Mars mise sur le big data - La Semaine Vétérinaire n° 2014 du 08/12/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2014 du 08/12/2023

E-santé

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Avec un accès facilité aux données médicales via les cliniques vétérinaires du groupe, l’entreprise Mars a annoncé le lancement d’une étude de cohorte incluant 20 000 chats et chiens. Ce positionnement sur le big data vétérinaire pose la question des enjeux commerciaux pouvant être associés à la data science.

S’il y a une entreprise qui croit au potentiel du big data vétérinaire, c’est bien Mars. Fort de son réseau d’établissements de soins vétérinaires (selon les données officielles, plus de 2 500 cliniques et laboratoires de diagnostic, et plus de 25 millions d’animaux de compagnie suivis dans plus de 20 pays dans le monde), le groupe basé à McLean (Virginie, USA) a un accès direct à un volume colossal de données de santé ; des big data qui peuvent alimenter toutes sortes de projets de recherche. Dernier en date, le Mars Petcare Biobank, qui avait été annoncé1 en 2022, et qui vient de faire l’objet d’une publication plus détaillée en août 2023 dans le BMC Veterinary Research2. Son principe : la constitution d’une banque longitudinale de données incluant 10 000 chiens et 10 000 chats. Le lancement d’études de cohorte n’est pas nouveau dans le secteur vétérinaire, ont rappelé les auteurs de l’article. Il y a par exemple la Golden Retriever Lifetime Study, lancée en 2021 par l’institut Purina (Nestlé), qui vise à suivre 3 000 golden retrievers pour améliorer les connaissances sur le syndrome cognitif canin. Ou encore le Canine Longevity Consortium Dog Aging Project, porté par un collectif de chercheurs et de volontaires et financé en partie par le National Institute of Health (NIH), qui vise à caractériser les facteurs génétiques et environnementaux associés à la longévité des chiens. Pour l’entreprise Mars, l’objectif annoncé est de recruter 1 000 animaux en bonne santé par an, sur une période initiale de dix ans. Seules les cliniques situées aux États-Unis sont concernées par la collecte de données, à savoir les réseaux VCA Animal Hospitals, Banfield Pet Hospitals et BluePearl Speciality and Emergency Pet Hospitals. À ce stade, 51 établissements de soins, répartis sur 19 États, participent à ce projet, mais il est prévu d’élargir le réseau.

Des données de différentes natures

L’objectif visé est d’améliorer les connaissances sur les maladies, notamment en identifiant des biomarqueurs prédictifs et pronostiques d’une maladie définie. L’analyse des données étant facilitée par la sophistication des ordinateurs et le développement des techniques d’intelligence artificielle. À la clé : envisager des suivis plus personnalisés.

En pratique, il s’agira de collecter des données cliniques mais aussi d’analyses biologiques (hématologie, biochimie et analyses fécales) auprès du réseau de laboratoires Antech Diagnostics (propriété de Mars), ainsi que des données sur la qualité de vie, les habitudes alimentaires, le comportement et le mode de vie. Au moment de son enrôlement, l’animal est vu plusieurs fois dans l’année, puis une fois par an jusqu’à sa mort. Les analyses biologiques sont prévues chaque année. Un travail de séquençage du génome est aussi programmé, en partenariat avec le Broad Institute du MIT et de Harvard (Massachusetts, USA). Toutes les données de séquençage seront laissées en libre accès, afin de favoriser la recherche vers une médecine vétérinaire personnalisée. Tous les détenteurs participants recevront aussi un test Wisdom Panel, ainsi qu’un collier connecté de mesure d’activité Whistle.

Par rapport à d’autres cohortes, le positionnement de Mars est d’inclure la population tout-venant des cliniques vétérinaires, à la condition que l'animal soit en bonne santé, à la base.

Un projet parmi d'autres

Plusieurs domaines de recherche sont annoncés : le développement et la progression des troubles rénaux, neurologiques et cardiaques dans le vieillissement des animaux de compagnie ; l'incidence et les facteurs de risque de conditions communes, y compris l'obésité, les maladies infectieuses, les troubles orthopédiques et les cancers ; l'influence de l'alimentation et du microbiome gastro-intestinal sur la santé et la maladie ; l'identification de locus candidats pour les variants génétiques associés aux maladies et leurs interactions avec le mode de vie et les facteurs environnementaux.

Mars n’en est pas à son coup d’essai en matière de big data. Les données du réseau de cliniques Banfield3 étaient déjà exploitées à travers des études rétrospectives, mais sans suivi longitudinal. Elles avaient permis de développer un modèle prédictif de l’insuffisance rénale chronique chez le chat, le RenalTech. Ce test est proposé par les laboratoires Antech. Autre projet lancé et reposant sur l’exploitation du big data : la réduction du risque anesthésique. L’analyse des informations concernant les animaux, en association avec les données de la littérature, a permis d’identifier des facteurs de risque et d’élaborer des protocoles qualité pour les équipes. Selon les personnes en charge du projet, un audit a montré que l’application de ces nouveaux standards avait permis de réduire la mortalité anesthésique.

Questions à Annick Valentin-Smith (A 78), présidente de l’association Vet IN Tech

Quelles retombées médicales peut-on attendre des projets menés par Mars sur le big data vétérinaire, notamment le dernier en date ?

Mars Petcare Biobank est une « data warehouse », c'est-à-dire un espace ou une banque qui stocke des données de santé animale de différentes provenances, qui vont permettre de mener des recherches de grande ampleur. Les études de cohortes prospectives sont reconnues comme les plus pertinentes pour identifier les facteurs de variation de la survenue de pathologies. L’analyse des données est facilitée par la sophistication des ordinateurs et le développement des techniques d’intelligence artificielle. Cela permettra d’identifier des facteurs prédictifs d’apparition d’une maladie et de poser des diagnostics plus précocement sur les animaux identifiés comme susceptibles de développer une maladie. C’est de la médecine personnalisée. Aujourd’hui, le groupe Mars, avec toutes ses activités en santé animale et les données recueillies, est bien placé pour mener une étude de cette nature et de cette ampleur. Mais si le protocole est bien étudié, tout repose sur le recrutement des animaux et leur suivi dans le temps, ce qui pose question. Rappelons que nous n’avons plus de nouvelles du Pet Insight Project, qui avait été lancé par Mars en 2018, et qui visait à identifier chez 100 000 chiens des corrélations entre l’activité mesurée par le collier connecté Whistle et l’apparition d’une maladie.

Au-delà des objectifs affichés de progrès en matière de santé animale, quelles retombées commerciales l’entreprise peut-elle attendre des projets big data ?

Aux États-Unis, Mars a stratégiquement réuni à l'intérieur de son groupe des acteurs importants de la santé des animaux de compagnie, au cours de ces dernières années. Au sein de cet écosystème, tout a été rendu compatible d’un point de vue informatique. Ce qui fait qu’aujourd’hui, à l’ère de l’intelligence artificielle, c’est un véritable trésor qui émerge dans le groupe, avec un big data qui peut être totalement exploité. Il est clair que l’entreprise pourra identifier ainsi des leviers favorables à la commercialisation de l’ensemble de ses solutions et services. Une limite est que tous les résultats d’un tel projet ne seront pas forcément extrapolables à une autre population, par exemple européenne. Mais finalement, ce qui est le plus frappant, c'est qu’en face il n’y a pas grand-chose. Pour pouvoir collecter des données dans un autre contexte organisationnel, il faudrait réunir autour de la table de nombreux acteurs indépendants et parvenir à ce qu’ils se mettent d’accord pour avoir des données en accès libre. Cela pourrait bien prendre des années !

  • 1. Communiqué du 8 juin 2022 : urlz.fr/oIB1
  • 2. Alexander J.E., Filler S., Bergman P.J. et al. The Mars Petcare Biobank protocol : establishing a longitudinal study of health and disease in dogs and cats. BMC Vet Res. 2023;19:125. urlz.fr/oIBd 
  • 3. Rapports VET du Banfield Exchange sur : urlz.fr/oIBw