Repérer les violences contre les animaux, mais aussi envers les humains - La Semaine Vétérinaire n° 2014 du 08/12/2023
La Semaine Vétérinaire n° 2014 du 08/12/2023

Société

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Lorenza Richard

Dans sa thèse, notre consœur Jessica Depigny met à disposition des professionnels vétérinaires des outils pour prévenir, détecter et signaler les violences domestiques en cas de suspicion de maltraitance animale.

« La notion de lien entre les violences animales et humaines fait l’objet de plus de 150 études publiées, dont la moitié examine les violences domestiques, a souligné Jessica Depigny, lors de sa soutenance de thèse1 à VetAgro Sup, le 27 octobre dernier. Par exemple, les femmes vivant en centre d’accueil pour victimes de violences conjugales rapportent 11 fois plus de cas de maltraitance animale par leur conjoint que les femmes n’ayant jamais été violentées par leur compagnon. De plus, la maltraitance animale est un meilleur indicateur d’agressions sexuelles vis-à-vis des femmes que les antécédents pour homicides ou agressions par arme à feu, notamment. » Ainsi, dans le contexte d’une consultation menant à une suspicion de maltraitance animale, les vétérinaires peuvent participer à détecter les violences faites aux femmes et aux mineurs. La loi du 30 novembre 2021 lève en effet partiellement le secret professionnel en permettant à tout vétérinaire2 de signaler au procureur de la République les actes graves concernant les animaux et les enfants3. C’est pourquoi notre consœur a souhaité traiter de ce sujet dans sa thèse, au sein de laquelle elle propose des questionnaires et des outils pour permettre aux vétérinaires et aux auxiliaires vétérinaires (ASV) de détecter et signaler ces cas.

Un besoin d'outils mais des envies diversifiées

Afin d’évaluer la perception des vétérinaires et des ASV sur les violences domestiques et leurs besoins pour la gestion de ces situations, Jessica Depigny a adressé un questionnaire à 396 cliniques tirées au sort parmi les 3832 structures inscrites au tableau de l’Ordre en 2022, avec un taux de réponse de 50 %. « Seulement 25,3 % des participants ont répondu qu’ils sauraient quoi faire lors de la détection de maltraitance animale, et 85,4 % d’entre eux ont affirmé qu’ils auraient besoin d’outils supplémentaires pour détecter et signaler ces violences domestiques », déclare-t-elle. Notre consœur a également proposé aux professionnels plusieurs exemples d’outils, pour déterminer lesquels seraient le plus à même d’être reçus favorablement dans les cliniques. Les résultats montrent que les vétérinaires souhaitent des listes de contacts et des webinaires d’information. Les ASV préfèrent les stages et les exercices de mise en pratique, les courriers d’information et les affiches à installer dans la clinique.

Enfin, plus de 60 % des professionnels estiment que se former leur permettrait de détecter et signaler un plus grand nombre de cas de violences domestiques. Cependant, plus de 40 % d’entre eux ressentent un frein à signaler un cas de violence domestique, essentiellement en raison d’un manque de confiance en soi (45,4 % des cas), d'une méconnaissance de la procédure de signalement ou du sentiment que ce n’est pas leur rôle.

Des signes à repérer pour suspecter une violence

Grâce à ces résultats, et pour pallier ces freins, Jessica Depigny a créé les outils présentés dans sa thèse, avec l’aide de notre consœur Anne-Claire Gagnon (T 84), fondatrice de l’Association contre la Maltraitance animale et humaine (AMAH), et du guide que cette dernière a édité4. Elle y liste notamment les éléments qui permettent d’orienter le diagnostic dès le recueil des commémoratifs et de l’anamnèse (voir encadré). Puis, lors de l’examen à distance de l'animal, le vétérinaire peut repérer une peur des humains ou une agressivité envers eux, ou un animal qui se détend en l’absence de son propriétaire. Lors de l’examen rapproché, il convient notamment de porter attention aux blessures costales, aux hémorragies sous-conjonctivales et à tout saignement des orifices. De multiples fractures sur un même animal, ou dans différentes régions anatomiques ou à des stades de cicatrisation différents peuvent faire suspecter un traumatisme non accidentel. En particulier des fractures des côtes bilatérales et sans schéma préférentiel (en cas d’accident, ce sont les côtes les plus crâniales qui cassent en premier). Enfin, les écoles vétérinaires peuvent recevoir des demandes d’autopsies dans le cadre d’enquêtes pour suspicion de violences domestiques, et cet examen est important.

Des dispositifs simples et à disposition de tous                                                                                                                  

Pour ce qui est des violences conjugales, il convient également de faire attention au comportement des individus venant en consultation, qui peuvent être la victime, l’auteur des violences ou les deux : signes de violences physiques, verbales, économiques, matérielles ou psychologiques, visibles sur les personnes ou lorsqu’elles s’adressent les unes aux autres. Une méthode a été développée, afin de détecter ces violences :

- Demander (questionnaire établi par notre consœur à l’Annexe 8 de sa thèse) 
- Valider ses impressions avec ses collègues et les autorités 
- Documenter le discours du propriétaire et les observations cliniques,
- Référer/rapporter, avec un signalement croisé (DDPP et procureur) 

Il convient aussi d’informer tout le personnel de la clinique, qui peut être exposé aux violences, et ne pas hésiter à demander un autre avis.
Enfin, trois affiches ont été créées, où figurent les numéros d’urgence d’aide aux victimes et un QR code qui, quand il est flashé, dirige vers le site de l’association AMAH, afin de savoir comment réagir quand on est victime ou témoin de violences domestiques.

Pour notre consœur, d’autres outils restent à développer, notamment les formations des professionnels vétérinaires et des pôles médico-légaux des écoles nationales vétérinaires. Enfin, en prolongement de son travail, Jessica Depigny propose de développer le signalement croisé, en demandant aux répondants du 3919 et aux assistantes sociales de prendre en considération le traitement des animaux de la famille et en facilitant la prise en charge des animaux lors de l’accueil des victimes.

Signes qui doivent éveiller les soupçons des professionnels vétérinaires

- l'accumulation d’un grand nombre d’animaux au sein du foyer

- le refus des soins proposés

- le refus d’une euthanasie jugée raisonnable par les professionnels vétérinaires

- des antécédents de polytraumatisme et/ou de morts inexpliquées au sein des animaux du foyer

- des conditions de vie insalubre, des infections fréquentes, une alimentation inadaptée, etc.

Autres signes auxquels il convient de veiller :

- la confession des faits

- le refus d’expliquer l’origine des blessures de l’animal

- le manque d’informations basiques concernant l’animal (historique médical, conditions de vie, etc.)

- l'attachement démesuré ou au contraire l'absence d’inquiétude concernant l’état de santé de l’animal

- l'utilisation répétée du mot « tomber »

- le délai non raisonnable entre l’apparition des lésions et la consultation vétérinaire

- les versions différentes selon les individus

  • 1. Depigny J. Mise à disposition d’outils dédiés aux professionnels vétérinaires pour prévenir, détecter et signaler les violences faites aux femmes et aux mineurs à partir de la détection de maltraitance animale. Thèse vétérinaire. VetAgro Sup, 2023.
  • 2. Le vétérinaire sanitaire a l’obligation de signaler à la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) tout cas de maltraitance animale.
  • 3. Article 226-14 du Code pénal.
  • 4. amah-asso.org