« Cette ONG est la vôtre » - La Semaine Vétérinaire n° 2012 du 24/11/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2012 du 24/11/2023

Agronomes et vétérinaires sans frontières

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Barbara Dufour, professeur émérite à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, a été élue présidente d'Agronomes et vétérinaires sans frontières en juin 2023. Une première depuis la création de l’association, à double titre : en tant que première vétérinaire, et en tant que première femme. Elle revient pour nous sur les missions de cette ONG et le rôle qu’y jouent les vétérinaires.

C’est la première fois qu’une vétérinaire est à la tête de l’association. Était-ce le moment, plus que par le passé, de mettre davantage en avant l’expertise vétérinaire ?

AVSF est issue de la fusion en 2004 de deux associations loi 1901 : le Centre international de coopération pour le développement agricole (CICDA), créé en 1977, et Vétérinaires sans frontières (VSF), créé en 1983. À cette époque, certains vétérinaires se sont désengagés. Dans les années 2010, nous avons travaillé à remobiliser la profession vétérinaire. Mon élection est dans la continuité du réinvestissement des vétérinaires dans cette ONG.

Quelles sont les missions de l’association ?

L’AVSF n’est pas une ONG d’intervention en urgence, mais de développement. Notre objectif est d’aider les éleveurs des pays du Sud à vivre le plus dignement possible de leur terre, pour se nourrir et pour nourrir les populations de la planète. Rappelons que l’essentiel de la production agricole planétaire provient de l’agriculture paysanne.

Nous intervenons auprès des populations les plus fragiles, au côté des organismes professionnels des pays concernés, et toujours à leur demande. Il ne s’agit pas d’imposer un modèle de fonctionnement, mais de les aider à améliorer leur organisation ou à développer des compétences sur des sujets pour lesquels nous avons été sollicités. Actuellement, nous menons environ 70 projets de développement dans 23 pays, avec, à chaque fois, des équipes embauchées localement. S'y ajoutent nos équipes en France, qui comptent une trentaine de personnes.

Parmi l’ensemble des missions menées par l’association, la formation des auxiliaires communautaires de santé animale (ACSA) est un projet central. Nous avons d'ailleurs été précurseurs sur ce sujet. Il s’agit de prodiguer une formation sur les petits soins aux animaux à destination des éleveurs proposés par leur communauté, lesquels deviennent alors des sortes d’«infirmiers vétérinaires» pour leur communauté, dans des pays où il y a un grave manque de compétences vétérinaires. Pour exemple, le Cambodge ne forme que 15 vétérinaires chaque année, qui iront de préférence vers un travail dans l’administration plutôt que sur le terrain. La formation que nous dispensons dure 8 à 9 semaines. Une fois celle-ci terminée, les ACSA sont en lien avec le vétérinaire de leur secteur, afin de s’approvisionner en médicaments à la traçabilité maîtrisée. Au Cambodge toujours, 1 500 ACSA ont pu être formés par AVSF. Ce programme a été officiellement reconnu par le gouvernement, qui l’a déployé, ce qui a abouti à la formation de près de 8 000 ACSA supplémentaires. D’autres organismes forment des auxiliaires, et un travail est en cours à l’Organisation mondiale pour la santé animale afin d'aboutir à un référentiel commun de formation.

Quel rôle jouent les vétérinaires au sein de l’AVSF ?

Notre équipe nationale comprend 3 vétérinaires techniques et plusieurs agronomes, ainsi que du personnel administratif. Les vétérinaires aident à structurer nos programmes d’élevage et de santé. À titre d'exemple, nous avons un programme centré sur la santé des bufflesses d’eau dans une zone d’Irak du sud, qui a été entrepris à la demande de vétérinaires locaux. Nous travaillons sur les axes d’amélioration du sanitaire, ce qui passe par de la formation continue des vétérinaires locaux, la réalisation d’enquêtes sanitaires pour identifier les axes de travail, etc. À la suite de quoi des pirogues sanitaires ont été créées pour suivre la santé des bufflesses dans les marais. Dans le nord du Mali, des équipes soignantes d’ADESAH, une ONG médicale, officiaient auprès des populations nomades. Ces équipes nous ont sollicités car elles s’étaient rendu compte qu’il fallait proposer une offre de soin à la fois pour la santé humaine et pour la santé animale. Nous avons donc constitué des caravanes de santé mobile incluant des ACSA et des infirmiers médicaux, qui circulaient auprès des populations nomades de la zone. Ce programme s’est arrêté du fait de l’instabilité politique. Nous avons également aidé à structurer des filières lait, avec toutes les questions sanitaires qui les accompagnent, au Sénégal ou encore à Haïti.

Quels types de difficultés pouvez-vous rencontrer ?

La première est liée à l’insécurité. L’enjeu est alors de pouvoir bien mesurer le niveau de risque que l’on fait courir à nos intervenants de terrain. Un deuxième problème est en relation avec le financement. Nous fonctionnons actuellement avec un budget d’environ 20 millions d’euros, dont une large partie provient de fonds publics. Les aléas étant possibles, nous devons veiller à diversifier nos sources de financement pour sécuriser notre budget. Le risque est de devoir en arriver à fermer certains programmes, ce qui aboutit à des licenciements locaux. Nous pouvons aussi nous heurter à certaines exigences de nos financeurs publiques… Par ailleurs, l’octroi des financements se fait via des appels d’offres ; or, dans certains cas, il s'avère difficile de faire correspondre les besoins réels exprimés lors des remontées de terrain avec les objectifs des appels d'offres. Enfin, sur le terrain, une autre grande difficulté a trait au niveau de formation des populations ; le succès des programmes de développement repose aussi sur l’éducation.

Le principe de l’agroécologie est-il mis en œuvre dans les actions d’AVSF ?

Il est fondamental pour nous car il va de pair avec l’autonomie, la résilience et la durabilité de nos actions. Les modèles productivistes ne sont pas nos modèles. Nous visons des modèles raisonnés, respectueux de l’environnement et des individus qui y travaillent. Nous voyons l’élevage comme un complément indispensable aux cultures, qui sont nécessaires pour nourrir les populations. L’élevage apporte la traction, une fumure essentielle, un complément de capital, mais aussi des protéines sous forme d’œufs, de lait, éventuellement de viande.

Quels sont les enjeux d’avenir de l’association ?

Le premier est sans doute de pouvoir mieux gérer nos complémentarités avec les autres ONG. Ce travail est en cours ; il nous permettra de mutualiser certaines actions. Un deuxième enjeu est d’améliorer notre travail en faveur des plus fragiles, les femmes et les jeunes. Dans les sociétés au sein desquelles nous intervenons, il y a une forme de patriarcat, et il faudrait axer davantage nos actions en direction des femmes, qui sont très demandeuses de ce type de démarche.

Qu’attendez-vous des vétérinaires ?

J’attends qu’ils continuent de s’investir dans cette ONG, qui est la leur. Tous les vétérinaires peuvent adhérer à l’association : actuellement, sur les 250 adhérents, 60 environ sont des vétérinaires. Il y a aussi la possibilité d’être donateur. Plus de 12 000 donateurs contribuent aujourd’hui au financement de nos missions. C’est essentiel, d’autant que nos financeurs publics nous demandent que 20 % des sources de financement de nos missions soient d’origine privée. En tant que vétérinaire, pourquoi ne pas donner à l’AVSF ?, sachant que 88 % de notre budget est directement affecté à nos missions sur le terrain. Nous cherchons aussi régulièrement des bénévoles ; cela peut par exemple consister à tenir un stand lors des congrès, pour sensibiliser le grand public à nos actions et valeurs. Et il est toujours possible de nous aider grâce au système de l’arrondi solidaire, qui peut être mis en place dans toutes les cliniques vétérinaires.

Je suis fière d’être vétérinaire présidente d’AVSF. Profitons du fait qu'une vétérinaire soit à la tête de cette ONG pour la réinvestir pleinement. Nous, vétérinaires, avons des choses à proposer, en complémentarité avec les agronomes. La gestion du sanitaire est au cœur des programmes de développement des élevages, et nous n’avons pas non plus à rougir de nos compétences en zootechnie et nutrition.