La communication et l’éthique, base des soins palliatifs et d’hospice - La Semaine Vétérinaire n° 2012 du 24/11/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2012 du 24/11/2023

Médecine féline

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Deux associations vétérinaires ont publié des lignes directrices sur les soins palliatifs et les soins d’hospice. Ces situations complexes impliquent de prendre en compte aussi bien l’animal malade que le détenteur, et le lien entre eux. La prise en charge médicale passe aussi par une communication efficace et un ancrage solide à un cadre éthique.

À l’époque des « Pet Parents », il est un domaine qui tend certainement à être plus délicat à gérer que les autres pour le vétérinaire praticien : celui des soins palliatifs et des soins dits d’hospice. Pour mieux l’accompagner, deux associations vétérinaires, l’American Association of Feline Practitioners (AAFP) et l’International Association for Animal Hospice and Palliative Care (IAAHPC), ont récemment publié des lignes directrices à ce sujet pour le patient félin. Ces deux notions doivent être bien distinguées : pour la première, il s’agit de soins qui permettent de soulager un animal malade à n’importe quel stade de sa maladie, qu’elle soit chronique/incurable ou curable. On vise donc l’amélioration de sa qualité de vie en gérant les signes cliniques. Les soins de fin de vie font partie des soins palliatifs.

Pour la deuxième, il s’agit de soins qui permettent d’accompagner l’individu pendant les derniers stades de sa maladie. Si le chat malade est évidemment au centre des recommandations, les auteurs vont plus loin en mettant en avant l’importance de prendre soin des personnes qui s’occupent de lui, personnes d’ailleurs nommées explicitement les « soignants » par les experts. C’est ce que l’on appelle la notion « d’unité de soins », qui consiste à inclure les « soignants et leurs besoins » dans l’accompagnement vétérinaire. Cette approche, qui vient de la médecine humaine, implique de faire également intervenir toutes les personnes susceptibles de « répondre aux besoins psychologiques, sociaux et spirituels des personnes ». Cela peut être des membres de la famille, de l’équipe ou des proches. Dans cette approche, il est question de respecter le lien entre le chat et sa famille. Selon les experts, « le fait de laisser ce lien guider la prise de décision et les soins permet à la famille du chat de se responsabiliser et de s’assurer qu’elle dirige le processus de manière à répondre aux besoins de son chat et à ses propres besoins ».

Les cinq étapes

En pratique, il est conseillé de mettre en œuvre un plan de soins en cinq étapes. Lors de la première étape, il convient d’évaluer les besoins, les convictions et les objectifs du détenteur de l’animal. Cela inclut les aspects financiers, mais aussi des aspects plus intimes : est-ce que le détenteur est en capacité émotionnelle de gérer la situation ? Est-ce que les soins auront des conséquences sur son état physique ? Quel impact cela aura sur son quotidien ? Aura-t-il la disponibilité ? Aura-t-il une aide ? Dans cette discussion, le jugement vis-à-vis du détenteur de l’animal est évidemment à bannir, afin de pouvoir échanger en toute transparence et sans tabou. La deuxième étape vise à éduquer sur la maladie et les soins. Sans cette phase, il sera difficile pour le détenteur de l’animal malade d’être en capacité de jouer son rôle de soignant. Selon les experts, cela passe par des explications claires pour le détenteur, et aussi des démonstrations en vrai de la manière dont les soins doivent être faits. La troisième étape permet d'élaborer un plan personnalisé pour le chat et le soignant. Il prend en compte la capacité et la volonté du détenteur de faire les soins ; il est écrit et précis ; le temps des soins est détaillé tout comme le coût. Pour les experts, le plan doit être dicté par les besoins physiques, émotionnels et sociaux de chat. La quatrième étape est la mise en œuvre des soins. Ces soins doivent tenir compte de l’environnement de vie de l’animal, qui peut devoir être à adapter. L’expérience de soins doit être positive. Un suivi via des enregistrements vidéo ou des téléconsultations est utile. Quelquefois, le détenteur peut refuser de faire certains contrôles, ou alors décider d’arrêter un traitement. Dans ce cas, l’équipe médicale doit s’adapter et soutenir la décision. Enfin, la cinquième étape est en réalité une étape qui débute dès le début de l’accompagnement : c’est le soutien émotionnel du détenteur pendant les soins et après la mort de l’animal. Il peut être difficile de faire comprendre à son entourage la peine éprouvée par la maladie et la perte d’un animal, aussi les experts estiment que le personnel médical doit aider à la normalisation de cet état émotionnel avant et après la perte de l’animal.

Bien communiquer

Construire ce plan implique de maîtriser sa communication. Pour les experts, il s’agit de la base pour pouvoir établir un lien de confiance, et donc le plan de traitement. Les principes en sont la compassion, l’absence de jugement et l’écoute. Le vétérinaire doit s’appuyer sur le langage corporel du détenteur de l’animal pendant la conversation, pour identifier s’il est stressé par exemple, ou s’il a besoin d’un soutien émotionnel plus important. Il convient aussi de bien s’informer sur le détenteur : ses besoins, ses objectifs, ses croyances, ses expériences médicales passées, ses préférences médicales, afin de mieux renforcer la communication et in fine l’efficacité des soins.

De manière très concrète, il existe des techniques de communication efficaces. Les experts conseillent de donner des repères pour orienter les échanges dans la bonne direction, par exemple en disant : « Nous allons devoir prendre des décisions difficiles ». De même, on ne doit pas hésiter à demander au détenteur : « Êtes-vous prêt à ce que je continue ? ». Le vétérinaire peut aussi appliquer la technique dite « chunk and check ». Il s’agit d’expliquer progressivement ce que l'on va faire, en vérifiant à chaque étape si le détenteur a bien compris. De manière générale, il est conseillé d’être direct et franc pour annoncer une mauvaise nouvelle, « avec une transparence empreinte de compassion ». Le tout dans un cadre propice : « un environnement sûr et confortable ».

Se poser les bonnes questions

Face à un animal débilité, qui pourrait faire l’objet de soins palliatifs ou de soins d’hospice, plusieurs questions clés sont à se poser avant toute prise de décision. Elles sont regroupées sous 4 grands principes de bioéthique :

- respect de l’autonomie (soutien à la prise de décision) ; 

- bienfaisance (agir dans l’intérêt supérieur du patient, c'est-à-dire « permettre que le lien entre l’animal et l’humain soit une priorité plus importante que d’intervenir par des procédures agressives ») ; 

- non-malfaisance (éviter de nuire au patient, autrement dit « de ne pas nuire à la relation du soignant avec le chat »)

- justice (équité dans les recommandations de traitement).

La question de l’autonomie mérite qu’on s’y attarde. Il s’agit pour le vétérinaire de pouvoir expliquer de manière claire et transparente l’état clinique du chat à son détenteur, afin que ce dernier prenne « la meilleure décision au nom du chat ». Il s’agit aussi de prendre en compte « la disposition ou le tempérament du chat, sa réceptivité aux interactions et sa volonté à prendre des médicaments ». De fait, les experts considèrent qu’ « imposer des médicaments ou des soins douloureux à un chat qui exprime une réaction émotionnelle de peur et d’anxiété […], c’est violer l’autonomie que le chat peut exprimer », et donc risquer de rompre le lien entre le chat et son détenteur.

Gérer le médical

La prise en charge médicale du chat implique de gérer tant les aspects physiques, en particulier la douleur, que les aspects émotionnels et sociaux, en particulier la gestion de l'environnement. Les experts considèrent que l’alimentation ne doit pas être forcée (par seringue, ou même pâtée sur les pattes), au risque de provoquer une aversion, de la nausée, de la douleur. L’alternative est la sonde d’alimentation. Un travail sur les apports hydriques ne doit pas être négligé. Plus globalement, la prise en charge du chat malade passe aussi par l’évaluation générale de sa qualité de vie, « dans le but de déterminer si la vie du patient vaut la peine d’être vécue », et de pouvoir ainsi aider le propriétaire à prendre la décision d’euthanasie.