Cardiologie
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Laurent Masson Conférencière Camille Poissonnier (A 14), praticienne en cardiologie exclusive à la clinique TouraineVet à Rochecorbon (Indre-et-Loire) D’après la présentation « Place de la phytothérapie en cardiologie » faite à la soirée Cardio-Xpert organisée par Boehringer Ingelheim le 22 juin 2023 à Paris.
Les cardiopathies sont des maladies fréquentes, potentiellement graves et souvent d’évolution chronique. Il est maintenant établi que l’administration d’un traitement dès le stade asymptomatique peut permettre d’augmenter l’espérance de vie de l’animal et de retarder l’apparition d’une décompensation. Au stade décompensé, le traitement de l’insuffisance cardiaque permet également d’améliorer la survie des animaux atteints. S’ils ont prouvé indéniablement leur efficacité et sont recommandés dans les principaux consensus du Collège américain de médecine interne vétérinaire (ACVIM), les traitements allothérapeutiques peuvent, dans certains cas, être associés à l’apparition d’un syndrome cardio-rénal ou d’autres effets secondaires. La phytothérapie pourrait donc s’avérer intéressante dans ces situations.
Par ailleurs, la phytothérapie est un arsenal thérapeutique additionnel à l’allothérapie plébiscité par de plus en plus de propriétaires et relativement bien toléré par les animaux. Mais de nombreuses plantes sont actuellement vendues sous forme de complément alimentaire sans ordonnance, d’où un risque d’automédication par les propriétaires, qui peuvent administrer des plantes qui ne sont pas sans risque en cas de mauvaise utilisation (surdosage, interaction médicamenteuse)… Par exemple, le ginko biloba est contre-indiqué lors d’utilisation d’anticoagulants ou d’antiagrégants, tandis que le ginseng l’est avec les anticoagulants oraux ou les digitaliques.
Comment mettre en place un traitement phytothérapeutique ?
Chaque plante est constituée de nombreux composants, dont l’association forme ce que l’on nomme le totum d’une plante. C’est ce totum qui confère ses propriétés à chacune. Pour chaque végétal, différentes formes galéniques existent, notamment des poudres, des tisanes ou des extraits de plantes standardisés (EPS), dans un solvant glycériné de préférence. Des présentations sous forme de comprimé ou de gélule mélangeant plusieurs plantes sont également disponibles. Toutes ces préparations peuvent être prescrites seules, associées, ou en complément à de l’allothérapie.
Concernant les EPS, la posologie quotidienne recommandée est de 1 ml du mélange de plantes par tranche de 5 kg de poids vif (ou 1 ml pour les animaux de moins de 5 kg), tous les jours le premier mois, puis 3 semaines par mois ensuite.
Les plantes à tropisme cardiaque
En cardiologie, certaines plantes présentent un intérêt pour leurs propriétés diurétiques, cardioprotectrices, néphroprotectrices, d'antiagrégants plaquettaires, voire des effets anxiolytiques (aubépine, valériane…). L’objectif de prescription en phytothérapie est d’associer ces différentes propriétés selon les effets thérapeutiques recherchés par le praticien pour un animal donné. Parmi les plantes avec une indication en cardiologie, peuvent être utilisés :
- l’orthosiphon, qui est LA plante de la diurèse. Elle est aussi intéressante pour ses propriétés cardioprotectrices (vasodilatatrice par effet inhibiteur calcique) et antioxydantes.
- l’aubépine est cardioprotectrice. Intéressante notamment en cas d’arythmie, son action est inotrope positive et chronotrope négative via une augmentation de la perméabilité membranaire en calcium. Elle est aussi vasodilatatrice (notamment coronarienne), antihypertensive et cardioprotectrice par inhibition de l’élastase et des collagénases. Elle inhibe l’hypertrophie cardiaque et l’agrégation plaquettaire. Enfin, elle est anxiolytique.
- l’olivier est la plante IECA (inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine). Outre l'amélioration de la vascularisation coronarienne, il a une action antihypertensive et un effet béta-bloquant, antiagrégant plaquettaire (effet antithromboxane A2) et antiarythmique (inotrope positive, chronotrope négative). De plus, l’olivier est cardioprotecteur et néphroprotecteur.
- la piloselle est diurétique, antioxydante et cardioprotectrice.
- le ginkgo biloba est « la plante des vaisseaux » par ses effets protecteurs vasculaires et cardiaques (chronotrope et inotrope positif) et son action d'antiagrégant plaquettaire. Il est aussi antioxydant.
- le ginseng, dont les racines sont utilisées pour leurs vertus adaptogènes (adaptation au stress métabolique), a des propriétés cardioprotectrices (vasodilatation, cardioprotection), améliore la fonction diastolique et limite l’aggravation de l’hypertrophie ventriculaire.
Des exemples pratiques
Notre consœur a présenté le cas d’un chat atteint de myocardiopathie hypertrophique avec souffle systolique médiothoracique gauche de grade 4/6, recevant un traitement à base de bénazépril uniquement en raison d’une mauvaise observance du clopidogrel et d’une intolérance à l’aspirine. Présenté pour malaises et dyspnée en raison d’une insuffisance cardiaque congestive (œdème pulmonaire), du furosémide a été instauré à la dose de 1 mg/kg/j. Une amélioration clinique a été obtenue mais la dose a dû être diminuée de moitié en raison d’une dysorexie et d’une apathie. Un examen sanguin a mis en évidence un stade IRIS 2 avec une créatininémie de 22 mg/l. Une échocardiographie a montré une dégradation des lésions cardiaques par rapport à l'examen effectué 6 mois auparavant, avec des volutes intra-auriculaires. En accord avec la propriétaire, un traitement phytothérapeutique a été envisagé en association au bénazépril, avec un mélange aubépine, orthosiphon, piloselle et gingko. Le choix des plantes a été réalisé en fonction des objectifs souhaités : réduire l’œdème pulmonaire résiduel et limiter sa récidive, apporter une cardioprotection, préserver la fonction rénale et limiter le risque de thrombus intra-atrial gauche. Un contrôle échographique 4 mois plus tard a montré une stabilisation de l’hypertrophie pariétale avec une légère diminution de la dilatation atriale gauche.
Un second cas a également été présenté, celui d’un chien spitz suivi pour une importante sténose pulmonaire valvulaire de type B avec hypoplasie de l’anneau pulmonaire, traitée à base d’aténolol à faible dose (l'augmentation du dosage étant mal tolérée) et de spironolactone, et pour laquelle une option endovasculaire avait été refusée par les propriétaires (valvuloplastie par ballonnet). Lors de la consultation, en raison d’une fatigabilité importante rapportée, il a été décidé d’instaurer un traitement phytothérapeutique avec quatre objectifs : limiter l’aggravation de l’hypertrophie et l’anxiété élevée chez ce chien, d'une part, rechercher un effet bêtabloquant et cardioprotecteur, d'autre part. Pour cela, trois plantes, l’olivier, l’aubépine et le ginseng, ont été choisies. Une amélioration des signes cliniques a été observée et l’échographie réalisée 4 mois plus tard a montré une diminution de l’hypertrophie (6,2 mm versus 7,7 mm en systole), du gradient de pression trans-sténotique (220 mmHg versus 263 mmHg) et de la dilatation atriale droite.
En conclusion, la phytothérapie en cardiologie est un arsenal thérapeutique intéressant en complément de l’allothérapie, quel que soit le stade, surtout lors de cardiopathie chronique (notamment en cas de syndrome cardiorénal). D’autres pistes thérapeutiques pourraient apparaître avec la grande camomille et l’escholtzia, qui s'avéreraient intéressantes aux stades précoces de ces maladies par leurs effets inhibiteurs de la sécrétion de la sérotonine.