Médecine interne
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Renaud Dumont
Nouveau traitement du diabète, mise à jour des connaissances sur les thrombopénies, implication des acides biliaires lors d'une diarrhée, usage de plus en plus raisonné des antibiotiques en urologie : autant de sujets qui faisaient partie, entre autres, du programme du dernier congrès des vétérinaires internistes.
Une partie de la communauté internationale vétérinaire s’est réunie comme chaque année au congrès du Collège européen de médecine interne pour les animaux de compagnie (ECVIM-CA), qui s’est déroulé du 21 au 23 septembre dernier à Barcelone, en Espagne. Cette émulsion scientifique a rassemblé des vétérinaires du monde entier, avec une prédominance de la France, deuxième pays le plus représenté en nombre de participants. Les conférences, posters et présentations de travaux ont richement embrassé l’ensemble des domaines de la médecine interne, de la cardiologie et de l’oncologie. Voici les temps forts de ce symposium.
La velagliflozine, traitement révolutionnaire du diabète sucré félin ?
Une nouvelle approche thérapeutique du diabète sucré chez le chat est en train de voir le jour. Il s’agit de la velagliflozine, inhibiteur du cotransporteur de sodium-glucose de type 2, permettant d’abaisser la glycémie en favorisant l’excrétion urinaire du glucose. Cette molécule, prochainement commercialisée par le laboratoire Boehringer en Europe, semble prometteuse pour le contrôle du diabète sucré sans nécessité d’insulinothérapie. Une étude de non-infériorité présentée par le futur président de l’ECVIM, Stijn Niessen, a comparé chez 127 chats l’emploi de velagliflozine par voie orale une fois par jour à une administration biquotidienne d’insuline lente. Le diabète sucré a été contrôlé dans la plupart des cas avec la velagliflozine sans épisode d’hypoglycémie clinique. Le principal effet secondaire constaté était des selles molles. Et, bien que les crises d’acidocétose ne soient survenues que rarement, la particularité d’une absence d’hyperglycémie est à noter pour l’ensemble des épisodes. Le médicament devrait bientôt envahir les pharmacies vétérinaires, aussi est-il fondamental de souligner que ce nouveau traitement ne vise pas à supplanter l’insulinothérapie, laquelle doit rester la première ligne thérapeutique, mais qu'il permet d’offrir une alternative qualitative dans de nombreuses situations.
Les thrombopénies à médiation immune : vers un nouveau consensus
Bien qu’il s’agisse du trouble acquis de l’hémostase primaire le plus fréquent chez le chien, les thrombopénies à médiation immune (TMI) restent difficiles à diagnostiquer et à traiter. L’American College of Veterinary Internal Medicine (ACVIM) va bientôt publier des recommandations diagnostiques et thérapeutiques à travers un nouveau consensus. Les TMI peuvent être primaires ou secondaires, autrement dit consécutives à de nombreuses causes, notamment bactériennes (Ehrlichia canis, Anaplasma spp), parasitaires (Leishmania, Babesia gibsoni) ou liées aux sulfamides potentialisés. La nécessité d’une confirmation systématique de la thrombopénie par l’examen d’un frottis sanguin est une étape indispensable dans la démarche. Le dosage des anticorps antiplaquettes peut étoffer la suspicion d’une destruction à médiation immune, sans pour autant présenter un intérêt diagnostic essentiel. La présence de saignements gastro-intestinaux est un marqueur clinique de sévérité et doit être pris en compte pour le traitement. Les corticoïdes restent la première ligne thérapeutique pour tous les patients. L’ajout d’un deuxième immunomodulateur (azathioprine, mycophénolate mofétil, ciclosporine) est réservé aux maladies sévères, réfractaires, récidivantes, ou en cas d’effets secondaires cortico-induits délétères. L’emploi de vincristine ou d’immunoglobulines humaines est également recommandé en cas d’atteinte sévère. D’autres approches comme le romiplostim (agoniste des récepteurs à la thrombopoïétine), la splénectomie et la plasmaphérèse peuvent être envisagées dans les cas réfractaires, mais le niveau de preuve reste insuffisant.
Penser à la diarrhée biliaire lors de diarrhée réfractaire
En médecine humaine, la diarrhée liée aux acides biliaires est une conséquence bien connue mais encore sous-diagnostiquée de la maladie de Crohn et du syndrome du côlon irritable. Elle résulte d’un dysfonctionnement de la circulation entérohépatique, secondaire à un défaut d’absorption iléale des acides biliaires ou à une dysbiose menant à l’absence de conversion par la bactérie Clostridium hiranonis des acides biliaires primaires en acides biliaires secondaires. L’effet irritant et laxatif des acides biliaires en région colique provoque une diarrhée caractérisée par des urgences à la défécation. Elle se résout avec des chélateurs d’acides biliaires, notamment la cholestyramine. De récentes études ont fait émerger la suspicion d’une entité similaire chez le chien, bien qu’elle reste encore mal connue1-4. Un dérèglement du métabolisme et une augmentation de la sécrétion des acides biliaires ont été identifiés chez certains chiens présentant une entéropathie chronique. De plus, une étude publiée en 2021 décrit deux cas de diarrhées chroniques réfractaires à de nombreux traitements conventionnels mais ayant répondu à l’administration de cholestyramine5. Des données préliminaires sur 14 chiens traités par des chélateurs d’acides biliaires appuient l’intérêt de cette prise en charge pour les diarrhées chroniques réfractaires du chien. À ce jour, le niveau de preuve reste cependant très limité, aussi l’emploi de cholestyramine doit être réservé aux seuls cas de diarrhées chroniques canines réfractaires à l’ensemble des options thérapeutiques disponibles, mises en place après une investigation diagnostique exhaustive. Ce traitement ne doit par ailleurs jamais être utilisé en monothérapie, mais en supplément d’une prise en charge habituelle (changements alimentaires, régulateurs de flore digestive, immunosuppresseurs). La cholestyramine, disponible en médecine humaine sous le nom déposé Questran, s’emploie à la dose de 60 mg/kg deux fois par jour par voie orale, à distance des autres traitements. Une dysorexie, des vomissements ou une aggravation de la diarrhée sont de possibles effets secondaires.
La lipidurie : variation physiologique ou anomalie pathologique ?
Les résultats d’une étude rétrospective menée à l’École nationale vétérinaire de Lyon portant sur l’incidence clinique et biologique de la lipidurie chez le chien et le chat, caractérisée par la présence de gouttelettes lipidiques à l’examen cytologique du culot urinaire, ont été présentés. Au total, 214 animaux ont été inclus, dont 125 avec une lipidurie (64 chiens et 61 chats) et 89 sans lipidurie (76 chiens et 13 chats). La lipidurie était significativement plus fréquente chez le chat (à 82,4 %, contre 45,7 % des chiens, p<0,00001). Les chiens présentant une lipidurie avaient significativement plus de cristaux de struvite (p=0,03) et un pH urinaire plus haut (p=0,00054) que ceux sans lipidurie. Les chats lipiduriques étaient significativement plus âgés (p=0,02) que les chats non lipiduriques. La lipidurie semble donc se limiter, d’après cette étude, à une découverte fortuite sans impact clinique et ne nécessitant pas de prise en charge spécifique. Son lien de causalité avec les modifications urinaires chez le chien reste encore à définir.
Infections urinaires : les antibiotiques de moins en moins automatiques
La progression galopante de l’antibiorésistance représente un enjeu majeur pour la santé publique humaine et vétérinaire. Cela nécessite une réorganisation de notre approche des infections bactériennes, notamment urinaires, dans une vision globale « One Health ». Il a été rappelé que la vessie n’est pas un milieu totalement stérile chez les animaux sains et que les bactériuries asymptomatiques restent fréquentes, sans preuve qu’un traitement soit nécessaire. Les antibiotiques doivent être réservés aux animaux présentant des signes cliniques uniquement (haut ou bas appareil urinaire), pour lesquels une infection a été documentée par un examen bactériologique (50 % des chiens avec des signes du bas appareil urinaire n’ont pas d’infection). De plus, la durée adéquate d’une antibiothérapie lors d'une infection urinaire reste à déterminer en médecine vétérinaire, mais les études humaines tendent à montrer qu’une courte durée (5 à 7 jours pour une pyélonéphrite) est suffisante. Les traitements antibiotiques doivent donc être de plus courte durée que les pratiques actuelles, en recherchant surtout une résolution clinique. Des prises en charges au cas par cas sont donc probablement plus adaptées qu’une standardisation des durées de traitement. Par ailleurs, il n’existe aucune preuve d’un effet bénéfique des traitements alternatifs (cranberry, hippurate de méthénamine, probiotiques) dans la prévention ou le traitement des infections urinaires.
Améliorer la prise en charge et le suivi de la maladie d’Addison
Le traitement à long terme de l’hypocorticisme repose sur une complémentation à vie en minéralo- et gluco-corticoïdes. L’injection de pivalate de désoxycorticostérone (DOCP, Zycortal) reste le traitement de choix pour la complémentation minéralocorticoïde, puisqu'elle a prouvé sa supériorité par rapport à la fludrocortisone orale. La dose initiale actuellement recommandée est de 1,5 mg/kg tous les 28 jours pour les chiens adultes. Plusieurs études récentes ont prouvé qu’une dose plus faible que celle indiquée dans le RCP permettait un contrôle efficace et sûr de la maladie, et ce, qui plus est, à moindre coût pour le propriétaire6-8. Elle reste cependant de 2,2 mg/kg tous les 28 jours pour les chiens de moins de 1 an et les chats (hors AMM pour cette espèce). La dose doit ensuite être ajustée en visant une normalisation de la natrémie et de la kaliémie. Une fois la dose correcte identifiée, des contrôles le jour de l’injection sont recommandés, tous les 4 à 6 mois seulement. Une autre stratégie consiste à débuter à la dose la plus haute (2,2 mg/kg) et de prolonger au maximum l’intervalle des injections en fonction des besoins individuels. Par ailleurs, chaque chien ou chat complémenté en DOCP nécessite un traitement concomitant aux glucocorticoïdes, avec de la prednisolone à la plus petite dose possible. Les chiens peuvent majoritairement être stabilisés avec des doses atteignant 0,05 – 0,1 mg/kg/j, alors que la dose minimale nécessaire semble être plus élevée chez le chat (autour de 0,3 mg/kg/j). Lors de situations stressantes, la dose peut être augmentée de 2 à 10 fois au-dessus de la dose de maintenance.