Le défi d'une pratique rurale en Île-de-France - La Semaine Vétérinaire n° 2013 du 01/12/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2013 du 01/12/2023

Désertification vétérinaire

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Jean-Paul Delhom

Le 16 novembre dernier, une soirée sur le maillage vétérinaire en Île-de-France a permis à chacun des acteurs d’exprimer ses besoins et ses contraintes. Plusieurs pistes apparaissent, notamment la création d’une clinique vétérinaire consacrée à la médecine rurale.

« Pas de vétérinaire, pas d’élevage ! » C’est en ces termes que le préfet d’Île-de-France, Marc Guillaume, a accueilli les participants lors d'une soirée d’échanges et de débat sur le thème du maillage vétérinaire, organisée par la Chambre d’agriculture de la Région, le 16 novembre 2023 à Paris. Perçue comme très urbanisée, la Région Île-de-France est pourtant en réalité à 70 % rurale ou périurbaine, a rappelé Déborah Infante-Lavergne, cheffe du service régional de l'alimentation (SRAL) à la Direction régionale et interdépartementale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRIAAF). Si le cheptel bovin a connu une décroissance entre 2011 et 2021 (- 27 %), on observe parallèlement une croissance exponentielle des détenteurs de petits ruminants, de volailles et de ruches. Par ailleurs, seuls 41 % des détenteurs de bovins et 10 % de petits ruminants sont des éleveurs professionnels. Ce constat implique une demande particulière en matière de soins vétérinaires. Les évolutions sociétales actuelles pourraient donc conduire à une reprise de croissance dans les années qui viennent, ciblée sur les cheptels avicole, apicole et des petits ruminants, comme le démontre le triplement du nombre d’ovins ces dix dernières années. Dans ce contexte, l’objectif est de maintenir et de développer l’élevage (professionnel ou non) en Île-de-France, en accord avec la demande sociétale (bien-être animal, alimentation de proximité), et avec un niveau de veille sanitaire satisfaisant. Dans cette optique, le rôle du vétérinaire apparaît indispensable.

Depuis 2022, un comité de pilotage regroupant l’ensemble des parties prenantes (éleveurs, vétérinaires, administration, etc.) propose d’expérimenter des actions pour relever ce défi. Les réflexions menées ont abouti à quatre questions d’intérêt : comment faciliter l’implantation et le développement de l’activité de vétérinaires compétents en filière d’élevage ? Quels sont les leviers pour assurer la rentabilité d’une activité vétérinaire auprès des « animaux de ferme » ? Comment mobiliser les praticiens canins sur les filières « animaux de ferme » hors élevage de rente ? Comment adapter les compétences des vétérinaires à cette filière ?

Un besoin de compétences pointues à un prix raisonnable

Pour Yann Levrey, chef du service santé, protection animales et environnement (SPAE) à la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) du Val-d’Oise, les vétérinaires de terrain permettent aux services de l’État d’effectuer leurs missions dans les domaines de la santé, de l’environnement et de la protection animale. Mais, dans le Val-d’Oise, il n’y a que trois établissements vétérinaires ruraux pour cinquante détenteurs de bovins. De fait, les éleveurs font appel aux praticiens des départements voisins. Toutefois, de plus en plus de vétérinaires se déclarent pour « faire de la petite rurale », compte tenu de la forte augmentation de petits ruminants. Pour eux, des actions de formation sont indispensables.

Philippe Dufour est éleveur de bovins allaitants en Seine-et-Marne. Les vétérinaires devraient, selon lui, pouvoir répondre tant aux questions relatives au suivi sanitaire des élevages qu’aux situations d’urgence, nécessitant à la fois une proximité et un niveau suffisant de compétences rurales et d'expérience en la matière. Mais il souligne la nécessité de rentabilité pour les éleveurs et donc de tarifs de vente compétitifs. Mutualiser contractuellement les visites des praticiens permettrait un équilibre entre les tarifs vétérinaires et la gestion d’élevage.

Pour Morgane Marot, coordinatrice élevage et écopâturages à la ferme pédagogique d’Écancourt (Val-d'Oise), les vétérinaires doivent être compétents sur différentes espèces animales de rente (bovins, ovins, caprins), pour répondre aux besoins.

Un défaut d’attractivité pour les jeunes diplômés

Nicolas Miche (A 97) est vétérinaire dans le nord de l’Essonne. Son activité principale étant la canine, il lui est difficile d'assurer l’urgence rurale compte tenu de la circulation et des distances à parcourir. En Île-de-France, il n'est pas aisé de recruter des jeunes intéressés par la rurale pour une activité mixte. L’organisation des astreintes est rendue difficile par la Convention collective (qui interdit des astreintes consécutives pour les salariés) et par le faible nombre d’appels. Le stock des médicaments est en flux tendu, souvent en gros format et à prix élevé qui plus est. Or, les médicaments sont indispensables pour la rentabilité de l’activité rurale. Pour le vétérinaire, si l'on souhaite favoriser l’installation des jeunes diplômés, plutôt que d'allouer des subventions, des aménagements en matière de retraite ou d'impôts seraient préférables. Par ailleurs, afin d’assurer la continuité des soins et la gestion des astreintes, il faudrait des cabinets ruraux dotés de nombreux vétérinaires. Une hotline rurale sur le modèle des centres antipoison serait également une bonne chose.

Aurélie Cantié (A 23), jeune vétérinaire, confirme les constats de son confrère. Pour elle, la volonté d’avoir une pratique mixte ne diminue pas son exigence à limiter les astreintes à des niveaux raisonnables dans des cabinets partagés.

Outre l’offre en structures libérales, l’Île-de-France a la particularité d’avoir une école nationale vétérinaire, à Maisons-Alfort (Val-de-Marne). Marine Denis y est ingénieure de recherche et praticienne hospitalière pour les animaux de production. Comme elle l’explique, la possibilité d’accueil y est importante et les visites à l'extérieur possibles. Une bétaillère peut être prêtée en cas de besoin. Mais le service de garde n’est assuré que par un seul vétérinaire. Reste que l’École effectue 200 visites par an et son objectif est d’en effectuer davantage si on lui en donne les moyens, comme l'achat d’un véhicule grâce à la loi DDADUE*.

Une structure vétérinaire « petite rurale » à implanter

En définitive, quelles sont les solutions ? Pour Benjamin Beaussant, directeur de la DRIAAF-IDF, l’enjeu pour la région est d’obtenir un maillage vétérinaire performant et suffisant pour maintenir et favoriser l’élevage. Depuis trois ans, la préfecture et différents partenaires se mobilisent pour permettre aux acteurs de terrain de s’emparer des outils mis à leur disposition (travail en réseau, formation des vétérinaires intéressés par la pratique « petite rurale », contrats éleveurs-vétérinaires, mutualisation d’équipements).

De son côté, l’ENVA aurait la capacité et la volonté de renforcer son équipe pour proposer de la télé-expertise et des formations aux vétérinaires.

Par ailleurs, les participants sont unanimes pour dire que, dans ce contexte, la gestion des urgences est compliquée.

Le comité de pilotage propose d’implanter une structure vétérinaire dans les zones où la densité des élevages est la plus grande. Cette structure pourrait être intégrée au sein d’un établissement déjà existant ou être créée. Pour le comité, faciliter l’implantation et le développement de l’activité de vétérinaires compétents en filière d’élevage nécessite un appui financier, rendu possible par la loi DDADUE qui permet aux collectivités territoriales d’attribuer des aides aux vétérinaires contribuant à la protection de la santé publique et assurant la continuité et la permanence des soins. Elle prévoit aussi une indemnité d’étude et de projet professionnel pour les étudiants qui s’engagent à exercer une activité auprès des animaux de ferme.

En conclusion, la recherche de financements, la structuration, la mise en œuvre et le suivi des projets ainsi que la coordination des différents acteurs sont nécessaires pour permettre la concrétisation du projet.

  • * Loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne