humains ».
Biosécurité et hygiène
D’autres recommandations contiennent des mesures de biosécurité et d’hygiène. Outre des actions de sensibilisation et de formation des professionnels de l’élevage, le groupe préconise notamment de poursuivre et d’actualiser la formation des vétérinaires (praticiens, sanitaires, inspecteurs de santé publique vétérinaire), en mettant à jour les guides et fiches de bonnes pratiques d’hygiène, d’antibiothérapie et d’organisation des locaux dans les cliniques vétérinaires. Une autre mesure, qui ne manque pas d’originalité, recommande la mise en place d’actions anticipatives avec notamment des exercices de simulation de crises sanitaire selon différents scénarios ciblés sur l’antibiorésistance. Enfin, l’agence souhaite élargir la surveillance des bactéries résistantes aux antibiotiques dans les denrées alimentaires, en incluant les produits d’aquaculture et les animaux de production vivants en provenance de pays hors de l’Union européenne. « De telles importations favoriseraient l’introduction sur le territoire national de bactéries portant de nouveaux gènes de résistance, voire de bactéries multirésistantes. Ces dernières présenteraient un danger majeur pour la santé publique, en raison des impasses thérapeutiques auxquelles elles peuvent conduire », souligne l’Anses.
Il ne s’agit pas de demander aux vétérinaires praticiens de faire des efforts supplémentaires
Jean-Yves Madec, directeur scientifique Antibiorésistance de l’Anses revient sur les enjeux de cette liste et détaille les recommandations qui nécessitent l’implication des vétérinaires-praticiens.
Propos recueillis par Michaella Igoho-Moradel
Dans quel but cette liste a-t-elle été élaborée ?
Ce rapport d’expertise a été conjointement commandé par le ministère de l’Agriculture et le ministère de la Santé. Cette démarche vise à identifier les couples bactéries/antibiotiques, présents dans le monde animal et importants pour la santé humaine, à surveiller en priorité. L’objectif est d’identifier, anticiper les risques potentiels pour l’être humain. Tout l’enjeu est là. Cette liste n’est pas complétement révolutionnaire mais a le mérite de croiser les orientations données par d’autres listes existantes. Pour son élaboration, le groupe d’experts de l’Anses a notamment croisé des critères sanitaires : la transmissibilité de l’antibiorésistance, la possibilité d’utiliser des antibiotiques alternatifs en santé humaine et le nombre d’infections et de décès qui sont attribuables à une bactérie. Il faut souligner que cette approche n’est pas centrée sur la médecine vétérinaire. Il ne s’agit pas de demander aux vétérinaires praticiens de faire des efforts supplémentaires. D’autant que le premier couple identifié est enterobacterales/carbapénèmes. Cette famille d’antibiotiques n’est pas utilisée en médecine vétérinaire.
Quel est son lien avec le plan Ecoantibio en cours d’élaboration ?
Cette liste actualise certains débats et tient compte d’évolutions importantes comme la résistance bactérienne aux carbapénèmes. Le couple enterobacterales/carbapénèmes est mis en lumière. De même, elle tient compte de l’augmentation de la prévalence des SARM dans les élevages. La DGAL tiendra très probablement compte de l’avis de l’Anses dans l’élaboration du plan Ecoantibio 3. Ce dernier intégrera certainement des mesures pour faire face à ces enjeux.
Que proposent les experts de l’Anses pour faire face à la résistance bactérienne aux carbapénèmes ? Et comment la profession pourrait-elle être impliquée ?
Aujourd’hui, le Résapath n’est pas à l’aise pour recueillir des données sur la résistance aux carbapénèmes car les laboratoires d’analyses vétérinaires ne les testent pas. Ce qui est logique, cette famille d’antibiotiques n’est pas utilisée en médecine vétérinaire. Le groupe d’experts de l’Anses propose que les laboratoires d’analyse du Résapath testent quand même les carbapénèmes sur les antibiogrammes, les analyses pouvant être prises en charge par l’Etat. L’avantage est qu’on aurait des résultats pour la résistance bactérienne à cette famille d’antibiotiques et cela ne pénalisera pas les vétérinaires. Des projets pourraient ainsi être financés, par exemple, par le plan Ecoantibio 3. Cette liste a globalement un impact intersectoriel, en tous cas Homme-animal, comme le démontre le classement du couple Enterobacterales/carbapénèmes en haut de la liste de l’Anses. On a observé des résistances bactériennes dans des centres hospitaliers vétérinaires, or ces centres n’utilisent pas de carbapénèmes. Il s’agit plutôt d’attirer l’attention des vétérinaires sur le risque de transmission. Si rien n’est à faire en termes d’usage (puisque les carbapénèmes sont déjà interdits), il est possible d’agir sur la prévention. Le monde étant perméable, ces bactéries peuvent passer chez l’animal sans que le vétérinaire ne les sélectionne. Mais si le praticien a de bonnes pratiques de prévention, d’isolement des animaux, il peut ne pas amplifier le phénomène.
Quid des animaux importés ?
L’Anses propose aussi d’élargir la surveillance des bactéries résistantes aux antibiotiques dans les denrées alimentaires importées, y compris les animaux de production vivants en provenance de pays hors de l’Union européenne. Cette notion d’importation est importante. Le groupe souligne également l’importance de l’approche génomique pour savoir si la bactérie isolée chez l’être humain est identique à celle trouvée chez l’animal. L’intérêt est d’évaluer la contribution du réservoir animal à la résistance bactérienne chez l’être humain. Enfin, l’Anses pose un cadre général et demande d’associer les sciences humaines et sociales, et de pondérer une mesure par son acceptabilité.
* Réseau de surveillance de l'antibiorésistance des bactéries pathogènes isolées de l'animal.
Cinq couples classés hautement prioritaires
Pour élaborer cette liste de onze couples bactérie/ famille d’antibiotiques, le groupe d’experts de l’Anses s’est basé sur trois critères sanitaires : la transmissibilité de l’antibiorésistance, la possibilité d’utiliser des antibiotiques alternatifs et le nombre d’infections et de décès qui leur sont attribuables. Les 11 couples identifiés sont les suivants, les cinq premiers sont classés « hautement prioritaires » :
- Enterobacterales/carbapénèmes
- Enterobacterales/céphalosporines de troisième et quatrième générations (C3G-C4G)
- Staphylococcus aureus/méticilline (Sarm)
- Enterobacterales/fluoroquinolones
- Enterobacterales/polymyxines
- Enterobacterales/aminopénicillines
- Enterobacterales/association aminopénicillines et inhibiteurs des β-lactamases
- Acinetobacter baumannii/carbapénèmes
- Enterobacterales/aminosides
- Enterobacterales/association céphalosporines et inhibiteurs des β-lactamases
- Pseudomonas aeruginosa/carbapénèmes
En cas de détection d’une bactérie résistante à une famille d’antibiotique appartenant à cette liste hautement prioritaire, l’Anses recommande de faire un séquençage pour connaître le génome entier de la bactérie. « L’objectif est d’évaluer et de quantifier la contribution du réservoir animal dans la transmission aux humains de telles bactéries résistantes », indique l’agence.