Une gastro-entérite hémorragique sévère et récidivante causée par Strongyloides stercoralis - La Semaine Vétérinaire n° 2004 du 29/09/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2004 du 29/09/2023

Gastro-entérologie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Julie Lemétayer, diplômée ACVIM et ECVIM, praticienne au CHV Advetia à Vélizy-Villacoublay (Yvelines)

Cas clinique

Une chienne yorkshire terrier stérilisée de 10 ans est présentée en urgence pour une diarrhée liquide, une dysorexie, une polyuropolydipsie, une douleur abdominale, un épanchement bicavitaire (pleural et abdominal) et un abattement progressant rapidement vers un état comateux (décubitus latéral, absence de clignement à la menace) et deux crises convulsives.

Diagnostic et traitements

Les bilans sanguins réalisés mettent en évidence une hypoglycémie sévère (indosable au glucomètre), une hypoprotéinémie sévère (34 g/l, norme 52-82), une hypocholestérolémie modérée (0,54 g/l, norme 1,10-3, 20), une hypocalcémie ionisée marquée (0,66 mmol/l, norme 1,25-1,50), une légère hypomagnésémie (9 mg/l, norme 14,0-24,0), une neutrophilie modérée (24,35 x 109/l, norme 5,05-16,76) une légère thrombocytose (643 000/µl, norme 148 000-484 000) et une augmentation modérée de l’activité des GGT (21 UI/l, norme 0-11). Le reste du bilan biochimique étendu, y compris l’ammoniémie, est dans les normes. Une échographie réalisée quelques jours avant à la clinique du vétérinaire traitant par un spécialiste en radiologie avait montré la présence d’épanchements abdominal et pleural marqués, une discrète adénomégalie hépatique, un épaississement jéjunal léger et une muqueuse légèrement hyperéchogène.

La gestion d’urgence initiale consiste en une correction de l’hypoglycémie par des bolus de dextrose (2 bolus de 0,25 g/kg) suivi d’une perfusion de ringer lactate normokaliémique supplémenté en glucose à 5 %, d’un bolus de calcium carbonate (0,5 ml/kg en IV lente), d’une supplémentation de magnésium (0,9 mEq/kg/j le premier jour, puis 0,5 mEq/kg/j le second jour), d’antibiotiques (sulbactam* 30 mg/kg IV toutes les 8 heures), de maropitant (1 mg/kg/j par voie IV), d’une thoracocentèse et de la mise en place d’une sonde nasale d’oxygénothérapie.

Une fois la chienne stabilisée, d’autres tests sont réalisés pour avancer sur le diagnostic : un bilan malabsorption (TLI, folates, vitamine B12) revient normal, une mesure de l’antithrombine III montre une diminution à 86 %, et un rapport protéines/créatinine urinaire est normal à 0,5.

Pour des raisons financières et pour éviter le risque anesthésique, l’endoscopie digestive n’est pas réalisée. Pour les mêmes raisons, un test d’acides biliaires et une stimulation ACTH ne sont pas entrepris, ce qui aurait permis d’exclure l’insuffisance hépatique et la maladie d’Addison comme cause de l’hypoprotéinémie, de l’hypocholestérolémie et de l’hypoglycémie.

Une entéropathie exsudative avec inflammation lymphoplasmocytaire et lymphangiectasie est suspectée du fait de la race, celle-ci étant probablement associée à une translocation bactérienne secondaire pour expliquer les crises d’hypoglycémie.

Un traitement à base de corticoïdes (0,9 mg/kg per os, 2 fois/j), de fenbendazole (66 mg/kg/j per os pendant 5 jours), d’amoxicilline-acide clavulanique (18 mg/kg per os 2 fois/j pendant 7 jours), d’alfacalcidol* (0,1 µg/kg/j) et de clopidogrel* (2,1 mg/kg/j) a été mis en place. L’alimentation est changée (croquettes diététiques à visée digestive et pauvres en graisses, et blanc d’œuf cuit).

Suivi

Une résolution rapide des symptômes est observée, ainsi qu’une normalisation du bilan sanguin (protéinémie, magnésémie et calcémie notamment), permettant l’arrêt du clopidogrel et une diminution de la corticothérapie.

Néanmoins, une légère récidive de l’hypoalbuminémie est mise en évidence lors d’une réduction de la dose quotidienne de prednisolone de 25 % un mois plus tard, ce qui motive l’ajout de ciclosporine (4,3 mg/kg/j). La dose de prednisolone est par la suite été diminuée avec succès à 1 mg/kg/j.

Une deuxième crise digestive a lieu un mois plus tard avec vomissements et diarrhée aigus, abattement, douleur abdominale. Cette fois-ci l’albuminémie est dans les normes. Une seconde hospitalisation est donc réalisée avec mise en place de traitements symptomatiques (prednisolone IV, maropitant, smectite, buprénorphine et perfusion) et un second traitement de fenbendazole (66 mg/kg/j pendant 5 jours). Lors de cette crise, l’ingestion dans la rue d’aliments non tolérés par la chienne est suspectée.

Un mois plus tard, l'animal va toujours très bien et les corticoïdes sont diminués avec succès (0,44 mg/kg/j) en plus de la ciclosporine, dont la dose n’a pas changé depuis le début (le traitement avait néanmoins arrêté pendant une semaine pendant la deuxième hospitalisation), de l’alfacalcidol et l’alimentation adaptée.

Néanmoins, très peu de temps après, la chienne est présentée pour une troisième crise digestive sévère avec abattement, vomissements, diarrhée liquide avec hématochézie, douleur abdominale et tachycardie. Le bilan sanguin montre une inflammation aiguë avec neutrophiles immatures et une CRP à 88,4 mg/l (norme : 0-10 mg/l), une albuminémie toujours dans les normes. L’échographie abdominale objective un discret épaississement généralisé de l’intestin grêle avec ponctuations et stries hyperéchogènes intrapariétales de muqueuse perpendiculaires à la lumière, et foci d'éléments intrapariétaux duodénaux associés à un artefact de réverbération et une discrète indentation de la surface muqueuse (qui pourrait signaler la présence d’ulcères ou de formations lymphoïdes), des nœuds lymphatiques coliques droits de taille faiblement augmentée (5 mm) et hypoéchogènes, une inflammation de la graisse mésentérique, et un discret épanchement péritonéal anéchogène.

Un bilan fécal parasitaire révèle la présence de Strongyloides stercoralis et une culture fécale négative (en dehors de la présence de Candida albicans).  

La chienne est traitée par une combinaison de fenbendazole (66 mg/kg PO pendant 5 jours) et d’ivermectine (428 µg/kg/j PO pendant 7 jours). L’alimentation est changée (Purina Ha qui est un aliment hydrolysé et pauvre en graisse) et des probiotiques sont ajoutés au traitement.

Candida albicans n’a pas été traité, car il est le reflet de la dysbiose marquée chez cette chienne et non pas un pathogène à part entière.

Un suivi de la coprologie sur 3 selles, trois semaines plus tard, est négative.

Par la suite, le traitement corticoïdes est diminué progressivement, puis complètement arrêté sans récidive de la diarrhée ou de l’hypoalbuminémie. 

L’alimentation Purina Ha est conservée avec ajout de blancs d’œuf cuits et de courgettes, avec un score fécal optimal un mois après l’arrêt des corticoïdes. L’alfacalcidol est lui aussi conservé à cause d’une persistance d’une discrète hypocalcémie ionisée sous traitement. Son origine n’est pas investiguée (elle peut, par exemple, être secondaire à une perte digestive de vitamine D comme suspectée initialement ou une hypoparathyroïdie primaire).

DISCUSSION

Strongyloides stercoralis est un nématode présent dans le sol et endémique des régions tropicales et subtropicales, mais est de plus en plus présent en Europe. Il affecte principalement le chien et l’humain, avec un caractère zoonotique. Les signes cliniques peuvent être digestifs et respiratoires. Leur gravité varie entre individus en fonction de leur système immunitaire, pouvant aller jusqu’au décès de l’animal. L’infection peut se faire de façon transcutanée ou par l’ingestion de la larve L3 à partir de l’environnement (ou par voie transmammaire) suivie par une migration trachéale ou somatique de la larve. Le fenbendazole peut être utilisé pour le traitement, mais, très souvent, ne permet pas d’éliminer le parasite. L’ivermectine ou la moxidectine peuvent aussi être employées, avec une efficacité variable.

En ayant traité à l’aveugle avec du fenbendazole et en n’ayant pas réalisé de coprologie, nous sommes passés par 2 fois à côté du diagnostic. Une amélioration transitoire a été observée grâce aux traitements mis en place, dont le fenbendazole, mais le parasite Strongyloides stercoralis est bien souvent résistant aux vermifuges classiques et une résolution complète des symptômes digestifs n’a pu être observée qu’après un traitement d’ivermectine en combinaison avec un troisième traitement de fenbendazole. Une coprologie systématique est donc recommandée dans ce type de cas, avant la mise en place de vermifuge.

L’alimentation ayant aussi été changée à ce moment-là (passage d’un aliment à visée digestive à un à visée hypoallergénique), il reste néanmoins possible que la résolution complète des symptômes digestifs ayant permis l’arrêt de la ciclosporine et des corticoïdes soit le fait du changement alimentaire. Cependant, les symptômes digestifs étant tellement sévères et aigus au moment des crises sans un changement alimentaire connu avant celles-ci, cela paraît peu probable.

  • * pharmacopée humaine.
  • Références bibliographie
  • Gorgani-Firouzjaee T., Kalantari N., Chehrazi M., et al. Global prevalence of strongyloides stercoralis in dogs: A systematic review and meta-analysis. J Helminthol. 2022;96:e11. bitly.ws/Vpvz 
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