Bien-être
ENTREPRISE
Auteur(s) : Par Françoise Sigot
Dans le cadre du forum annuel* de l'association Ergone, sa présidente Céline Porret-Condamin (L 03) a animé un atelier avec, en fil rouge, le bien-être des équipes et la surveillance des signaux faibles. Des éléments généralement anodins en temps normal, qui peuvent vite déclencher conflits et crises quand la machine s’enraye.
Dans un monde parfait, la force d’une équipe repose sur l’entente, la cohésion, des liens relationnels forts, mais aussi un engagement collectif vers un dessein partagé. Ce schéma rêvé n’exclut pas quelques contraintes, pas plus que de devoir renoncer à une part de liberté individuelle pour pousser dans le sens du collectif. Mais, au sein d'équipes de choc, cet ensemble cohabite avec bonheur et efficacité. Du moins, souvent. Car parfois, les belles équipes substrats des organisations qui performent présentent quelques faiblesses, et l’organisation patine, voire pire, s’enlise dans le conflit et la crise. « L’équipe est une force, mais aussi un équilibre instable », résume Céline Porret-Condamin (L03), présidente d'Ergone. Autant dire que pour éviter les situations extrêmes mieux vaut, d'une part, bien garder en tête que la belle machine peut s’enrayer et, d'autre part, rester vigilant pour repérer les signes laissant penser que l’on s’achemine vers un ou plusieurs dysfonctionnements. À cet égard, tout réside dans l’art de repérer les signaux faibles, indicateurs de tension. L’objectif étant de réguler ces tensions avant l’explosion, et donc la crise, qui elle sera bien plus compliquée à endiguer.
L’art de faire émerger les signaux faibles
Pour autant, même si l’objectif est bien d'apaiser les tensions, l’idée n’est pas de chercher à les gommer entièrement. « Dans toutes les équipes il existe des tensions, c’est un mécanisme inhérent à la vie et il ne faut pas y voir forcément un signe que cela ne va pas au sein de l’équipe », prévient Céline Porret-Condamin. Reste donc à avoir l’œil ouvert et l’oreille tendue pour détecter les signaux faibles conduisant aux situations de tension extrêmes, qui pourraient virer au conflit et à la crise. « Un signal faible est une information partielle, fragmentaire, de petite fréquence. C’est tout ce qu’il se dit derrière vous, et cela représente une alerte », synthétise la présidente d’Ergone. Tout le monde ne perçoit pas ces signaux et tous ne les expriment pas oralement. C’est pourquoi le bon manager devra créer un climat propice à leur expression, et tout autant à leur écoute. « Il faut valoriser tous ceux qui repèrent ces alertes. L’idée est d’avoir une sorte de système de veille pour repérer le moindre signal de l’équipe qui pourrait faire penser que les choses vont mal », estime la vétérinaire. « Il faut aussi sortir d’une culture de la sanction, de la faute, de la responsabilité individuelle, de la recherche de coupable, qui est souvent plus facile et plus rapide, plutôt que d’aller chercher à comprendre ce qui se passe », poursuit-elle. Si ces conditions et ce climat de bienveillance ne sont pas réunis, la dissimulation, le retard de diffusion des informations, mais aussi le doute et le mal-être s’installent dans l’équipe et infusent dans l’organisation. Le repérage des signaux faibles intervient alors parfois trop tard. Et pourtant, plus ces signaux seront repérés et a fortiori traités rapidement, moins ils feront de dégâts. La bienveillance, l’acceptation des désaccords, et la liberté de parole sont donc des ingrédients indispensables permettant de faire émerger les signes faibles de tension.
La multiplicité des facteurs de tension
Même dans une équipe et au sein d’une organisation ou la fluidité des relations est de mise, les facteurs de tension ne manquent pas. Toutes les équipes, même les plus parfaites, sont soumises à de tels états. Souvent, les tensions permettent d’ailleurs d’aller de l’avant, d’innover. « Il y a de la tension dans les équipes qui gagnent », assure la présidente d’Ergone. Comme le dit l’adage, sur ce sujet comme pour d’autres, le trop est l’ennemi du bien. « C’est le cumul de ces facteurs qu’il faut surveiller », conseille Céline Porret-Condamin. « La tension est ce qui menace de se rompre, mais cela ne veut pas dire que la rupture arrive systématiquement. Il y a toujours la possibilité de revenir à un état normal », rassure-t-elle. Reste à avoir bien en tête les quelques facteurs sur lesquels doit porter la vigilance. En premier lieu vient le changement, une situation déstabilisante pour beaucoup. La frustration et la compétition entre les membres de l’équipe sont aussi des éléments de nature à faire basculer les équilibres. L’incertitude, génératrice de peur et d’anxiété, fait également partie de cette liste, tout comme le manque d’équité et de dialogue. De même, l’incompatibilité entre certains membres de l’équipe, ou au contraire l’hypercompatiblité, peuvent être des facteurs de malaise. Enfin, les contradictions dans les messages envoyés et le climat d'urgence sont aussi des phénomènes à la source de tensions.
L’escalade conflictuelle vers la crise
Bien souvent, lorsque les managers parviennent à créer les conditions du bien-être au travail pour leur équipe, ces facteurs de tension se régulent d’eux-mêmes, ou avec des interventions ponctuelles et rapides. Mais parfois, les tensions ne sont pas régulées ; l’escalade s’installe alors et là, le conflit menace. « Le conflit ne se déclenche pas du jour au lendemain », explique Céline Porret-Condamin. L’escalade vient assez souvent du cumul de plusieurs facteurs, à l’image du changement qui, couplé à l’incertitude, est souvent un cocktail assez explosif. Tout comme la compétition et la frustration. Pour autant, certaines personnes sont plus résistantes que d’autres à l’état de tension. Le contexte joue aussi un rôle important. Ces deux derniers paramètres ne doivent donc pas être négligés dans l’appréciation des tensions. « L’idée est de voir ces tensions comme des symptômes. Les voir donc et, pour certains, d’y apporter des réponses », conseille la vétérinaire. Sans cela, le cheminement du stade de tension vers celui de crise fait peu de doute. « Le passage de la tension à la crise est assez fin. La crise est souvent liée à une sensation de situation de blocage. Par ailleurs, elle comporte une dimension de communication. En phase de tension, les expressions sont là, mais ce n’est pas le sujet numéro un ; en phase de crise, tout le monde en parle », résume Céline Porret-Condamin. Le dirigeant se retrouve alors de fait sous pression, car les positions se radicalisent. Tout le monde se sent dans une impasse, le dialogue devient impossible, les mises en cause sont fréquentes et les menaces, voire les provocations et les intimidations, arrivent. Difficile dans ces situations d’éviter le conflit. À ce moment-là, le ou les éléments déclencheurs prennent en général la forme d’un ou plusieurs actes de transgression. Il est alors possible de se retrouver face à des agressions physiques, des insultes. « Il existe toujours un élément qui identifie le passage d’une situation à l'autre, mais l'élément déclencheur n’est pas forcément le coupable de la situation de conflit. On est dans un effet cocotte-minute, l'acte est souvent impulsif, plus rarement prémédité », indique la présidente d’Ergone. À ce stade, il s’agira de gérer le conflit. Un exercice tout autant compliqué que celui de la recherche de signaux faibles.