Électrocardiogramme : conseils pour la pratique quotidienne  - La Semaine Vétérinaire n° 2013 du 01/12/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2013 du 01/12/2023

Cardiologie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Marine Dhunputh1, Vittorio Saponaro2

Lorsqu’il est question d’affections cardiaques, le premier examen qui vient à l’esprit est celui de l’échocardiographie. Certes, cette dernière est bien utile pour faire une évaluation morphofonctionnelle de la pathologie cardiaque ; malheureusement, elle a ses limites, notamment quand il s’agit de caractériser un trouble du rythme. Sur ce terrain, l’électrocardiogramme (ECG) reste le juge de paix, même s’il est souvent boudé par les vétérinaires car jugé compliqué à interpréter. En réalité, il suffit de connaître quelques astuces pour pouvoir interpréter rapidement et facilement les principaux troubles du rythme.  

L’analyse de l’ECG

Tout commence par la mesure de la fréquence cardiaque. Lorsque l’appareil est allumé, le papier millimétré commence à défiler à une vitesse de 25 mm par seconde et avec un voltage de 1 cm équivalent à 1 millivolt. Avec une telle configuration, le laps de temps idéal pour compter les battements par minute est de 6 secondes (soit 1/10e de minute), qui correspondent à 15 cm sur le papier ; la fréquence cardiaque s’obtient tout simplement en comptant le nombre de complexes QRS présents sur ces 15 cm et en multipliant ce nombre par 10. L’astuce est d’utiliser un stylo ; toujours à portée de main, il a aussi l’avantage d’avoir une dimension standardisée… de 15 cm ! En cas de fréquence très élevée, la vitesse de défilement peut être réadaptée, notamment pour espacer les différents complexes QRS et mieux apprécier les ondes P et T qui peuvent se chevaucher. Dans cette situation, l’astuce est de doubler la vitesse de défilement, autrement dit de passer à 50 mm par seconde ; il suffit ensuite de multiplier le nombre de QRS sur 15 cm par 20 pour obtenir la fréquence cardiaque.

La deuxième étape concerne l’analyse du rythme : il est nécessaire de savoir si ce dernier est régulier ou irrégulier et de juger de son caractère sinusal (tout P suivi d’un QRS) ou non. À ce propos, si, sur le tracé, on trouve divers complexes ventriculaires prématurés isolés qui sont intercalés avec des complexes normaux sinusaux, on parle de rythme sinusal interrompu par de nombreuses extrasystoles ventriculaires ; il ne faut surtout pas dire que le rythme n’est pas sinusal !  

Les étapes suivantes constituent les parties les plus minutieuses de l’analyse électrocardiographique :

- Tout d’abord, il faut évaluer la conduction atrioventriculaire au niveau de l’intervalle P-Q ; il est primordial de se souvenir de la durée physiologique de cet intervalle chez le chien (60-130 ms) et le chat (40-90 ms). Lorsque l’intervalle P-Q n’est jamais égal, il y a une dissociation totale des atria et des ventricules : c’est la définition du bloc atrioventriculaire du 3e degré (voir figure 1).

- Ensuite, il faut analyser la morphologie du complexe QRS, c’est-à-dire son amplitude et, surtout, sa durée. Cette dernière permet notamment de faire la distinction entre une origine supraventriculaire (QRS fins) ou ventriculaire (QRS larges) de la dépolarisation ventriculaire. Pour cela, il est important de noter que 1 mm (soit un petit carreau) correspond à 40 ms avec un défilement en 25 mm/s et à 20 ms en mode 50 mm/s. Connaissant ces valeurs, il suffit de compter le nombre de petits carreaux du QRS et de comparer la durée obtenue avec la durée physiologique chez le chien (< 70 ms) ou le chat (< 40 ms), soit presque deux carreaux chez le chien et un carreau chez le chat (pour un défilement à 25 mm/s).

- La dernière étape consiste à définir l’axe électrique moyen. Il peut être assimilé à une cible avec une flèche, la flèche correspondant à l’impulsion électrique qui a son intensité maximale sur la dérivation, autrement dit la cible (voir figure 2). Comment déterminer quelle dérivation attribuer à la cible ? En observant la dérivation où le QRS est le plus positif, c’est-à-dire le plus haut. Si cette dérivation s’avère être la DII, cela signifie que l’axe est physiologique car c’est un axe inférieur gauche. Si, en revanche, le QRS le plus positif est sur l’aVR, alors il y a une déviation axiale droite. Cette image de la flèche et de la cible est également utile pour définir le site d’origine d’une extrasystole ventriculaire : si l’impulsion affecte les dérivations de gauche, cela signifie qu’elle vient de droite, et vice-versa.

La tachycardie

Lors de l’établissement d’un diagnostic ECG, l’important est de comprendre s’il s’agit d’une tachycardie ou d’une bradycardie, si le rythme est sinusal ou non et si l’origine est ventriculaire ou supraventriculaire. Pourquoi procéder à ce type de tri ? Tout simplement parce que l’approche thérapeutique est différente selon les cas : une tachycardie ventriculaire, par exemple, a un risque plus élevé de provoquer une mort subite qu’une tachycardie supraventriculaire, car elle peut dégénérer en fibrillation ventriculaire. Par conséquent, elle devra être traitée en priorité.

Les tachycardies peuvent être symptomatiques en fonction de la présence des deux critères majeurs que sont la durée (plus elle dure longtemps, plus elle est grave) et la fréquence cardiaque (plus elle est rapide, plus graves sont les conséquences hémodynamiques). Ces tachycardies peuvent également être paroxystiques, c’est-à-dire qu’elles commencent et finissent rapidement, à tel point qu’elles n’apparaissent que quelques secondes sur le tracé. Dans ces cas, pour déterminer si la tachycardie est particulièrement rapide, il n’est pas possible d’utiliser l’échantillon de temps de 15 centimètres. Il faut alors avoir recours à une ruse, celle du « calcul de la fréquence cardiaque instantanée » : il s'agit de compter les millimètres entre deux complexes QRS de la tachycardie et de les multiplier par 40 (en 25 mm/s) ou 20 (en 50 mm/s), afin de trouver la durée entre chaque complexe. On divise ensuite 60 000 (ce qui correspond au nombre de millisecondes dans 1 minute) par cette durée pour obtenir la fréquence cardiaque de la salve de tachycardie. Attention, cette astuce est valable uniquement pour les tachycardies régulières ; elle ne peut être utilisée en cas de fibrillation atriale, par exemple. À noter que, pour cette dernière, les deux critères simples pour la reconnaître sont l’absence d’onde P et l’irrégularité de l’intervalle R-R (voir figure 3).  

La bradycardie

En ce qui concerne la bradycardie, elle peut également être associée à des symptômes plus ou moins graves, qui vont de la fatigabilité à l’effort jusqu’à l’abattement, voire la syncope. Le bloc atrioventriculaire ou la dysfonction sinusale (dysfonctionnement du nœud sinusal) sont les deux affections à savoir reconnaître dans ce contexte. Le premier, classé en trois grades de sévérité, est généralement à son plus haut degré chez le patient symptomatique et se caractérise par la dissociation complète des atria et des ventricules (cf infra). Quant à la dysfonction sinusale (appelée « sick sinus syndrome » en cas de signes cliniques), elle est plus difficile à objectiver sur le tracé ECG : cela peut se caractériser par un bloc sinoatrial (pause du rythme sinusal), un bloc atrioventriculaire (dissociation P-QRS), voire un arrêt sinusal (pause du rythme sinusal). Qu’il s’agisse d’une maladie du nœud sinusal ou d’un bloc atrioventriculaire du 3e degré, l’utilisation d’un pacemaker est fortement recommandée, surtout si le patient présente des syncopes.

L'examen Holter 

Il peut arriver qu’un tracé de quelques minutes soit insuffisant pour établir un diagnostic car l’arythmie apparaît de manière discontinue ou est déclenchée dans des circonstances particulières. De même, un diagnostic une fois établi peut ne pas être exhaustif, notamment s’il manque des informations concernant la prévalence quotidienne de l’arythmie ou sa réponse au traitement. Dans ces cas, il est bon de pouvoir recourir à un électrocardiogramme de 24 heures en utilisant l’enregistrement Holter. On procédera à cette mesure dans le cadre d’un traitement de la fibrillation atriale et pour un dépistage de la cardiomyopathie dilatée et arythmogène du ventricule droit (voir tableau). Enfin, il faut garder à l’esprit que, parfois, même un examen de 24 heures ne suffit pas pour diagnostiquer une arythmie. Il existe des dispositifs Holter sous-cutanés avec une durée d'implantation de plusieurs mois, particulièrement recommandés pour le chat. En effet, pour ce dernier, l’accoutrement (boîtier et veste) mis en place lors de l’enregistrement Holter classique de 24 heures apparaît plus contraignant que pour le chien (voir photo).

Axe électrique du cœur

À titre d’exemple, l’Homme de Vitruve, de Léonard de Vinci, est l’image qui se prête le mieux à la mémorisation du système hexa-axial de Bailey ; chacune des six dérivations correspond à un membre du personnage. Ainsi, il est facile de se rappeler que le DIII correspond à la jambe droite écartée ou que l’aVL correspond au bras gauche levé, et ainsi de suite.

Source : image personnelle.

  • 1. Service de cardiologie, ENVA
  • 2.DESV Cardiologie, PhD, Service de cardiologie, ENVA