DOSSIER
Auteur(s) : Par Michaella Igoho - Moradel
Cette notion appréhende tous les éléments de l’environnement qui ont un impact sur la santé et les écosystèmes. Elle nécessite une approche pluridisciplinaire et une cohérence globale qui s'appuie sur des objectifs One Health. Comment s’attacher à préserver notre santé et celle des écosystèmes ? Comment identifier et réduire les expositions environnementales délétères ?
La Santé environnementale a été le fil rouge de la soirée du cycle de conférences « Une seule santé » organisé par le groupe de médias 1Health [dont fait partie La Semaine Vétérinaire] et le magazine L’Obs, le 9 novembre dernier à l’auditorium du journal Le Monde, à Paris. L’environnement et la santé ont des liens qu’il convient de continuer à explorer.
La première table ronde, animée par Marine Neveux, rédactrice en chef à La Semaine Vétérinaire, avait pour thème : « Qu’est-ce que la santé environnementale ? » Yves Lévi, pharmacien et professeur émérite en Santé publique à la faculté de Pharmacie de l'université Paris-Saclay, rappelle que le concept est déjà décrit par Hippocrate. « C’est le domaine qui s’intéresse aux déterminants qui induisent des effets sur la santé humaine. Ces déterminants peuvent être chimiques, biologiques, physiques », précise Yves Lévi avant d'ajouter que « la découverte, la description de tous ces déterminants nous invitent à prendre des mesures de prévention et de protection de la santé humaine ».
Exposome et écoexposome
Robert Barouki, professeur à la faculté de Médecine de l’université Paris-Cité, directeur d’une unité Inserm de toxicologie et d’un service de biochimie à l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP), détaille le concept d’exposome : « Le "ome" d'exposome veut dire l’ensemble. L’exposome est l’ensemble des expositions : chimiques, physiques, mais aussi de nature psychologique, psychosociale. Vient s'ajouter à cette idée d’ensemble, la notion temporelle de vie entière ; ce qui nous a concernés comme fœtus et enfant, va encore nous concerner des dizaines d’années plus tard ». On pourrait même parler d’écoexposome, c’est-à-dire qu’il y a un lien entre les impacts écosystémiques et la santé humaine. Avec le terme d'écoexposome, on étend la notion d'exposome à l’interaction qui existe entre les écosystèmes et la santé humaine.
D'ores et déjà, « On essaye d’étudier un ensemble de substances chimiques. On peut doser dans l’eau des milliers de substances, par exemple, et avoir une information plus générale, plus globale. Pour cela, il faut des outils, comme de petits détecteurs que l’on pourrait porter sur soi. C’est en train de venir. »
Un message scientifique
Pour répondre aux enjeux de la Santé environnementale, quelles orientations suivre ? « Des moyens techniques se développent, qui permettent de faire des analyses », témoigne Yves Lévi. « On oublie parfois l’environnement intérieur, au travail. Le budget environnement, c'est toute notre vie ; mais aussi l’espace-temps, c'est-à-dire tout ce que l’on fréquente dans une journée ». Le cœur des progrès que l’on va pouvoir faire dans ce domaine est directement lié au recueil d’un maximum de données.
Mais la parole scientifique est-elle entendue ? « D'un côté, Il faut que les scientifiques sachent mieux diffuser, informer, vulgariser les connaissances, et, d’un autre côté, il faut aussi que les décideurs nous écoutent. Il faut un meilleur dialogue, une meilleure écoute ! », conclut Yves Lévi.
Une attente des professionnels
En quoi la Santé environnementale est-elle une attente des professionnels de santé ? Alice de Maximy, fondatrice du collectif Femmes de santé et présidente de hkind, société de conseil et de formation en égalité et santé, explicite les objectifs du collectif : construire une santé plus juste, plus égalitaire, par le biais de l’intelligence pluridisciplinaire et collective. « On publie des travaux, on propose des solutions ». Et valoriser aussi l’expertise des femmes dans la santé, « qui sont trop peu souvent mises en avant ».
Chaque année, le collectif tient des états généraux en décembre. En 2023, Catherine Azoulay, gynécologue, a passé en revue la littérature, les rapports, etc. Femmes de santé a amendé sa synthèse bibliographique. « On veut identifier des enjeux, des problèmes. On va essayer de mettre en œuvre de façon opérationnelle des microsolutions ». « Comment fait-on, nous acteurs et actrices de la santé, pour ne pas favoriser par nos émissions, la pollution, pour ne pas défavoriser la santé environnementale ? », met en exergue Alice de Maximy. « On a tous une attitude vis-à-vis de l’environnement que l’on n'applique pas forcément dans la pratique professionnelle. Il y a une dissonance cognitive à ce niveau-là. Il y a aussi les questions que posent les patients ; les professionnels de santé ne sont pas formés dessus », pointe t-elle. Mais il existe une attente des professionnels.
L'écoanxiété
Autre phénomène préoccupant, l’écoanxiété croissante. Le collectif se penche aussi sur cette problématique et ses conséquences sur la santé. Comme l’explique Alice de Maximy : « On a des jeunes qui ont une culpabilité à être sur Terre en raison de leur empreinte carbone, et qui ne veulent plus faire d’enfants. Comme on nous promet un monde incertain, cela entraîne aussi plus de comportements à risque et des pratiques addictives. On est en train de voir comment transformer cette écoanxiété en une action positive pour la santé, comment transformer cette angoisse en action. »
Enfin, le collectif s’attache à étudier les « mille premiers jours », période pendant laquelle la femme et l’enfant sont des éponges à facteurs endocriniens, notamment. « On a travaillé dessus. L’information est là mais les messages ne sont pas appliqués car ils sont peu clairs, diffus ».
L’écobénéfice
L’environnement, source de problèmes mais aussi porteur de solutions selon Robert Barouki qui invite à développer « une recherche interventionnelle pour prouver les bénéfices apportés ». Par exemple, sur le fait d'avoir plus d’espaces verts dans les villes. Des études prouvent leur intérêt : baisse de la température, diminution de la pollution d’air, augmentation de l'activité physique, etc.
Alors, quel est l'enjeu majeur de demain ? Après le formidable développement de la génétique, est-ce d’intégrer davantage l’environnement ? « On a assisté à un énorme progrès de la génétique, cela a aidé beaucoup de familles », témoigne Robert Barouki, mais « il est temps de passer à un programme exposome, de façon proactive. On a besoin d’outils, des infrastructures sont nécessaires, on peut aller plus loin ».
Aborder la Santé environnementale, n’est-ce pas aussi pour chaque citoyen l'occasion de prendre conscience de ses achats et comportements ? Ne faudrait-il pas éduquer dès l'école aux sciences du vivant ? Yves Lévi en appelle à développer la connaissance et à mettre en place une meilleure formation, prônant « une littératie* en santé du citoyen à l’école, le plus tôt possible ».
Et que sera la santé dans vingt ans avec le réchauffement climatique ? Un sujet de réflexion à prendre à bras-le-corps selon Alice de Maximy. « Les usines de production de médicaments sont déjà en train de baisser les températures, de changer la formulation des médicaments, de réduire les risques hydriques […] On travaille à cette santé de demain. Il faut juste avoir le courage de dire : "on n’est pas encore prêts mais on y va !" ».
L'organisme, siège de milliards de micro-organismes
La deuxième table ronde, animée par Arnaud Gonzague, rédacteur en chef adjoint à L’Obs, a abordé des cas pratiques où l'aide aux écosystèmes permet un soutien à la santé humaine. Comment construire la Santé environnementale, préserver la biodiversité, aborder la transition agroécologique, appréhender les changements climatiques, ou encore placer la question de l’environnement au cœur des territoires ?
Benoît Assémat (T 83), inspecteur en Santé publique vétérinaire (ISPV) au ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, explique que la recherche permet de comprendre en quoi la santé du vivant se trouve déjà dans les micro-organismes : « Dans un sol vivant, s’il est en bonne santé, on va trouver 1 milliard de micro-organismes dans 1 gramme de terre. Dans le corps humain, il y a 100 000 milliards de micro-organismes ». Lorsque le microbiote intestinal est affecté, cela peut être associé à des maladies. Plus la science avance, plus elle montre ces liens. « Continuum alimentation, microbiote et conséquences sur la santé font l’objet de gros travaux de recherche », selon Benoît Assémat, qui cite le programme Ferments du futur : « Grâce à une meilleure connaissance des ferments, on va pouvoir créer demain de nouveaux aliments ». Il nous invite à consommer plus de légumineuses, une alternative pertinente, source de protéines et de fibres, et par ailleurs intéressante pour la transition agroécologique car ces plantes captent l’azote de l’air. « Les engrais azotés consomment beaucoup d’énergie fossile. On peut diminuer ces engrais de synthèse si on consomme plus de légumineuses, en alternance avec d’autres cultures, car ces plantes fixent l’azote dans le sol ». Il faut diversifier les sources de protéines, afin de créer un cercle vertueux.
Une précieuse et fragile biodiversité
Hélène Soubelet (T 97), directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), explique que la destruction du fonctionnement biologique et écologique d’un écosystème peut avoir des conséquences dramatiques sur la santé du fait de la perte des services écosystémiques. Quels sont ces derniers ? Citons par exemple la pédogenèse : la biodiversité va créer un sol qui va pouvoir être actif soit dans des agrosystèmes, soit pour produire des arbres, ce qui sert aussi à la captation du carbone. « Ce sont toutes les composantes des écosystèmes qui vont nous permettre d’y arriver (pollinisation, etc.) », selon Hélène Soubelet, qui s’inquiète aussi de l’effondrement de la biomasse des insectes de l'ordre de 80 % même dans certaines zones protégées ! « On va éliminer un certain nombre d’êtres vivants qui nous gênent, nous les humains… » même en ville. « Notre relation au vivant, c’est de détruire la biodiversité. La ville est très peu souvent un écosystème, il n’y a pas assez de biodiversité. En ville, on a des problèmes d’accès à des microbiotes diversifiés. Or, tous ces services que l’on retire de la biodiversité sont importants car ils nous maintiennent en bonne santé ». L’accès à des espaces verts est également important pour avoir une bonne santé mentale.
Un pouvoir politique en retard
Tous dressent le constat de la remise en cause de la parole scientifique. En outre, « les décideurs ont du mal à trouver des moyens pour agir, il faut aussi que les scientifiques donnent des clés aux décideurs pour qu’ils puissent avancer. C’est aussi du rôle des scientifiques ou du médiateur de parler aux politiques pour leur donner des solutions opérationnelles. Protéger ce bien commun qu'est le reste du vivant et qui nous préserve en bonne santé, c’est particulièrement de la responsabilité des pouvoirs publics », affirme Hélène Soubelet.
Julien Fosse (N 03), président de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) des Hauts-de-France, insiste aussi sur la volonté des gouvernants pour porter ces politiques publiques. Reprenant l’exemple des légumineuses, il souligne la nécessité de « repenser le système de culture dans sa totalité. Ce n’est pas forcément facile, il faut donc accompagner l’agriculteur, lui apporter les réponses techniques, lui donner les moyens et les solutions économiques pour qu'il puisse mettre en œuvre cette transformation. Le vrai sujet est la cohérence globale entre, d’une part, des politiques publiques qui vont inciter à la consommation des légumineuses et, d’autre part, une politique publique comme la PAC qui ne va pas forcément valoriser au mieux l’utilisation de ces légumineuses ». Un problème de cohérence donc dans l’élaboration des politiques publiques.
« Le vrai enjeu est la transformation du système alimentaire dans sa globalité, c’est-à-dire de comment l'on accompagne les agriculteurs pour qu’ils changent leurs pratiques ; comment l'on accompagne les consommateurs pour qu’ils changent leurs régimes alimentaires ; et, entre les deux, d'identifier quels sont les différents éléments d’accompagnement économique, social, d’éducation, à mettre en place pour avoir une cohérence générale. Cela implique une vision globale, et la nécessité de construire quelque chose sur le long terme ».
Frédéric Worms
Professeur de philosophie contemporaine et directeur de l’École normale supérieure (ENS), membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE)
Une question éthique et politique
Il faut refonder un rapport au vivant. Il y a un rapport vital qui est de lutter contre la mort. Il y a une solidarité nécessaire de tous les vivants aujourd’hui, au nom de risques très précis (climatique, pandémique, biologique). Mais s'il y a des risques avérés par la science (biodiversité), pour autant, y a-t-il une véritable priorité en matière de Santé humaine ? C’est une vraie question éthique et politique. Sans oublier qu’avec les autres êtres vivants, nous avons un rapport de solidarité biologique mais aussi de responsabilité morale. Aujourd’hui, dans tous les domaines, nous avons besoin de limites ; ce n’est pas forcément tout ou rien.
La santé globale est un problème sanitaire et technique, mais c’est aussi un problème politique. Cette santé globale ne sera pas globale sans des institutions globales.
Patrick Giraudoux
Professeur émérite d’écologie à l'université de Franche-Comté (UBFC), chercheur au laboratoire Chrono-environnement du CNRS, membre de l’Académie vétérinaire de France, membre du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars)
Changer de paradigme
On parle souvent de crise… Je ne suis pas sûr que l’on soit dans une crise ; on est dans un autre fonctionnement* ! Au siècle dernier, la population humaine a explosé mais en même temps le PIB mondial par personne a été multiplié par 13, ce qui veut dire que nous sommes beaucoup plus nombreux, mais que nous consommons aussi beaucoup plus ! Avec comme conséquences le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la pollution. Et la conjonction de tous ces phénomènes conduit à ce que la vie sur Terre devient beaucoup plus fluctuante que par le passé. La solution n’est donc pas de simplifier les écosystèmes car la biodiversité est une capacité de résistance aux perturbations.
L’humain représente 36 % de la biomasse des mammifères terrestres, les animaux domestiques 60 %, les animaux sauvages seulement 4 %. On est sur une autre planète ! Il faut changer de paradigme, se rendre compte que l’humain n’est pas hors nature ; il est la nature ; il est dans la nature ; et il interagit avec toutes les composantes non humaines.
L’enjeu des questions environnementales et de la question écologique est de prendre en compte la santé des écosystèmes, et que quelque part on puisse se rendre compte que c’est par le jeu de ces interactions que l’on peut aboutir à une meilleure santé pour l’humain, mais aussi pour les animaux domestiques, et aussi pour l’écosystème lui-même.