DOSSIER
Auteur(s) : DOSSIER RÉALISÉ PAR CAROLINE DRIOT
Qualité des soins, respect du bien-être animal, protection de la santé publique… Les enjeux vétérinaires en centres de soins de la faune sauvage foisonnent. Sur le terrain, de nombreux vétérinaires s’engagent, y compris de manière bénévole, pour la préservation de la biodiversité animale.
Professionnel de la santé animale, il est un domaine où le vétérinaire fait pourtant figure d’oiseau rare : le soin à la faune sauvage. Parmi la centaine de centres de soins à la faune sauvage (CSFS) existants en France – l'Outre-mer inclus –, une poignée d'entre eux seulement emploie des vétérinaires salariés. Au quotidien, ce sont essentiellement des soigneurs, des volontaires du Service civique ou des bénévoles qui en assurent le fonctionnement. Pourquoi ? La réponse est avant tout financière. Pour des structures associatives souvent confrontées à des difficultés économiques chroniques, le salaire d’un vétérinaire représente un coût excessif. Si certaines structures trouvent un appui financier auprès des collectivités territoriales, une grande majorité dépend essentiellement de financements privés (dons, legs, mécénats). Les trois centres de soins adossés aux écoles vétérinaires (Maisons-Alfort, Nantes et Toulouse) font exception : ces structures bénéficient d’un statut juridique qui garantit leur pérennité et d’un personnel vétérinaire qualifié. Les modalités de financement ne sont toutefois pas directement dépendantes du ministère, elles sont en lien avec le budget des écoles.
Au-delà des considérations budgétaires, la rareté des praticiens en CSFS tient peut-être aussi au « divorce » entre les fondateurs de ces structures – généralement des naturalistes passionnés – et les vétérinaires. Guillaume Le Loc’h (A 04), maître de conférences et capacitaire du centre de soins de la faune sauvage de l’ENVT (Haute-Garonne), le constate : « L'expertise en santé animale du vétérinaire n’en fait pas pour autant un naturaliste, et certains praticiens ont pu parfois paraître arrogants alors qu’ils ne savaient pas distinguer une pie d’une corneille. » Sur le plan réglementaire pourtant, l’ouverture d’un CSFS reste conditionnée par la désignation d’un vétérinaire référent. Celui-ci est généralement un praticien libéral exerçant à proximité, théoriquement responsable de la prescription et de la délivrance des médicaments ainsi que des soins médicaux et chirurgicaux.
Soigneurs et bénévoles en première ligne
Faut-il regretter le faible nombre de vétérinaires en exercice dans les CSFS ? La question divise les spécialistes. Pour Jean-François Courreau (A 77), président de Faune Alfort et du Réseau Faune Sauvage1, « un grand nombre d’animaux accueillis dans ces structures ne nécessitent pas l’intervention d’un vétérinaire. C’est le cas des oisillons tombés du nid ou des juvéniles abandonnés, qui représentent sur l’année jusqu’à un tiers des pensionnaires. La présence quotidienne d’un vétérinaire n’est pas indispensable dans un centre de soins, contrairement aux soigneurs ou aux bénévoles, qui assurent le nourrissage des animaux et l’entretien des locaux ».
Un avis partagé par Guillaume Le Loc’h, mais qui fait bondir Marie-Pierre Puech (L 79), fondatrice de Goupil Connexion, un centre de soins situé dans l’Hérault. « En France, on considère comme normal que les CSFS soient gérés par des soigneurs devenus capacitaires après deux ans d’expérience, et les animaux pris en charge par eux, sous prétexte que les vétérinaires coûtent cher et qu’ils n’y connaissent rien. Dans les autres pays européens, la légitimité des vétérinaires n’est pas remise en question. Pourquoi la faune sauvage devrait-elle se contenter d’une médecine de seconde zone en France ? Pourquoi rechigner à dépenser de l’argent pour nos animaux sauvages ? »
Des Compétences vétérinaires indispensables
Tous s’accordent sur un point, toutefois : certains enjeux liés à la prise en charge des animaux dans les CSFS relèvent clairement de la compétence d'un vétérinaire. Pour garantir la qualité des soins médicaux et chirurgicaux, par exemple, ainsi que le respect du bien-être animal en toutes circonstances, y compris lors des euthanasies. « C’est l’acte le plus pratiqué en centre de soins, témoigne Philippe Gourlay (N 03), praticien hospitalier au centre vétérinaire de la faune sauvage et des écosystèmes des Pays de la Loire (CVFSE-Oniris). L’objectif des soins est de relâcher des animaux aptes à la vie sauvage, donc nous raisonnons en termes de pronostic fonctionnel, et non de pronostic vital. À cet égard, cela n’a pas de sens d’effectuer une amputation d’aile sur un hibou grand-duc, par exemple ». Or, en l’absence de vétérinaire disponible pour euthanasier les animaux condamnés, ce sont les soigneurs qui assurent les mises à mort, avec des pratiques relevant parfois de la maltraitance – voire de l’illégalité –, telles que les injections intracrâniennes d’éthanol chez les oiseaux.
La mise en pratique de la stratégie « Une seule santé » au sein des CSFS relève aussi de la compétence vétérinaire. Un enjeu crucial, dans des établissements où cohabitent des animaux d’espèces variées, vecteurs potentiels de maladies contagieuses, voire zoonotiques. « Les vétérinaires ont un rôle important à jouer dans la sensibilisation et la formation du personnel à l’hygiène et à la biosécurité, assure Philippe Gourlay. À l'exemple récent de l’influenza aviaire, qui nous a amenés à revoir nos procédures d’accueil des animaux, ainsi que l’agencement et la circulation au sein des locaux ». Qui d’autre que les vétérinaires également, pour raisonner l’utilisation des médicaments au sein de ces structures ? « Les antiparasitaires et les antibiotiques sont encore utilisés à tort et à travers, déplore Guillaume Le Loc’h. De même, l’utilisation de molécules sans limites maximales de résidus (LMR) définies sur des animaux qui seront relâchés et possiblement consommés ultérieurement peut poser question, au moins d’un point de vue règlementaire ».
Un rôle de surveillance sanitaire
Les vétérinaires ont aussi des compétences à faire valoir en matière d’épidémiosurveillance. « Il faut avoir conscience que le sauvetage de cent hérissons par an n’a pas d’incidence sur leur population globale, juge Guillaume Le Loc’h. À mon sens, il est plus utile d’investiguer les épisodes de morbidité ou de mortalité groupée dans la faune sauvage, pour proposer des mesures efficaces de protection des espèces ». L’association CHENE2, en lien avec les ENV, a ainsi achevé en 2022 une étude scientifique sur les causes de la mortalité du hérisson d’Europe3.
Récemment, le Covid et l’influenza aviaire ont remis en lumière le rôle de la faune sauvage, dans l’émergence de zoonoses au potentiel pandémique. « Avant, personne ne se souciait vraiment de l’état sanitaire de la faune sauvage, à l’exception du gibier [avec le réseau Sagir, NDLR], note Jean-François Courreau. Ces crises sanitaires ont changé le regard des pouvoirs publics, et attiré leur attention sur les centres de soins ».
Pour preuve, le rapport4 de l’Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), publié en avril 2023 et consacré aux activités et aux besoins des CSFS, souligne leur rôle en matière de préservation de la santé publique, vis-à-vis du risque rabique notamment : « La participation des CSFS au réseau d’épidémiosurveillance de la rage chez les chiroptères est essentielle. […] Sur la période 2014-2021, 52,6 % des chauves-souris reçues au laboratoire national de référence […] et 71,1 % des cas positifs enregistrés (soit 32/45 cas) sont issus de chiroptères expédiés par les CSFS. Ces résultats témoignent de l’implication dans la durée des capacitaires dans ce réseau ». Les inspectrices de l’IGEDD proposent d’ailleurs un soutien financier de l’État aux activités de surveillance sanitaire menées par les CSFS.
Une possible délégation d’actes
Pour Jean-François Courreau, ce rapport pose les premiers jalons d’une plus grande reconnaissance par les pouvoirs publics des CSFS, ce qui est bien souligné par les inspectrices : « Leurs activités en faveur des espèces protégées [...] en font sans conteste des acteurs de la nouvelle stratégie nationale de la biodiversité ». Les évolutions à prévoir au regard des besoins des CSFS sont également évoquées. Parmi les mesures préconisées : la reconnaissance législative des centres de soins dans le Code de l’environnement, et l’adaptation du droit applicable aux CSFS, « pour rejoindre celui bénéficiant aux éleveurs », qui autorise la délégation de certains actes vétérinaires.
Si le cadre législatif reste à établir, la délégation d’actes devrait « permettre aux personnes titulaires du certificat de capacité de pratiquer certains traitements, notamment à visée analgésique, sous réserve d’une formation attestée et d’un suivi vétérinaire ». Dans le viseur également, le respect des bonnes pratiques d’euthanasie, via l’habilitation des capacitaires « à pratiquer des actes d’euthanasie mécanique, sous réserve du respect de protocoles auxquels ils auraient été formés », l’euthanasie médicamenteuse demeurant du seul ressort du vétérinaire. Enfin, le rapport prône l’assouplissement des conditions d’approvisionnement, et de détention des médicaments vétérinaires.
Pour sa part, Marie-Pierre Puech regrette que ce document n’évoque à aucun moment le fait de remettre des vétérinaires au cœur des CSFS. « Les vraies questions sont de savoir comment proposer un travail intéressant aux vétérinaires dans ces structures, qui ne consiste pas seulement à faire des euthanasies ; comment les rémunérer convenablement ; et comment les former en amont, en lien avec des soigneurs, des écologues et des bénévoles. C’est le projet que nous développons depuis 2008 à l’Hôpital pour la faune sauvage de l'association Goupil Connexion, en accueillant chaque année une dizaine de jeunes vétérinaires en formation ».
Un engagement individuel et une approche collective
En dehors des CSFS, des praticiens s’investissent aussi dans la prise en charge des animaux sauvages. Et ils sont de plus en plus nombreux à vouloir le faire, comme en témoigne le succès du DIE « Santé de la faune sauvage non captive », coordonné par Philippe Gourlay à Oniris. En effet, contrairement à une idée répandue, les vétérinaires privés ont le droit d’accueillir des animaux sauvages pour mettre fin à leurs souffrances ou prodiguer des soins d’urgence avant transfert vers un CSFS. Le guide de soins Faune sauvage4 publié en 2019 par le CNOV résume le cadre réglementaire régissant ces activités.
Au-delà des engagements individuels, la préservation de la faune sauvage passera nécessairement par une approche collective. Agriculteurs, chasseurs, industriels, urbanistes, politiques, riverains… « Il faut travailler avec tous les acteurs d’un territoire, martèle Marie-Pierre Puech. À quoi bon sauver des hérissons, si on n’a plus un bout de verdure où les relâcher ? ». C’est pour porter la voix de la profession au cœur des débats, qu’a été créée en juin 2023, à l’initiative d’un collectif de vétérinaires passionnés de faune sauvage, l’association Vétérinaires pour la biodiversité6, présidée par Alain Moussu (A 84). Leur objectif est de devenir un groupe de pression représentatif de la profession sur tous les sujets qui concernent la protection de la nature, et de remettre en avant les savoirs scientifiques au service des décisions sociétales et publiques.
Adhérente, Marie-Pierre Puech affirme : « Avec VPB, nous voulons montrer que l’on n’est pas en arrêt de pensée. Nous, les vétos, sommes en devoir de faire ».
Dr Axelle Flinois (Liège 17)
Vétérinaire salariée du CEPAN (Club d’étude et de protection des animaux et de la nature) à Château-Gontier-sur-Mayenne
« Un suivi global des animaux »
J’exerce depuis un an comme vétérinaire salariée du CEPAN, une association qui regroupe le Refuge de l’Arche, et le Centre de sauvegarde de la faune sauvage locale Valentine et Jacques Perrin. Le refuge accueille des animaux exotiques saisis chez des particuliers, issus du trafic illégal ou de laboratoires. Le centre, lui, reçoit des animaux issus de la faune sauvage locale, amenés par des découvreurs. Le refuge est ouvert au public, dont les entrées permettent de financer le centre de sauvegarde.
Je réalise les soins médicaux et chirurgicaux et, de manière générale, le suivi des animaux, de leur entrée à leur relâché, en collaboration étroite avec deux soigneuses très compétentes. Je m’efforce de gérer les cas de manière pragmatique, en gardant en tête la finalité des soins : relâcher des animaux viables en conditions naturelles. J’établis les protocoles de soins et de nourrissage de nos pensionnaires. Je forme mes collègues soigneuses, ainsi que les volontaires du Service civique qui nous aident. Ensemble, nous sensibilisons les particuliers sur les bonnes conduites à adopter auprès de la faune sauvage. J’ai également été sollicitée pour organiser des formations à destination des vétérinaires libéraux.
C’est un travail varié, passionnant et gratifiant, en dépit d’une charge de travail importante et d’un salaire moins élevé* que si j’étais restée vétérinaire en clientèle canine. Côté négatif, je citerais le nombre important d’euthanasies et la frustration liée à l’évolution imprévisible de certains cas cliniques.
Dr Thomas Groues (A 17)
Vétérinaire, cofondateur de l’association JungleVet Guyane
« Améliorer la situation de la faune sauvage en Guyane »
Après une expérience décevante au zoo de Guyane, et face au manque criant de solutions de prise en charge des animaux sauvages dans le département, ma compagne enseignante Amandine Said et moi avons fondé l’association JungleVet Guyane en 2019. Notre ambition est de contribuer à l’amélioration de la situation de la faune sauvage, en offrant des soins adaptés à tous les animaux dans le besoin, et à sensibiliser le public aux bons gestes à adopter face à un animal en détresse ainsi qu'à la nécessité de préserver la biodiversité.
Ayant tous deux une activité rémunérée par ailleurs, c’est un engagement bénévole, qui a déjà bénéficié à plus de 750 individus, avec un nombre de prises en charge en augmentation constante. Les accidents de la voie publique et la prédation, d’origine humaine ou animale, constituent les principales causes de blessures. Nous recevons également de nombreux juvéniles séparés de leurs parents, comme les orphelins de chasse. Nous accueillons aussi des dépôts volontaires de singes, pris comme animaux « domestiques exotiques » et devenus gênants ou dangereux, ainsi que des animaux saisis lors d'actions judiciaires.
La clinique du Dr Darrigade (A 96), dont je suis salarié, fournit une partie des aliments et met gracieusement à disposition son matériel et ses locaux. Cela représente une aide considérable pour l'association, qui est par ailleurs ouverte aux dons libres. Nous recevons aussi une subvention annuelle de la Direction générale des territoires et de la mer de Guyane. Ces aides, ainsi qu'une part non négligeable de nos fonds propres, nous permettent de tout mettre en œuvre pour nos pensionnaires. Notre objectif reste le retour à la vie sauvage, mais nous ne pratiquons pas l'euthanasie, car cela ne fait pas partie de notre éthique. Nous sommes d’ailleurs en train de construire un refuge pour accueillir les individus non réhabilitables, disposant d'aménagements adaptés à leur handicap jusqu'à la fin de leur vie.
Dr Sarah Wund (Liège 18)
Vétérinaire à l’Observatoire Pelagis à La Rochelle (Charente-Maritime)
« Surveiller l’état de santé des mammifères marins »
L’Observatoire Pelagis coordonne le Réseau National Échouages (RNE). Je suis responsable de la surveillance sanitaire des mammifères marins, qui repose principalement sur l’investigation des échouages. Je réalise les autopsies des animaux échoués suffisamment préservés – soit environ une centaine par an, sur 2000 échouages signalés chaque année en France. Ces autopsies permettent de rechercher les causes de mortalité et, notamment, d’évaluer la circulation de pathogènes qui pourraient constituer une menace pour la conservation de ces espèces, voire pour la santé publique. Plus rarement, je peux être amenée à prendre en charge des animaux échoués vivants (environ 5 % des cas), avec, selon les situations : le renflouage de l’animal, le transfert vers un centre de soins, lorsqu'il s'agit de phoques en mauvais état par exemple, ou l’euthanasie.
J’apprécie la diversité de mes missions et le fait de travailler au sein d’une équipe très dynamique. En tant qu'organe coordinateur du RNE, l’Observatoire Pelagis est impliqué dans de nombreux projets et partenariats internationaux, qui ont pour objectif commun la sauvegarde des espèces. En revanche, les relations peuvent être plus difficiles avec les professionnels de la pêche, à mon grand regret. Nos décisions sont également parfois critiquées par les ONG.