Prospective
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Clothilde BardeClothilde Barde
Les spécialistes mondiaux et les professionnels des sciences animales se sont réunis en nombre lors du Congrès international des sciences animales qui s’est tenu à Lyon, du 26 août au 1er septembre 2023. Coorganisé par la Fédération européenne des sciences animales (EAAP), l'Association mondiale pour la production animale (WAAP) et Interbull, cet événement a été l’occasion d’aborder de nombreux sujets d’actualité comme la durabilité des élevages de bovins dans un contexte mondial de changement climatique et de hausse de la demande alimentaire.
« Actuellement, les contraintes environnementales exercent une pression importante sur les producteurs de bovins afin qu'ils améliorent leur productivité, leur efficacité et leur durabilité » a indiqué Alan Kelly, professeur assistant à la School of agriculture and food science (University College Dublin, Irlande), lors de sa conférence intitulée « Future-proofing the sustainability of pasture based beef production systems », présentée le 29 août 2023 à Lyon et portant sur la durabilité des élevages de bœufs au pâturage. Face à ces défis importants pour le futur de l'élevage, le conférencier suggère que les éleveurs reçoivent une récompense financière s'ils adoptent une approche plus durable. Pour réduire les impacts environnementaux de l'élevage tout en contribuant au bien-être des animaux (BEA), les éleveurs peuvent d'ores et déjà avoir recours à la sélection génétique ou mettre en place de nouvelles conduites d’élevage.
Un impact environnemental non négligeable
Comme l'a rappelé le conférencier, les impacts environnementaux des systèmes d'élevage de bovins actuels sont divers. Il s'agit notamment de défauts d'efficacité dans l'utilisation des ressources, de « feed food competition » entre l’alimentation animale et l’alimentation humaine, de perte de biodiversité et de dégradation de l’environnement. Ainsi, à l’échelle de la planète, les quantités de gaz à effet de serre (GES) émises par les élevages de bovins sont estimées à 2 495 millions de tonnes d'équivalent CO2. L’ensemble des filières d’élevage contribue quant à lui à 14,5 % de la production totale de GES, la part de l’élevage de bovins étant de 65 %. Concernant les émissions de méthane (CH4), elles représentent 5 % des émissions mondiales de GES et, dans un élevage donné, la part d'émissions de GES imputable au méthane entérique libéré par les animaux est de 45 %. Toutefois, comme l'a noté Alan Kelly : « L’empreinte carbone des bovins n’est pas la même dans toutes les régions du monde car les zones géographiques dans lesquelles les élevages de bovins sont plus intensifs et modernes ont des taux d’émissions de GES plus faibles par unité de bovin. » De plus, d'après les résultats d’une étude menée en 2021 dans des élevages de bovins irlandais1, il semblerait que la quantité de GES émise par bovin (en CO2 eq/kg) croisse avec l’âge notamment, car les proportions d’émissions liées aux gaz entériques, au fumier ou aux sols augmentent.
Une population croissante
Par ailleurs, bien que la croissance de la population mondiale soit continue depuis dix mille ans, alors qu'elle était initialement de 5 millions d’individus, elle s'accélère progressivement et devrait atteindre, selon les prévisions, 9 milliards d’individus en 2050. « Par conséquent, la suffisance alimentaire mondiale est un défi qui sera plus important dans les cinquante prochaines années qu’au cours de toute l’histoire de l’humanité. La demande mondiale de viande ne fera qu’augmenter, quel que soit le type de production, avec un effet plus marqué pour la filière avicole», a noté le conférencier. Or, même si, entre 2005 et 2020, dans les pays non-membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), la production de viande de bœuf est passée de 40 millions de tonnes à plus de 50 millions de tonnes, dans ceux appartenant à l’OCDE, le tonnage de la production n’a pas évolué. Selon Alan Kelly, la demande croissante de viande de bœuf risque donc, dans un futur proche, de dépasser les capacités de production.
Une valorisation des nutriments non consommables
C'est pourquoi, dans un objectif de développement durable, il est important que les élevages tentent de réduire de 25 % leurs émissions de GES d‘ici à 2030, de 50 % les pertes en nutriments et de 20 % l’utilisation de fertilisants. Mais aussi qu'ils améliorent la qualité globale de l’eau et qu'ils favorisent le maintien de la biodiversité. Comme l’a indiqué le conférencier, les terres occupées par le bétail fournissent 18 % de l’apport énergétique alimentaire global et 37 % de l’apport mondial en protéines. De plus, même si les ruminants doivent consommer 2,8 kg d’aliments consommables par l’homme pour produire 1 kg de viande, ils utilisent majoritairement des ressources alimentaires non valorisables par les humains. En effet, les bovins ont une grande capacité à valoriser les nutriments en convertissant des aliments non consommables par l’homme en nourriture consommable et de bonne qualité d’un point de vue nutritionnel (vitamine B, fer et zinc).2
Des systèmes herbagers plus durables
D'ailleurs, à cet égard, il semblerait que dans les élevages de bovins de type pastoral (herbager exclusif), les performances des animaux, la valeur nutritionnelle de la viande produite, l’utilisation des terres, la compétition « feed food » et la durabilité économique et environnementale de l’élevage soient meilleures. Les résultats d'une étude réalisée en 20223 révèlent ainsi que ce système d'élevage est plus rentable économiquement, eu égard au ratio « nourriture consommée sur nourriture produite », et qu'il émet moins de GES que les autres systèmes (concentrés ou concentrés et ensilage) car les prairies permanentes (pâturage exclusif) jouent un rôle important dans la séquestration du carbone. Ces dernières ont une capacité de stockage allant de 0,25 à 1,75 tonne de C/ha/an. Selon Kenneth Byrne et al. (2007) 4, les fermes laitières du sud-ouest de l’Irlande ont même une capacité de séquestration du carbone allant jusqu’à 2 tonnes de C/ha/an, le sol pouvant alors être saturé en carbone.
Émissions de méthane entérique : le rôle de l’alimentation
Parmi les autres solutions permettant de réduire l’impact environnemental de l’élevage, le conférencier a proposé d'améliorer la qualité nutritionnelle des fourrages pâturés. Des études sont en cours pour déterminer si la mise en place de plusieurs types de cultures avec un apport en azote réduit peut être une alternative viable aux monocultures classiques qui ont un PRG élevé7. De plus, les résultats d'une étude menée en 2023 8 ont démontré que la mise en place de prairies de légumineuses pour nourrir les bovins permet de réduire les apports en azote fertilisable de 60 %, d'augmenter la production d’herbage, d'améliorer les performances des animaux de 15 à 20%, d'avancer la date d’abattage de 35 jours, d'accroître la rentabilité de l'élevage de 35 à 40 % par kg de carcasse et de réduire l’empreinte carbone de l'exploitation de 15 %. Par ailleurs, comme l’a noté le conférencier, « il peut éventuellement être intéressant de supplémenter la ration des bovins avec des inhibiteurs de méthane et des additifs ».
Une approche génétique
Enfin, le caractère « émission de CH4 entérique » des bovins est un caractère héritable (le h2 va de 0,19 à 0,30) 5. Une stratégie efficace à mettre en place dans les systèmes d’élevages de bovins au pâturage extensif consiste donc à sélectionner les animaux sur ce caractère 6. Toutefois, dans le même temps, les éleveurs devront quand même surveiller l’efficacité de leur production, grâce à des objectifs précis de production. « La production de viande de bœuf joue donc un rôle crucial pour assurer la sécurité alimentaire mondiale, et l’élevage de bovins au pâturage peut être considéré comme une pratique d’élevage durable, sous réserve de trouver un équilibre (économique, environnemental et social) entre l’alimentation au pâturage, les performances des animaux et les systèmes de production les plus adaptés », a conclu le Dr Alan Kelly.